Une Coupe du Monde est en elle-même un événement sportif à l'échelle planétaire. Avant même de commencer le 20 septembre 2019, la neuvième Coupe du Monde de Rugby qui se jouera au Japon présente un aspect supplémentaire de taille : c'est la première compétition internationale de ce sport organisée en Asie ! Parmi les douze villes sélectionnées en novembre 2017 pour accueillir des matchs de la compétition, Kamaishi, petite ville de 3500 habitants située sur la côte pacifique au sud de la préfecture d'Iwate, a été choisie.
Lourdement frappée par le tsunami de 2011, l'organisation de la Coupe du Monde de Rugby par le Japon en 2019 s'est présentée pour la préfecture d'Iwate comme l'occasion idéale de montrer au monde que tous les efforts accomplis jusque là par la population locale ont abouti au chantier du Renouveau. Au même titre que les préfectures de Fukushima et Miyagi, également fortement impactées par le tsunami, qui prendront part aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo en 2020, le Sport démontre qu'il a une part très importante dans la Reconstruction des zones affectées. C'est lors d'un voyage organisé par la préfecture d'Iwate que nous avons pu constater l'énorme évolution de ce chantier, à la hauteur de l'événement qui est en passe de situer le Japon au centre du monde ovale. Le "Tohoku Media Tour" d'août 2019 nous aura permis de comprendre comment cette petite ville qui a été en grande partie balayée par le tsunami de 2011 peut accueillir d'ici quelques jours des événements d'une telle envergure sur les plans sportif et international. En se penchant d'abord sur Kamaishi en tant que "ville du rugby", en revenant ensuite sur son histoire tragique récente liée au tsunami et en dévoilant enfin la toute nouvelle structure prête à accueillir le double événement, la visite des lieux donne un éclairage des plus intéressants sur l'événement qui marquera à jamais la préfecture d'Iwate.
Kamaishi, berceau de la sidérurgie japonaise et ville de rugby, face au tsunami de 2011
La Coupe du Monde de Rugby 2019 est la première qui se tient dans un pays dont le rugby ne fait pas partie des sports traditionnels. C'est même un sport assez récent pour les Japonais qui l'ont découvert à grande échelle lors de la dernière Coupe du Monde en Angleterre en 2015, compétition pendant laquelle l'équipe nationale japonaise s'était faite remarquée, par sa victoire inattendue contre l'Afrique du Sud et par son élimination ensuite. C'était en effet la première fois dans l'histoire de cette compétition qu'une équipe se faisait éliminer à l'issue de la phase de poules après avoir remporté trois matchs sur quatre rencontres.
La ville de Kamaishi est connue comme étant le berceau de la sidérurgie moderne japonaise. Le plus ancien fourneau de style occidental du Japon se trouve au nord-ouest de la ville et a été classé au Patrimoine mondial de l'UNESCO en 2015. Mais le ballon ovale, avec lequel on joue ici depuis longtemps, y a aussi une importance considérable, donnant à Kamaishi le surnom de "City of Rugby" ("La Ville du Rugby"). Avant la fermeture de la dernière aciérie à la fin des années 80, l'équipe locale, la "Nippon Steel rugby club", avait marqué l'histoire du rugby japonais en gagnant huit championnats nationaux, dont sept consécutifs de 1979 à 1985. Les joueurs avaient alors hérité du surnom de "The Northern Iron Men" ("Les Hommes de Fer du Nord"). Rebâti en 2001 avec l'aide de la population et des entreprises locales sous le nom de "Kamaishi Seawaves FC", le nouveau club joue sur les traces de ses illustres prédécesseurs qui ont contribué pour une part importante à la culture et à la fierté de la ville.
Le 11 mars 2011 à 14h36, lorsqu'un séisme de magnitude 9 se produit à une centaine de kilomètres au large, personne ne se doute des conséquences qu'il aura sur la côte. Les gens conscients des risques de tsunami se réfugient dans les hauteurs et, une demi-heure plus tard, une vague de plus de dix mètres de haut vient frapper la ville. En quelques minutes, le littoral est dévasté, les maisons balayées et les habitants qui n'ont pas pu se mettre à couvert emportés dans les flots. Plus de 1100 personnes perdent la vie ce jour-là à Kamaishi. A une cinquantaine de mètres seulement de l'Océan Pacifique, deux établissements scolaires, un collège et un lycée appartenant au groupe Unosumai, ont dû affronter cette folie destructrice de l'océan. La vague a atteint le troisième étage mais les 600 élèves, bien entraînés à ces risques naturels, ont pu échapper à la mort en respectant la consigne la plus simple qui soit en cette situation d'urgence : rejoindre les hauteurs et ne pas regarder derrière pour sauver famille et amis. Leurs écoles ont été détruites mais leurs vies ont été préservées et leurs témoignages serviront à jamais les générations futures.
En symbole de la reconstruction de la ville par l'entremise du sport, et plus précisément du rugby, c'est sur les lieux de ces anciens bâtiments scolaires qu'un stade a été construit. Et c'est d'aillleurs une étudiante survivante qui est venue faire un discours émouvant le 19 août 2018 lors de l'inauguration du "Kamaishi Unosumai Memorial Stadium". Avec un premier match international le 27 juillet 2019 en marge de la Coupe des Nations du Pacifique, opposant les "Brave Blossoms" (l'équipe du Japon) à celle des Fidji. Véritable test-match pour l'équipe à la fleur de cerisiers qui s'est imposée, il a aussi été pour les organisateurs l'occasion de constater que le stade était prêt à accueillir le 25 septembre 2019 le premier de ses deux matchs de la Coupe du Monde de Rugby, qui verra le retour sur sa pelouse de l'équipe des Fidji contre celle de la Namibie.
