Le Japon est un archipel de contraste où les plus hauts buildings font de l’ombre aux temples anciens. Les traditions et l’élégance s’accordent d’une symphonie parfaite avec un développement frénétique. Je ne saurais décrire avec conformité le Japon, captivant et envoûtant dans une certaine hypnose. La symétrie et la hauteur dans de tels accords qu’on en perd le temps. Les lumières et les couleurs dans un excès telle que Tokyo semble ne jamais dormir. La ville est l'une des plus peuplées au monde et pourtant elle fonctionne à la perfection avec une régulation qui apparaît naturelle. Le fourmillement incessant est presque mélodieux le long des rues. Tokyo est une ville comme détachée de toute temporalité, la ville du fantasme et du merveilleux. L’architecture maximaliste, entre une dynamique parfaite avec le minimalisme social et la mécanique humaine, est en parfaite harmonie avec l’excellence Japonaise. Le Japon est une société mystérieuse en pleine effervescence.
Des images et des sons
Les petits êtres en symphonie
Les vues de Tokyo sont emblématiques et ressemblent à un monde indéchiffrable. Des hauteurs, on a l'impression de dominer le monde. D'en bas, on est d'un coup tout petits et on se rend compte de la place minuscule que l’on occupe dans ce monde. A Tokyo, on est saturé de paysages visuels et sonores, on s'habitue à cette saturation. Ce n'est que plus tard que l'on réalise le burn-out de notre mémoire, tant les souvenirs précis de ce que l'on a vu et entendu ont du mal à revenir.
L'immensité de la ville est recouverte de couleurs qui brillent et de néons qui clignotent. Les bâtiments sont surchargés et les couleurs criardes tapissent les murs des quartiers animés. Des musiques assourdissantes sortent littéralement de partout en ville. Les passages piétons nous parlent, les trains aussi. Les nombreux écrans géants diffusent des publicités sur des airs de Jpop, certains quartiers ont en plus leurs haut-parleurs. Les musiques des magasins se mélangent à celles des restaurants et bars. Des messages hyper-enjoués nous vantent des vies merveilleuses, grâce à de nouvelles serpillières, sur des accords poussés aux aigus. Les stations Taito et autres complexes de machines à jeux laissent échapper leur vacarme électronique.
L’orchestre de Tokyo
Des grands camions promotionnels passent et repassent dans les quartiers branchés. Ils sont recouverts à l’effigie des boys bands et girls bands du moment et diffusent en boucle les derniers tubes. Lorsque Pineapple-pen était à la mode - musique oppressante sur des airs médiocrement vulgaires, illustrée par un ringard en pyjama léopard - les écrans de la ville reprenaient fièrement cette nouvelle superproduction. A la gare de Seibu-Shinjuku, un de ces énormes écrans entoure le Seibu building qui ouvre sur l'une des plus grosses artères du quartier. Parfaitement en vue de la zone fumeur en face, il n'est pas rare d'y voir des salarymen restant bien plus longtemps que pour une cigarette. Ils se trémoussent timidement ou reproduisent sans complexes les danses de leurs idoles. Tous ces bruits nous assomment de messages promotionnels en japonais auxquels nous ne comprenons souvent rien. Ils se perdent dans nos esprits avec les énormes kanji qui recouvrent fièrement les palissades.
Des contrastes nippons
Ville de contraste
Tokyo est un véritable dépaysement social et de contraste à tous les niveaux de la société japonaise. Les manières de faire, d’agir ou même simplement de dire sont là-bas très subtiles. Les usages se lient entre un grand respect des traditions et un développement frénétique, les Japonais se forgent dans cette ambivalence.
Les Japonais sont à la fois doux et strictes, ils sont très enclins à la rencontre mais en disent peu sur eux. Ils sont d’une gentillesse et d’une amabilité incroyable mais savent se montrer impitoyables. Ils sont droits et fidèles à leurs valeurs tout en ayant parfois des idées bien farfelues. Ils sont dévoués à leur honneur, mais semblent tous vivre une vie parallèle et secrète. Ils sont très respectueux et loyaux, mais leurs secrets sont impénétrables et pleins de mystère. Un brin naïfs, mais on ne les y reprendra pas deux fois. Toujours au régime mais toujours au restaurant. Procéduriers mais incroyablement arrangeants, bien éduqués, mais très maladroits, bien intégrés, mais grands enfants amusés. Célibataires endurcis mais éperdument romantiques - bien que certains soient pourtant gras, pervers et entourés de charmantes femmes qu'ils payent à l'heure pour se pavaner en ville.
