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Zero Fucks Given, portrait d’une jeunesse européenne désabusée

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Adèle Exarchopoulos dans Rien à foutre, d'Emmanuel Marre et Julie Lecoustre (2021). 
Écrit par Lou Cercy
Publié le 6 novembre 2021, mis à jour le 9 novembre 2021

Du 10 au 21 novembre, la capitale suédoise accueillera le Stockholm International Filmfestival. Plusieurs films francophones seront projetés, notamment Rien à foutre (Zero Fucks Given), long-métrage d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre, avec Adèle Exarchopoulos dans le rôle principal. Présenté à Cannes en 2021 lors de la Semaine de la critique et lauréat du prix Fondation Gan à la Diffusion, le film s’apprête à faire sa première en Scandinavie. Pour l’occasion, Le Petit Journal Stockholm s’est entretenu avec l’un de ses réalisateurs, Emmanuel Marre.

 

Comment présenteriez-vous Rien à foutre (Zero Fucks Given) ?

Rien à foutre est un film particulier, c’est le bout d’une vie, celle de Cassandre, 26 ans, qui travaille pour Wing, compagnie aérienne low-cost fictive qui ressemble cependant à bien des compagnies réelles. C’est le trajet d’une jeune femme qui s’est réfugiée dans une vie sans attache, enchaîne quatre vols par jour et vit dans une communauté de jeunes hôtesses et stewards qui parcourent l’Europe sans la voir. Si Cassandre arbore au quotidien une sorte d’indifférence générale, un « rien à foutre » qui est celui de sa génération, elle finit par être confrontée aux limites de ce « rien à foutre », en particulier par rapport à un deuil enfoui qu’elle doit affronter. Le film propose un travail de deuil à l’envers : alors qu’aujourd’hui, tout nous pousse à combler le deuil, Cassandre, au contraire, va devoir se reconnecter à un deuil pour se reconnecter à elle-même.

 

Quel a été le point de départ, votre inspiration pour ce film ?

Deux choses nous ont inspiré·e·s, Julie et moi.

Après un changement de siège sur un vol low-cost, je me suis retrouvé au premier rang, face aux hôtesses. L’une d’elles a dû vivre ce jour-là un moment douloureux de sa vie, et je pouvais, pendant le décollage, lire sur son visage une souffrance immense. Une fois en vol, je l’ai vue reprendre son sourire et l’arborer comme un masque avec lequel elle pouvait travailler en oubliant ce qu’elle vivait. Le film est une tentative de raconter une histoire possible de cette hôtesse, ce personnage en apesanteur, et de ce qu’elle avait laissé au sol.

Ce film est aussi un portrait d’une ultra-moderne et ultra-européenne solitude. Il s’agit d’un état de cette jeunesse âgée de 20 à 30 ans, qui arrive sur le marché du travail et à qui est offert un imaginaire du choix éternel, où l’on peut faire tout ce que l’on veut et en faire toujours plus. En même temps, il n’y a rien de plus angoissant que d’avoir des milliers de choix dans la vie. Surtout que Cassandre n’en fait aucun. Elle voulait voyager, mais ne voyage pas ; elle ne rencontre pas les gens, elle les aime pendant deux heures, puis les quitte. C’est de cette solitude que vient le titre, de ce mélange d’indifférence et d’ironie que peut avoir une certaine jeunesse vis-à-vis du futur et de l’engagement.

Le film repose sur une base réelle. À part Adèle Exarchopoulos, presque toutes les actrices sont de vraies hôtesses qui travaillent pour des compagnies low-cost. Nous avons plongé Adèle dans une réalité, et cherché à en dégager quelque chose qui dépasse le film de métier. Ce métier nous intéresse, bien sûr, mais il est aussi hautement métaphorique d’un état du monde.

 

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Adèle Exarchopoulos dans Rien à foutre, d'Emmanuel Marre et Julie Lecoustre (2021). 

 

Qu’est-ce qui vous a convaincu de vous lancer dans ce projet de film à deux ?

Au départ, c’est un projet que je portais seul, pour toute une partie de l’écriture et du financement. En cours de tournage, Julie, qui est aussi ma compagne, m’a rejoint et le projet est devenu un film à quatre mains, signé ensemble. C’est aussi symbolique : alors que le film parle d’enfermement dans la solitude, c’était beau de partager une écriture, surtout après la pandémie qui a divisé le monde. C’était une façon de se réunir, de partager des choses : nous étions une petite équipe, comme une famille, et avons essayé de créer du lien en travaillant de manière artisanale et non industrielle.

 

C’est aussi votre premier long-métrage à tou·te·s les deux. Emmanuel, vous faisiez des court-métrages, tandis que Julie travaillait comme scénariste, et non comme réalisatrice. Quelles difficultés est-ce que cela a représenté ?

La première difficulté est de créer une œuvre qui va durer entre une et deux heures, et de là découlent toutes les autres. Il a notamment fallu plus de jours de tournage. C’est aussi un film tourné en vol et dans plusieurs pays, en France, en Belgique, en Espagne, aux Canaries, en Italie et enfin à Dubaï. À l’ampleur géographique s’ajoutent les difficultés de financement, la nouveauté de travailler avec une actrice connue, ce qui n’était pas prévu au début. La difficulté a été de travailler comme sur un court-métrage dans une industrie du long-métrage où il y a des distributeurs et des vendeurs, et des enjeux économiques plus grands.

 

Comment s’est passée la sélection pour le festival du film de Stockholm ? Que représente pour vous cette première diffusion scandinave ?

Le film a un vendeur international, Charades, qui s’occupe de la diffusion dans le monde du film et que le festival a contacté. Il est très important pour nous que le film soit diffusé le plus possible en Europe : même s’il est belgo-français, le film présente la réalité d’une jeunesse européenne, que nous voulons présenter dans tous les pays.

La Scandinavie est aussi un territoire qui nous intéresse. Même si le film est avant tout l’histoire d’un être humain, il touche aussi à des questions de représentation de la féminité, liées au rôle de l’hôtesse de l’air. Cela nous intéresse de voir comment le public perçoit certaines scènes, comme celle où Cassandre passe un entretien d’embauche pour une société de jets privés et où le recruteur lui fait une proposition qui serait sans doute passible de prison en Suède, ou en Norvège, contrairement à la France ou la Belgique…

Le cinéma scandinave a aussi un rapport à l’ironie et à l’humour assez différent des pays latins. Par ailleurs, certaines de nos scènes sont proches d’un cinéma social plus classique comme celui de Ken Loach ou des frères Dardenne, et ont un rapport un peu plus ironique avec le système. Nous espérons que cela va fonctionner ici. Nous sommes aussi de grands fans du cinéaste suédois Roy Andersson et de son humour noir. Nous voulons vraiment que le public rie et serions très fier·e·s si un peu de cet humour noir scandinave se retrouvait dans le film !

 

Rien à foutre (Zero Fucks Given) sera projeté lors du Stockholm International Filmfestival :

Dimanche 14 novembre, à 15h, au cinéma Park.

Vendredi 19 novembre, à 15h15, au cinéma Sture (salle 1).

Samedi 20 novembre à 18h30, au cinéma Sture (salle 2).

 

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