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Chronique : Panorama politique à 5 mois des élections

Election 2018 SuèdeElection 2018 Suède
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Publié le 3 mai 2018, mis à jour le 3 mai 2018

Chronique politique de Yann Long

Forts d’une économie en bonne santé, les Suédois iront aux urnes début septembre avec d’autres préoccupations que leur porte-monnaie. Les thèmes de la santé et de l’intégration émergent comme leurs préoccupations principales et les partis politiques tentent tant bien que mal d’y apporter des réponses, quitte à parfois paraître renier leurs positions traditionnelles.

Une économie en assez bonne forme

Un chômage à 6,7 % qui prévoit de se stabiliser autour des 6 % dans les quatre années à venir, une croissance du PNB stable à 3 % mais qui baissera d’un point sur la même période, un faible endettement public qui selon les prévisions diminuera à 29 % du PIB en 2021 contre seulement 40 % aujourd’hui, une balance commerciale positive, des budgets annuels constamment excédentaires. Voilà les bonnes nouvelles. Pour les mauvaises, retenons une inflation qui croît, un endettement des ménages toujours menaçant malgré des règles plus contraignantes en termes de crédit bancaire, un ralentissement du marché immobilier, une couronne suédoise qui fléchit face aux devises internationales.

Il existe également des disparités plus spécifiques, par exemple sur le front de l’emploi. La Suède a entre 2011 et 2015 accueilli presque ½ million de réfugiés et on prévoit que la croissance ralentira en partie du fait des difficultés du pays à leur fournir un travail. Le chômage parmi les Suédois nés à l’étranger est ainsi en moyenne quatre fois plus élevé que celui des Suédois nés en Suède, et aujourd’hui près de 40 % des résidants provenant d’un pays hors de l’UE sont sans emploi. Parce que la situation économique est bonne, on estime aujourd’hui à 5-6 ans en moyenne, le temps nécessaire à la communauté immigrée hors UE, en majeure partie non diplômée, pour décrocher un premier emploi.

Ayant récemment dépassé le seuil des 10 millions d’habitants, la Suède fait désormais face à une croissance démographique conséquente, avec plus d’enfants et plus de personnes âgées issues du baby-boom d’après-guerre. Outre ce phénomène qui réclame des mesures d’adaptation structurelles urgentes, le prochain gouvernement devra apporter des solutions nationales et pérennes aux questions de l’intégration, de l’infrastructure (logement aux communications) et de l’éducation, qui vacille par manque de compétences. Sans cela, l’économie et la société suédoise connaîtront sans doute des difficultés majeures à se développer davantage.

 

Elections 2018 en Suède
Photo : tous droits réservés

La santé au centre des préoccupations des Suédois

Selon un récent sondage, la santé est la préoccupation majeure des Suédois (68 %), suivie par l’éducation. L’immigration/l’intégration arrive en troisième place des sujets abordés. En quatrième et cinquième position viennent la sécurité puis l’aide aux personnes âgées. Aux sixième et septième places l’économie puis l’emploi. La question des retraites suit quand des sujets autrefois dominants ferment la marche : l’environnement (9e) et l’égalité hommes-femmes (10e).

Pourquoi la santé ? Selon l’Inspection des services médicaux et sociaux (IVO), les patients se plaignent des délais d’accès aux soins, surtout spécialisés et d’urgence, du manque de personnel soignant, d’égards envers les patients, mais également du manque de coordination entre les services de soins. Vu de l’intérieur, et d’après deux experts, la santé publique souffrirait d’un manque de productivité, de bas salaires (un médecin spécialisé gagnerait deux fois moins en Suède qu’en France par exemple), d’arrêts-maladie en surnombre et de difficultés à retenir le personnel compétent qui partirait vers le privé.

La délégation de service public semble au cœur du problème. Depuis 1992, nombre d’écoles privées en bénéficient avec à la clef des allocations publiques pour chaque élève enrôlé. Mais la qualité n’est pas vraiment là. Pire, des études ont montré une hausse de la ségrégation en général et des qualités d’enseignement très variables entre les écoles.  À long terme, le choix laissé aux parents de choisir l’école de leur enfant, freinera la méritocratie.