Les mille et unes vies
Ils jouent parfaitement le jeu de l’être et du paraître dans une belle harmonie collective. Le Japon donne l’impression d’un monde lisse et cohérent, mais nous perd dans le mystère et la fascination. Lorsque l'opulence devient uniforme, on voit le minimalisme de Tokyo. Au milieu des bruits, tout
devient paisible. Tout est équilibre de sons et lumières. On contemple à ne plus se voir soi-même et on écoute à ne plus s'entendre penser. Nous n'avons plus même à exister, finalement que pour nous même et on se sent alors plus vivant que jamais. Les vies sont tant effrénées qu'elles semblent soudainement figées. Les silences de Tokyo ne sont comme nulle part ailleurs. Les plus simples rencontres deviennent sensuelles. Nos joies sont éclatantes et nos malheurs passionnels. Les bonheurs sont intenses mais les misères plus encore et se préparent sans le moindre soupçon dans l'innocence japonaise. Les obscénités de la ville deviennent érotiques dans le burlesque de Tokyo. Ce sont les mille et unes vies de Tokyo qui se cachent derrière la conformité et l'on s'évade de fantasmes et d'illusions dans ce petit monde secret qui n'appartient qu'à nous-même. Les uns s'émerveillent et les autres basculent dans la magnificence. C'est l'insouciance et la frénésie qui nous emporte.
De la vie quotidienne
Nos petits yeux d’Europe
Ces contrastes se voient jusque dans les magasins. Dans un pays où il est normal de vendre des peluches Hello Kitty tout proche des rayons sexy-toys, eux-même présentés dans des emballages colorés de dessins ultra-vulgaires aux visages pré-pubères. Et dans les konbini, les magazines pornographiques sont à côté des magazines pour adolescentes.
Les konbini sont les petites superettes japonaises. Il y en a à tous les coins de rues et on en devient bien vite dépendant. On achète de tout dans ces konbini. Ils sont ouverts jour et nuit et littéralement partout, pour répondre au moindre de nos besoins. Dans les plus grands supermarchés, tout est coloré. Au détour des allées, on laisse nos petits yeux d’Europe se perdre au milieu des poissons. Tentacules de pieuvres sous plastique, d'énormes pieuvres coupées en morceaux violacées parsemés de leurs grosses ventouses blanches. Il y a aussi de gros poissons entiers, ou des moitiés de poissons, de grosses têtes avec d'énormes yeux globuleux, sous plastiques, des poulpes morts sous plastique aussi, un délice.
Au Japon tout est parfaitement organisé et synchronisé. Les trains de Tokyo sont toujours à l'heure, à la seconde près et se présentent toujours sur les mêmes quais sans jamais qu’il n’y ait le moindre imprévu. Il y a des toilettes publiques propres partout en ville, mais aussi dans chaque station et dans de nombreux konbini. La foule se presse sur les énormes passages piétons et leurs rayures blanches toujours impeccables : la synchronie est parfaite. On garde le nez sur son smartphone et on s’en remet à Google Map pour guider chacun de nos pas. On s’empresse d’installer Line – le WhatsApp japonais, pour se faire tout plein de nouveaux copains. Et surtout, on se géolocalise sur Yurekuru, l’application qui nous préviendra douze secondes avant un tremblement de terre. Si les Japonais savent réagir en douze secondes, nous autres étrangers faisant face à l’épique expérience vécue de s’échapper dehors en petite culotte à la première alerte.
Voilà, il n’y a plus qu’à se laisser porter par la dynamique de Tokyo. La ville fonctionne à merveille et nous n’avons plus qu’à rentrer dans la danse.
