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Les mineurs non accompagnés en Suède : une situation complexe

Manifestation à Segels Torg - 18 Février 2018 – Photo : Killian MOREAUManifestation à Segels Torg - 18 Février 2018 – Photo : Killian MOREAU
Manifestation à Segels Torg - 18 Février 2018 – Photo : Killian MOREAU
Écrit par Killian Moreau
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 4 mai 2018

Dimanche dernier se rassemblait sur la place Wallenberg Torg au centre de Stockholm des personnes venues de toute la Suède pour faire entendre la détresse des mineurs non accompagnés, majoritairement Afghans. On considère comme mineur non accompagné toute personne de moins de 18 ans, isolée de ses représentants légaux.

Des manifestations dans la capitale suédoise

Stockholm n’en est pas à sa première manifestation sur le sujet. Cependant, le 29 avril dernier ce sont cette fois-ci des personnes venues de l’ensemble de la Suède qui se sont rassemblées autour du mouvement : #vistårinteut (Nous ne pouvons pas le supporter). "Vistårinteut" constitue un réseau de près de 11 000 enseignants, psychologues, travailleurs sociaux, juges, médecins et volontaires de la Suède entière. Ils se rassemblent autour des problématiques traversées par les mineurs non accompagnés à leur arrivé sur le territoire.

Leurs revendications1 sont les suivantes : cesser les déportations de mineurs non accompagnés, accorder à tous les mineurs non accompagnés sur le sol suédois depuis plus d’un an une amnistie de réfugié, arrêter les relocalisations des jeunes en cours de procédure d’asile.

 

Manifestation à Segels Torg - 18 Février 2018 – Killian MOREAU
Manifestation à Segels Torg - 18 Février 2018 – Photo : Killian MOREAU

 

Changement de politique migratoire

La Suède est connue pour sa politique d’ouverture qui fait d’elle un pays d’immigration depuis les années 19302. En 2015 par exemple, la Suède accueillit 34 2953 mineurs migrants non accompagnés contre 7 0453 l’année précédente. La majorité de ces jeunes viennent d’Afghanistan, ils fuient une situation économique qui ne laisse pas de place à l’avenir et des tensions avec les Talibans qui menacent leurs existences. Le gouvernement Löfven a pris la décision en novembre 2015 de revoir sa politique d’accueil laissant l’année suivante 2 1903 mineurs migrants non accompagnés demander l’asile. Cette période aura donc marqué la limite de la politique d’ouverture suédoise suite à la saturation du processus de demande d’asile.  

Un parcours migratoire complexe, une reconnaissance chaotique

Lors de la manifestation dimanche, Elisabet Rundqvist, dévouée à la cause de ces jeunes depuis des années, fait le récit d’un processus d’asile défectueux. Fardeen Hadi4, jeune Afghan qui a eu la chance de croiser Elisabet sur son chemin, résume rapidement son histoire dans l’agitation de la manifestation.

Fardeen a quitté avec sa famille la région de Baghlān au nord de Kaboul en 2015. En Turquie, il perd leurs traces et continue sa route vers l’Europe, seul. Une fois en Allemagne, la situation est difficile pour lui, le regard fuyant, il explique qu’un de ses amis allait en Suède et c’est ainsi qu’il a décidé de le suivre. Elisabet intervient explicitant que l’état psychologique de Fardeen l’a conduit à plusieurs reprises à penser au suicide. Arrivé en Suède dans la ville de Malmö, il y restera 20 jours avant d’être relocalisé dans une première ville puis une seconde, Gävle. La relocalisation des mineurs non accompagnés doit pouvoir aider à leur prise en charge, cependant, elle provoque également la perte de proches rencontrés sur les routes migratoires ou à l’arrivé dans le pays d’accueil.

Lors de sa demande d’asile, on questionne la véracité de ses papiers, son identité, son parcours, et bien qu’il dise avoir 16 ans, on lui en donnera 18. Il est placé dans un centre pour adulte, où sa situation psychologique se détériore. Isolé dans un environnement inadéquat, il ne peut pas communiquer avec l’entourage du centre qui parle majoritairement arabe. Fardeen se réfugie alors dans sa correspondance avec Elisabet, évoquant ses envies de suicide. Une étude5 issue de Karolinska Institutet montre que les mineurs migrants non accompagné font face à un risque de suicide 9 fois supérieur en comparaison avec la même tranche d’âge dans la population suédoise.

 

Wallenberg Torg - 29 Avril 2018 - Killian MOREAU
Wallenberg Torg - 29 Avril 2018 - Photo : Killian MOREAU

 

Elisabet signe alors les papiers en avril 2017 pour sortir Fardeen Hadi du camp de réfugié. Il est ensuite placé avec une famille d’accueil qui lui trouve une école, un suivi psychologique et médical. La situation de Fardeen requiert une surveillance accrue, il souffre de stress post traumatique et tentera plusieurs fois de se suicider. La famille d’accueil et Elisabet forment un cadre soudé autour de Fardeen et parviennent à le soutenir pour qu’il survivre.