Plus généralement, la possibilité pour ces entreprises privées, qui sont souvent devenus des conglomérats nationaux ou internationaux de retirer des dividendes lucratifs de l’investissement public des communes ou des régions est vertement critiquée. Des scandales effrayants, Carema en 2011, ont illustré les pires dérives de la finance : appât du gain rapide, un rationalisme forcené, des personnels en sous-effectif ou incompétents, des personnes âgées abandonnées dans des conditions de salubrité douteuses. Doit-t-on pouvoir s’enrichir sur le dos des contribuables ?

Le bloc rouge-vert (Sociaux-démocrates- S, Verts – MP, Gauche -V) est favorable à une solution du milieu ; instaurer une limitation obligatoire des profits dans la santé, les soins et l’éducation. Remédier à ce problème avait sans doute valu son élection au gouvernement actuel en 2014, mais il n’a pas pu la concrétiser parce qu’il est un gouvernement de minorité.

Gouvernement de minorité et renversement des alliances ?

Avec 43,62 % des suffrages pour le bloc rouge-vert en 2014 se posait dès le départ la question de la possibilité de son maintien au pouvoir, rendu possible par "l’accord de Décembre", une sorte de pacte de non-agression de la part du bloc de droite (Modérés – M -, Libéraux -L -, Chrétiens-démocrates – KD -, Centre – C -). Le gouvernement S a dû pourtant constamment se mettre à la chasse aux soutiens, et pouvait en avril 2018 présenter une vingtaine d’accords parlementaires sur des réformes importantes ce qui a évité à la Suède la paralysie législative sur la mandature.

Les partis politiques en Suède
Les partis politiques en Suède - Photo : tous droits réservés

 

Ces accords ont-ils été une lame à double-tranchant ? Ils n’ont pas été forcément ce qu’il y a de mieux pour répondre aux besoins de réforme structurels du pays – une réforme des chemins de fers est par exemple bloquée. Deuxièmement, ils ont révulsé une partie de l’opinion, l’accord de décembre provoquant même une scission chez les KD. Enfin, ils ont flouté les différences entre les partis et sont sans doute une des raisons du maintien voire de la montée en puissance des Démocrates-Suédois (SD), sciemment tenus à l’écart de toute coopération organisée. Les lignes de fractures ont tangué semble-t-il, et si l’on se remémore les exemples passés (périodes 1950 et 1995-1998) durant lesquels C a participé ou soutenu des gouvernements S, il ne serait pas impossible de voir des nouveaux blocs se former.

Le paysage politique que l’on a connu depuis 30 ans semble en outre se morceler. Trois partis- L, MP et KD - sont menacés d’exclusion du parlement aux prochaines élections parce que les intentions de vote les concernant flirtant avec la ligne des 4 % de suffrages en dessous de laquelle siéger au Riksdag n’est pas possible, parfois bien en deçà. Il est possible que la tradition très développée en Suède des "votes de soutien" des électeurs de partis établis (S et M) leur profite mais rien n’est moins sûr.

Il existe des indices sur le souhait des C de vouloir s’allier les S pour pouvoir gouverner et de se désolidariser de l’Alliance conservatrice, pour ne pas évoquer des possibles conflits d’égo des dirigeants C et M. Dans l’air, les envies, réprimées jusqu’à présent, de la part de l’électorat M de s’allier avec l’extrême-droite des SD, chose qui se repère pour le moment dans une récupération de sémantique politique ou des alliances au niveau local.  Ce dont on est certain c'est qu’aucun parti n’aura la majorité à lui seul. Alors quelle constellation choisir ?