Le ballet tokyoïte
On se prend au jeu de faire la queue dans les escalators et devant les trains, pour finir de toute façon amassés. On s’arrête au passage piéton même s’il n’y a aucune voitures et que la rue est minuscule. On se laisse émerveiller par la démesure de Tokyo tout en oubliant le monde qu’il y a autour de nous. On se prend au jeu de la discipline publique en même temps qu’à celui des beuveries dans les izakaya. On se laisse amasser sans crainte dans les nombreux bars de la ville quasiment tous tenus par les yakuzas. On s’endort dans les métros sur l’épaule du voisin et sans la moindre crainte d’être dérobé de nos affaires. Peu de chances qu’il arrive quoi que ce soit au Japon aux noctambules ivres. On garde notre précieuse table au bar en y laissant notre sac à main ou notre smartphone le temps d’aller aux toilettes. On fume nos cigarettes dans les endroits prévus à cet effet et on perd toute habitude de jeter un mégot sur le sol. On prend soin de trier nos déchets ordinaires, la serviette ne se jette pas dans la même poubelle que l’emballage de la boulette de riz que l’on vient de manger. On se dépêche même si on a le temps, mais on se prélasse des heures, nus dans les bains thermaux. On s’amuse sur de la Jpop et on bave devant les visages des host et hostess en oubliant nos convictions philosophiques. On s'adonne à l'euphorie des stations Taito et de leurs machines à jeux, on immortalise nos amitiés dans les photomatons purikura pour des photos ultra-lissées aux décorations hyper kitch.
On admire, on se passionne, et on vit l’espace d’un instant dans les contrastes tokyoïtes. Il n’y a qu’à se laisser guider pour se perdre dans les secrets de la ville. Se perdre, mais pas vraiment tant on prend vite nos repères dans la simplicité qu’offre la société Japonaise.
De l'élégance japonaise
La grandeur japonaise
Les Japonais dégagent une certaine splendeur. Ils ont des visages si doux et strictes à la fois, une peau dorée et rosée en même temps, parfaitement contrastée par leurs sombres cheveux. Ils sont à la fois paisibles et féroces et sont de parfaite compagnie. Même lorsqu'ils boivent et fument à outrance, ils le font de manière distinguée. Même lorsqu'ils aspirent bruyamment leur nouilles en sauce, ils sont encore distingués et réussissent l'exploit de ne pas tâcher leurs costumes. Ils manient les baguettes à la perfection et engloutissent leurs bols de riz. Les femmes savent boire des thés brûlant sans se brûler et peuvent manger leurs nouilles à la baguette sans se tâcher ni sans même effleurer leur rouge à lèvres. Moi, j'en mettais partout et j'avais des éclaboussures jusqu'au front.
Les rencontres entre orient et occident
Ils ont un sens incroyable de la mode et de la distinction et certaines choses ne vont qu’à eux. Ils affectionnent particulièrement la haute couture française et italienne qu’ils ont l’art de porter à merveille. Des costumes – ou uniformes scolaires - Armani aux accessoires Vuitton, Saint Laurent ou Prada, ils maîtrisent la rencontre entre l’orient et l’occident et en dégage une élégance incroyable. Des baskets Gucci dorées ornées des bandes brillantes rouges et vertes sur des plateformes arc en ciel de 10 centimètre. Qui portera ça à part un Japonais ? Mais ces basket s’arrachent pour des sommes folles et s’accordent à merveille avec les rues tokyoïtes.
L’occident pour la mode, pourtant les Japonais n’en restent pas moins fidèles à leurs propres ressources. Les poissons viennent de chez eux, quitte à décimer leurs mers et s’attirer les foudres des instances de protection de l’environnement. Le riz est japonais, valeur sacrée du pays. Les bières sont japonaise, les whiskies parmi les meilleurs, le gin de Kyoto est une merveille ; les japonais maîtrisent la perfection !
Autour de Tokyo, le Japon est un pays de merveilles, de montagnes enchantées et de mers déchaînées. Pour ceux qui aiment l’opulence ou ceux qui préfèrent se retrouver un instant seuls au monde. On s’égare en pleine nature, on fuit un instant l’effervescence citadine. On s’abandonne à la grandeur des temples, on conquière les montagnes comme à la conquête du monde ou on se prélasse sur les plages. On se laisse guider par les odeurs et on s’émerveille des saveurs. On s’en remet à la féerie japonaise. On se laisse porter quelle que soit la saison, elles ont toutes leurs merveilles au Japon : des soleils d'été à la neige d'hivers, et des érables orange d'automne aux cerisiers roses de printemps. On est bien petit au milieu du monde, et Tokyo continue d'avancer, si vite et si vite. Tokyo nous transporte dans une histoire d'amour, elle nous émerveille de ses lumières comme de déclarations. On en découvre les mystères et on se laisse troubler par les sombres faces de la ville. On se laisse prendre dans la robotique, nous aussi, dans l'effervescence tokyoïte. On rentre dans la magie de l'éphémère, là où rien n'existe vraiment tant tout existe bien trop. C'est peut-être ce qui rend chaque moment plus intense encore.