Ensemble ils font appel de la décision sur son âge. Elisabet dénonce un travail bâclé de la part du juge et de l’agence des migrations en charge des demandes d’asiles. Ensemble, ils vont jusqu’à la Cour administrative d'appel de l'immigration (Migrationsöverdomstolen), la plus haute instance juridique sur la question. Elisabet avoue qu’ils ont eu une chance inestimable car seuls 1% des cas sont présentés devant cette Cour. Ils obtiennent ainsi gain de cause, le juge de la Cour administrative reconnait les erreurs passées. La décision de classer Fardeen comme un adulte sera annulée par une réaction en cascade et la demande d’asile peut dorénavant s’effectuer selon la procédure pour les mineurs non accompagnés.

Le processus aura pris 2 ans... Des heures d’acharnement de la part de Fardeen et Elisabet. Le dossier présenté pour l’appel faisait 9 pages, 21 annexes, des rapports médicaux, 10 documents provenant d’Afghanistan, des emails, des conversations imprimés et des rapports sur la situation Afghane autour du sujet des Talibans. Elisabet explique que Fardeen est de retour à la case départ, il est entré sur le territoire en tant que mineur et le revoilà en bas de la chaîne pour obtenir le droit de rester en Suède.

 

Elisabet et Fardeen - Wallenberg Torg - 29 Avril 2018 – Killian MOREAU
Elisabet et Fardeen - Wallenberg Torg - 29 Avril 2018 – Killian MOREAU

 

Le récit de Fardeen et d'Elisabet est rare puisqu'il a été reconnu qu’une erreur avait été commise par les acteurs de la demande d’asile. Malheureusement, pour de nombreux autres jeunes la situation est bien plus terre à terre et ils sont rapatriés de la Suède vers l’Afghanistan.

La place du débat dans la politique actuelle

La principale opposition aux réformes permettant d’améliorer la situation des mineurs migrants non accompagnés se situe du côté de "Alliansen", la coalition centre-droite suédoise qui jusqu’à récemment restait unie sur la question. Le 24 Avril dernier, le parti du centre (Center Partiet) annonçait sa désolidarisation de l’Alliance pour soutenir le gouvernement sur une réforme donnant une chance aux mineurs non accompagnés ayant effectué leur demande avant le 24 Novembre 2015 de rester en Suède6. Ce changement de position au sein de l’opposition peut faire passer la réforme qui concernera environ 9 000 jeunes. Elisabet confie être soulagée de voir que le parti du centre fait un pas en faveur des mineurs non accompagnés bien que cette proposition ne soit exactement conforme à celle exprimée par #vistårinteut. Il s’agit selon elle d’un message fort envoyé aux électeurs dans un contexte de campagne électorale (relire notre article sur le sujet ici)

L’opposition à droite (Démocrates de Suède et Parti Modéré) dénonce un coût élevé de prise en charge des demandeurs d’asiles. Un autre argument régulièrement utilisé par l’opposition est les résultats de la détermination de l’âge par le biais d’un test médical. Ce test selon l’agence nationale de médecine légale présente des résultats qui dans 80% montre que la personne a plus de 18 ans7. Ce test s’ajoute en dernier recours au discours de la personne et à la vérification de ses papiers légaux pour déterminer son âge. Les agissements de l’agence nationale de médecine légale et du système juridique qui opère ses tests médicaux sont cependant vivement controversés. Plusieurs médecins critiquent les méthodes  "peu scientifiques" employées8.

L’expérience de Fardeen ne semble donc pas être un cas isolé, il est l’illustration d’un système imparfait dans lequel des enfants finissent par se perdre.

 

"Stop Deportation..." - Segels Storg - 18 Février 2018 – Killian MOREAU
"Stop Deportation..." - Segels Storg - 18 Février 2018 – Photo : Killian MOREAU

 

Notes:

1 Vi skapar medvind och går in i valmode (Apr 28, 2018), Pressmeddelanden. Retrieved from  https://bit.ly/2HEsmyr

2 Statistiska centralbyrån (2018), Sveriges folkmängd från 1749 och fram till idag. Retrieved from https://bit.ly/2HBQmlZ

3 Eurostat, (2018). Asylum applicants considered to be unaccompanied minors - annual data. Retrieved from https://goo.gl/rL3v4w

4 Afin de conserver l’anonymat, le nom et prénom ont été inventé

5 Karolinska Institutet (2018). Significantly increased suicide risk among unaccompanied refugee minors. Retrieved from https://bit.ly/2HFbYtI

6 Sveriges Radio (2018) Center Party backs proposal on young asylum seekers. Retrieved from https://t.sr.se/2I1VPSg

7 The Local (2017), New results of Sweden's asylum age assessment tests released. Retrieved from https://bit.ly/2vCLmqB

8 Expressen, (2018). Läkare fortsätter skriva under kritiserade åldersbedömningar. Retrieved from https://bit.ly/2KjtwNH

Killian Moreau, 4 mai 2018

Killian Moreau Stockholm
Publié le 4 mai 2018, mis à jour le 4 mai 2018

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