Les partis tirent la couverture des autres à eux

C semble adopter une ligne social-libérale, interventionniste presque humaniste, d’habitude réservée à la gauche, le parti a récemment accepté de s’allier à S, au grand dam de ses alliés conservateurs, pour permettre à des mineurs non accompagnés de rester en Suède alors que leur demande d’asile avait été rejetée (lire notre article sur le sujet ici). Puis ce parti, doté de sa populaire dirigeante Annie Lööf, propose de mettre la branche santé sous perfusion budgétaire, promettant par exemple la hausse des salaires des infirmières et l’engagement de davantage de médecins.

Vote septembre 2018 en Suède
Photo : tous droits réservés

 

M proposait le 28 avril dernier entre autres de mettre en prison tous les jeunes condamnés de 15-18 ans, au lieu de les envoyer en centres de détention, et d’augmenter les effectifs policiers. Le ton est donné. Cette ligne radicale se retrouve aussi dans leur proposition de modifier sur le fond le droit du travail hérité de la gauche des années 1982, chose que même l’Alliance conservatrice de Reinfeldt entre 2006 et 2014 n’avait osé faire. Ils proposent enfin un durcissement des conditions de demande d’asile. Une droite à l’écoute aussi de l’opinion : ils proposent des subventions massives pour la Santé, tout en étudiant la possibilité d’étatiser ce système et avec les KD et les SD de supprimer l’échelon régional, selon eux par soucis d’économie. Le 29 avril un débat télévisé national montrait les leaders M et SD débattre seuls et ensemble. En baisse dans les sondages, M exclue la coopération avec SD, mais, reprenant leurs thèmes de campagne, qui sait pour l’avenir ?

Quant à S, il revendique aujourd’hui une ligne dure sur l’immigration. Le gouvernement Löfvén a ainsi récemment proposé d’instaurer l’obligation d’apprentissage du suédois pour les demandeurs d’asile et les étrangers bénéficiaires d’aides sociales, l’interdiction de la mendicité, d’envoyer les militaires dans les banlieues sensibles, d’agir au niveau européen pour plus de contrôle des frontières. La ministre de l’économie Magdalena Andersson a été jusqu’à déclarer que "la Suède n’a pas besoin de femmes de ménage ou de plongeurs d’autres continents". Et prévoit de recruter 10.000 nouveaux policiers d’ici 2024. Sur les affiches de campagne est inscrit "la criminalité ne doit jamais être une carrière".

Cette politique sécuritaire et de contraction de la générosité, alliée à une politique sociale-démocrate de redistribution, ne semble pas vraiment profiter à S. Crédité d’une trop courte avance dans les sondages, S semble reculer au profit de SD et de C, alors que le parti ambitionne de les concurrencer sur leur terrain tout en gardant ses alliances traditionnelles à gauche. Et c’est désormais tout l’édifice S qui tremble. Le renvoi récent de la PDG de l’Agence nationale suédoise de la sécurité sociale l’illustre. Mandatée par le gouvernement actuel il y a trois ans pour durcir l’octroi d’allocations sociales et de remboursements de frais de santé, elle avait simplement trop bien accompli sa mission, ce qui s’est révélé être impopulaire. Est-ce qu’une hausse conséquente des allocations aux retraités suffira ?

Seuls les SD semblent connaître une certaine sérénité. Adoptant une stratégie de dédiabolisation, excluant ses membres ouvertement racistes – qui ont créé de leur côté un nouveau parti, Alternativ för Sverige – satisfait mais dénonçant tous les partis établis de lui emprunter ses idées et les enjoignant à coopérer avec eux, comme cela se passe déjà dans tous les autres pays nordiques voisins. Espérant la coopération avec la droite Modérée, ils semblent déjà aller dans ce sens, proposant par exemple des allègements fiscaux pour les entrepreneurs.

Gageons que dans cette ambiance sécuritaire et brouillonne, d’autres rebondissements auront lieu d’ici septembre. En tout état de cause, au 29 avril 2018, les sondages montraient les rapports de force suivants : S 27,2 %, V 8 %, MP 4,1 %, M 22, 1 %, L 4,8 %, KD 3,4 %, C 10 %, SD 16,8 %, autres, 3,6 %.

Yann LONG, 3 mai 2018

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