Le "Kamaishi Unosumai Memorial Stadium"
Au coeur du "Unosumai Recreation Park", le "Kamaishi Unosumai Memorial Stadim", aussi appelé "Kamaishi Recovery Memorial Stadium", qui peut accueillir environ 16 000 spectateurs (avec 6000 places permanentes et 10 000 temporaires), soit la moitié de la population de la ville, est le stade à la plus faible capacité parmi les douze choisis pour la Coupe du Monde de Rugby. Mais pour son Histoire récente et toute la charge émotionnelle qu'il y a autour de lui, c'est certainement celui à la plus forte symbolique. Seul stade situé dans une ville affectée par le tsunami de 2011 et à avoir été construit pour cette Coupe du Monde, certaines de ses caractéristiques sont également très frappantes.
Des entreprises françaises ont apporté leur contribution à sa construction, par exemple pour l'installation des tribunes démontables ou la pelouse hybride qui utilise la technique "Kentucky Blue Grass", la première au Japon, qui offre une adhérence plus forte qu'avec l'herbe normale. En effet, planté sur un gazon spécial comprenant de la fibre de verre, la pelouse prend racine avec la texture artificielle souterraine et permet aux joueurs d'adhérer plus fermement. Le stade offre également une sensation particulière grâce à ses tribunes. Avec près de 5000 sièges en bois issus de 800 cèdres japonais ayant succombé à un feu de forêt en mai 2017, on ressent le stade, bâti selon de solides normes écologiques, comme un espace totalement inscrit dans son environnement naturel. Le but a été de proposer aux spectateurs de vivre en harmonie avec l'une des richesses et caractéristiques de Kamaishi, sa Nature luxuriante. Pour se souvenir du support qu'a reçu la ville après le tsunami, des sièges de couleurs bleu et verte proviennent de différentes villes. Certains viennent donc du Tokyo Dome qui en a fait don à l'occasion de sa rénovation, mais aussi de Kitakami City et de Kumamoto, une ville qui a également souffert d'un important tremblement de terre en 2016. Enfin, pour symboliser le grand renouveau après le désastre, le toit qui recouvre la tribune principale a été construit sous la forme d'une aile d'oiseau ou d'une voile de bateau pour marquer les nouveaux départs et les grandes avancées qui ont été réalisés après le tsunami. Cette image s'imbrique entièrement avec le grand Renouveau que la Reconstruction va amener à Kamaishi et la région. Car derrière l'événement sportif, Takenori Noda, le maire de Kamaishi, souhaite exprimer toute sa gratitude pour l'aide que la ville a reçue à travers le monde, mais aussi créer un grand impact au niveau touristique et attirer de nouveaux visiteurs.
Parmi les idées fondatrices pour la création du stade se trouve la volonté de créer un espace dans lequel des compétitions domestiques et internationales, ainsi que des événements de toute nature, pourraient avoir lieu. Lors de notre visite du stade au milieu du mois d'août 2019 avait lieu un événement destiné à des jeunes venus de différents pays, le "Kamaishi Kids Try", dont le but est de créer un environnement idéal à la pratique de leur sport favori ainsi qu'à des échanges interculturels. Avec toute son équipe, le responsable du projet, Masatoshi Mukouyama, directeur de la coopération internationale pour la "Japan Rugby Football Association" et professeur en management du sport à la "Ryutsu Keizai University", dans la préfecture d'Ibaraki, travaille sur l'importance des relations entre Sport et relations internationales, surtout auprès des jeunes qui représentent l'avenir. Cet ancien joueur et vice capitaine de l'équipe nationale de rugby aimerait que sa passion soit diffusée au plus grand nombre. Il espère développer encore le rugby dans son pays et voir un réel support pour l'équipe nationale durant cette Coupe du Monde.
L'événement est proche, il sera grandiose et les habitants de Kamaishi seront fiers d'accueillir chez eux un événement d'une telle envergure dans leur nouveau stade entièrement dédié au rugby. Nul doute que bière et sake se marieront à merveille pour ces occasions afin de célébrer ensemble la fête du rugby, et avec lui la célébration du renouveau, à Kamaishi. Même s'il est triste de savoir que l'événement festif se bâtit sur un événement tragique, il est quand même incroyable de constater que les hommes ont réussi le pari de la Reconstruction grâce au sport. Grâce à l'entraide internationale également que la ville n'oublie pas et qu'elle a souhaité honorer dans l'enceinte même de son nouveau stade. Une superbe mosaïque constituée de 6000 coquilles Saint-Jacques, mesurant 12 mètres de long sur 2,5 mètres de haut, trône sur la façade de l'une de ses tribunes. Représentant certaines caractéristiques de la région (la statue du Grand Bouddha de 48 mètres de haut, le train Sanriku Railways, un ballon de rugby), le tout très coloré et sur fond de vague, comme pour exorciser tout le mal qu'elle leur a fait, ce "tableau" admirable a été réalisé par les jeunes écoliers de la ville. Tout ceci mis bout à bout constitue l'histoire du Renouveau de Kamaishi qui n'est pas une grande ville mais qui, avec la chaleur et l'accueil que ses habitants réservent à l'événement, promet une immense célébration !
Dates de la Coupe du Monde de Rugby 2019 : du 20 septembre (Tokyo Stadium) au 2 novembre 2019 (Yokohama Stadium).
40 matchs au total : 40 matchs de poules et 8 en phases finales.
Les deux matchs qui se tiendront à Kamaishi :
FIDJI – NAMIBIE : le 25 Septembre 2019 à 14h15
URUGUAY – CANADA : le 13 Octobre 2019 à 12h15