Suite à notre première rencontre à la Foire du Livre de Bruxelles le 16 mars 2025, Amélie Nothomb a eu la délicatesse d’accepter ma proposition d’échanges par courrier concernant ses deux dernières parutions chez Albin Michel : « L'Impossible retour » et « Le Japon éternel – Voyage sous les fleurs d’un monde flottant ». Ses réponses, brèves comme des haïkus, laissent volontairement la place aux livres. Elles nous invitent à nous y plonger pour en saisir toute la richesse.


Découvrons d’abord, « L’impossible retour », son 33ème roman. Un deuxième entretien suivra le 17 juin 2025.
Adina Mazzoni-Cernus : À l’âge de 5 ans vous êtes arrachée à votre paradis natal, le quartier de Shukugawa de la petite ville Nishinomiya. Le Japon, malgré l'échec de votre réintégration à 21 ans relaté dans « Stupeur et Tremblements », reste « l'amour absolu » de votre vie. Depuis, l’écriture est un remède pour l’âme.
Aujourd’hui, avez-vous trouvé la terre propice pour replanter vos racines définitivement ?
Amélie Nothomb : Non, mais il est bon aussi de ne pas l’avoir trouvée.
AM-C : Les départs comme les retours vous angoissent, malgré la nostalgie « préventive » que vous avez inventée à 3 ans, lorsque votre père vous a avertie que vous quitteriez un jour le Japon.
Depuis votre déracinement, vivez-vous dans une mélancolie constante ?
AN : Non, mais cette mélancolie revient souvent.
AM-C : Au printemps 2023, période qui coïncide avec le troisième anniversaire de la disparition de votre père, vous retournez au Japon à la demande de votre amie photographe Pep Beni. De Kobe à Kyoto, votre hypermémoire se réactive face aux lieux de votre enfance, avant de vous confronter à une forme d’hypermnésie à Tokyo.
Peut-on considérer ce périple comme un double deuil – celui du père, mais aussi celui de l’enfant que vous étiez ?
AN : Oui, en y ajoutant le deuil lié au Japon même. Triple deuil donc.
AM-C : Je vous propose de faire le vide en vous pour retrouver l’oreille de l’enfant que vous étiez à l’âge de 5 ans. Quels sons paisibles entendez-vous ?
AN : Le chant des oiseaux du Kansai.
AM-C : Les avez-vous reconnus lors de ce dernier voyage ?
AN : Oui, je les ai reconnus lors de ce dernier voyage.
AM-C : Vous êtes le guide de Pep Beni autant touristique que culinaire : allant d’un simple bol de riz à l’oeuf cru tamago kake gohan et okonomiyaki aux mets plus délicats.
Etes-vous d’accord avec Roland Barthes qui affirme dans « l’Empire des signes » qu’au Japon même le fade a une saveur ?
AN : Oui, j’appelle cela la fadeur poétique japonaise.
AM-C : Pep Beni a une chance incroyable de vous avoir comme amie, grâce à votre diplomatie, votre patience et votre indulgence face à sa personnalité excessive. Selon vous, est-ce là, la véritable essence de l’amitié ?
AN : Accepter l’autre, c’est l’amitié.
AM-C : Et enfin, vous considérez que les mots peuvent sauver ou tuer. Imaginons une pharmacie littéraire remplie de livres aux bienfaits thérapeutiques. Lesquels conseilleriez-vous et pour quelle pathologie ?
AN : De nombreux ouvrages sont consacrés à ce sujet. Moi, je conseille toujours, pour toutes les pathologies, les « Lettres à un jeune poète » de Rainer Maria Rilke.
De tout cœur, un immense MERCI à Amélie Nothomb pour ses réponses.

Écrivains cités :
- Roland Barth > « l’Empire des signes »
- Rainer Maria Rilke > « Lettres à un jeune poète »
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