Imaginez un samouraï japonais du XVIIe siècle, en habits d’apparat, marchant dans les couloirs du Vatican. Sept ans plus tard, ce même homme, qui a reçu le baptême chrétien à Madrid sous le nom de Filippo Francisco Faxecura, rentre chez lui… pour découvrir que sa foi est désormais un crime. C’est cette histoire méconnue, fascinante et tragique que raconte Lionel Crooson dans son roman Hasekura – Journal d’un samouraï au Vatican, à paraître le 25 septembre prochain. Un livre entre aventure diplomatique, introspection mystique et passion charnelle, porté par une écriture précise et poétique.


Faire exister les absentes
Ce qui frappe, c’est le ton du roman : tout est raconté à la première personne, comme si Hasekura lui-même écrivait son journal intime, entre deux ports, deux prières ou deux regrets. "Cet ambassadeur avait vraiment écrit un journal en dix-neuf volumes qui a disparu. Alors j’ai imaginé le vingtième", nous confie l’auteur. C’est dans ce journal fictif que surgit Murasaki, courtisane instruite et amante inoubliable, nous ouvrant à une autre facette du voyage, et plus largement, à une autre facette du Japon, souvent oubliée dans les sources officielles. "Un roman sans femmes était hors de question (…) Le monde n’était-il pas pour moitié habité par elles ?"
Quand l’enquête devient roman
Cette alternance entre véracité historique et lyrisme a été rendue possible par un immense travail de recherches de l’auteur. Face au manque de sources françaises et anglaises, le journaliste a dû puiser dans des sources italiennes, japonaises et surtout espagnoles. C’est alors qu’il s’est rendu compte que cette histoire, une fois documentée, permettait d’en faire en réalité plus qu’un simple récit : “Il y avait là un véritable sujet de thèse et, pour moi, de quoi écrire un roman”.
Outre les sources littéraires, Lionel Crooson s’est impliqué pleinement dans son enquête. De l'Espagne au Japon, en passant par l'Italie et les Philippines, il a arpenté le globe tout entier. Pas moins aventurier que journaliste, notre écrivain nous confie que pour y parvenir : “J'ai même bravé la mer de Chine dans des conditions spartiates”. Ces différentes aventures lui ont permis de se situer pleinement dans les différentes étapes géographiques de l’histoire qu’il conte, lui permettant au passage de rencontrer le descendant du seigneur Daté, personnage central de son œuvre.

Un voyage dans le temps
Un travail de recherches qui est également passé par une immersion dans le Japon féodal, moins au travers de vieux traités de bushidō de Yamamoto Tsunetomo et de Miyamoto Musashi, que par les écrits de l’auteur de fictions populaires du XVIIe siècle Saikaku. Un travail de fond qui se ressent également dans un personnage tel que Murasaki, pour lequel Lionel Crooson s’est plongé dans “la lecture de cette merveilleuse romancière du Xe siècle que fut Murasaki Shikibu”, afin de se familiariser au mieux avec son héroïne, nous confie le journaliste passé par National Geographic.

Quand la fiction complète les silences de l’Histoire
Mais face à cette montagne de documents, une chose résistait : l’absence d’âme. “En sept longues années de périples vers des contrées lointaines inconnues des Japonais, il semble peu probable que les membres de cette expédition soient restés de marbre. Les sources étant muettes à ce sujet, la seule rigueur historique ne suffisait pas pour en appréhender la réalité” confie Crooson. C’est là que le rôle du romancier prend tout son intérêt, en donnant une personnalité jusqu’alors occultée à ces acteurs de l’histoire. "Je ne suis pas nippon et encore moins samouraï", admet l’auteur. Et pourtant, il choisit de se glisser dans la peau de Hasekura, quitte à lui prêter des pensées qu’il n’a peut-être jamais eues. "Mais peut-être suis-je parfois tombé juste." Objectif réussi pour l’auteur du Drogman de Bornéo, qui réussit à rendre le personnage de Hasekura aussi passionnant qu’attachant.
Un récit du passé ancré dans le présent
Bien loin d’être un simple récit d’aventure, l'œuvre nous plonge dans une époque lointaine, mais aussi dans des réflexions terriblement actuelles. “Avec Hasekura, nous sommes dans les prémices d’une mondialisation qui s’est mise en place dès cette époque. Entre exil, déracinement, découverte de l’autre avec le choix entre la bienveillance ou l’intolérance, nos contemporains ont de quoi s’identifier aux protagonistes de cette épopée”.
Hasekura, un véritable coup de coeur
Hasekura est sans aucun doute une véritable réussite. On referme ce livre avec ce vertige propre aux grandes fictions historiques : celle de croire avoir touché, un instant, la vérité d’un autre temps. Le mélange de précision documentaire et d’élan romanesque est bluffant. C’est un roman à la fois dense et limpide, poétique sans être pompeux, et sincèrement émouvant. On a été saisi, autant par le souffle de l’épopée que par la douceur des silences. Un vrai coup de cœur. Nous laisserons donc le mot de la fin à l’auteur, qui nous confia en fin d’entretien : “Un seigneur redoutable au machiavélisme à peine dissimulé, un moine franciscain d’une grande sincérité mais incontrôlable, un samouraï en délicatesse promu diplomate ainsi que des missionnaires qui se tirent dans les pattes. Et cerise sur le gâteau, de puissants groupes de pression portugais et espagnols prêts à tous les coups tordus pour que cela échoue ! On était en plein roman d’espionnage. À cette époque comme de nos jours, les États se vantent rarement de ce genre de péripéties, surtout lorsque celles-ci débouchent sur un fiasco. Le pouvoir shogunal a cherché à l’occulter. Idem pour l’Église qui venait de manquer l’un de ses plus beaux rendez-vous avec l'Histoire”.
Et pour éviter de manquer le vôtre, retrouvez Hasekura – Journal d’un samouraï au Vatican, à partir du 25 septembre 2025 aux éditions Synchronique, pour la somme de 22 €.

Article par Achille Franchet et Salem Choplin
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