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Singapura - Episode 7

Singapura Episode 7Singapura Episode 7
Écrit par Bertrand Fouquoire
Publié le 23 novembre 2017, mis à jour le 11 décembre 2017

Lepetitjournal.com/singapour vous propose depuis plusieurs semaines un rendez-vous hebdomadaire, chaque vendredi, avec un feuilleton dont les expats à Singapour sont les héros.

Episode 7 – Paul

Sous des prétextes variés, Paul avait progressivement avancé son départ de la maison, près d’Orchard Road, jusqu’à s’échapper désormais, dès le lever du jour. En quittant le parking du condo, il ouvrait machinalement la fenêtre de sa voiture et aspirait avec avidité l’air encore frais, tel un fumeur tirant sur sa première cigarette. Odile se réveillant en même temps que lui, ils prenaient le petit déjeuner ensemble, mais la conversation se résumait généralement à des échanges de banalités. D’ailleurs, à cette heure, il n’avait pas envie de parler. Entre sommeil et rêverie, il se plongeait avec une curiosité inconsciente dans les dessins que formait la fragile écume à la surface du thé. Il écoutait en fond le bourdonnement de la BBC. Odile lui disait des choses dont il ne saisissait pas les mots. Et pendant qu’il somnolait encore, il la voyait s’activer auprès de la maid et des enfants. C’était comme un nuage peuplé de bruits incessants mais insaisissables, de mouvements brefs, de portes qui s’ouvrent et se referment, de formes qui envahissent l’espace et s’évaporent. Certains instants, Paul s’efforçait de faire la mise au point. Il apercevait clairement alors le visage d’Emilien ou répondait aux questions d’Astride. Mais il replongeait aussitôt dans la bulle protectrice qu’il s’était construite, sorte de sas entre le monde de la nuit, terne et convenu, et celui du jour, au travail, tellement plus stimulant.

Le bureau, à cette heure matinale, n’était qu’à vingt minutes de route de son domicile. Il écoutait invariablement Mozart pendant le trajet. Quand il arrivait tôt le matin, l’open space, éclairé çà et là, bourdonnait en sourdine. Mei se précipitait pour l’accueillir. Il eût aimé avoir un manteau pour qu’elle l’aidât chaque jour, à l’enlever. Sentir comme un souffle ses mains délicates saisir au dessus de ses épaules la lourde pelisse dont il ne sentirait plus le poids avant tard le soir, quand il rentrerait chez lui. Mais comme il ne portait plus ni veste ni cravate depuis qu’il vivait à Singapour, il en était réduit au plaisir simple de la regarder quand, quelques minutes plus tard, elle lui apportait son café.

C’était ensuite, assis à son bureau, comme une nouvelle réalité qui s’éveillait. Tandis que l’écran de son ordinateur s’éclairait et que déjà se déroulait la liste des messages, souvent de France, arrivés pendant la nuit, il puisait son énergie de la journée à venir dans l’arôme puissant de cette première tasse de café. Il avait 30 minutes devant lui pour répondre à ses mails et réfléchir en silence aux enjeux du jour. C’était un moment presque sacré pendant lequel Mei montait la garde avec une désarmante efficacité. C’était incroyable la masse de travail qu’il abattait pendant ce bref intermède, comme s’il était dans un rêve, et que défilait pendant un court laps de temps, un flot d’images, qui lui semblait, une demi-heure plus tard, l’avoir occupé déjà toute une journée.

A 8h moins 10, Mei venait faire le point de l’agenda. Il passait en revue avec elle les rendez-vous de la matinée… En l’espace de quelques mois, la jeune Singapourienne, toujours impeccablement maquillée, le corps moulé dans une robe noire, lui était devenue indispensable. Elle était sa Personal Assistant (PA), un concept dont il n’avait eu qu’une vague idée en Europe. Elle prenait un soin holistique de sa vie, au bureau comme à la ville, pour lui permettre, ainsi que l’eût fait naguère la servante d’un grand prêtre, d’officier dans toute la lumière sacrée du business. Elle était au courant de tout et connaissait, par exemple, les jours anniversaires et les goûts d’Odile, d’Emilien et d’Astrid. Paul ignorait  comment elle avait fait pour connaître et mémoriser ces détails. Il ne se souvenait pas de s’en être jamais ouvert auprès d’elle. D’ailleurs, il était généralement extrêmement discret sur sa vie en dehors du travail et s’attachait au contraire à maintenir des cloisons étanches entre les deux mondes. C’était sans doute Odile qui lui aura raconté sa vie. Il espérait seulement qu’elle n’avait pas confié à Mei jusqu’à la taille de ses slips.

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