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Singapura - Episode 5

Singapura Episode 5Singapura Episode 5
Écrit par Bertrand Fouquoire
Publié le 29 septembre 2017, mis à jour le 11 décembre 2017

Lepetitjournal.com/singapour vous propose depuis plusieurs semaines un rendez-vous hebdomadaire, chaque vendredi, avec un feuilleton dont les expats à Singapour sont les héros. 

Episode 5 – Lettre de Solène à sa tante

Ma chère Tatie,

Je devrais dire ma chère Auntie, comme on le fait ici. Sauf que Auntie est utilisé ici par n’importe qui, sans qu’il existe nécessairement un lien de famille, quand on s’adresse à des personnes plus âgées. Les enfants sont systématiquement invités à appeler les adultes uncle ou auntie. Ca m’a fait tout drôle quand on m’a moi même appelée auntie. Je dois dire que je m’y suis bien habituée et que je trouve cela très mignon. C’est étonnant comme les mots sont chargés d’émotion et tissent, l’air de rien, des liens d’une nature particulière entre des personnes qui étaient étrangères l’une à l’autre quelques instants auparavant. Lorsque je vais faire mes courses au Cold storage, je croise beaucoup d’hommes et de femmes qui travaillent à la caisse ou bien mettent les articles dans des sacs plastiques. Certains sont très âgés. Tu ne peux pas imaginer. J’en ai vu un cet après midi, tout bossu, qui poussait un chariot rempli de bouteilles d’eau dans les rayons. Il était si maigre et fragile qu’on se demandait comment il parvenait à faire seulement bouger son chariot. Quel âge pouvait-il avoir ? On a du mal à savoir avec les asiatiques. Celui-là, je lui aurai donné 80 ans, à voir la façon dont il marchait le dos courbé. Peut-être que j’exagère. Mais quand même, le fait de voir des gens âgés travailler ainsi a quelque chose de choquant, surtout dans un pays comme Singapour, où les gens ont un niveau de vie élevé. Il y a quelque chose de gênant dans cet ordre des choses. Chacun semble vouloir profiter au maximum de son confort individuel et mener un train de vie qui te paraitrait exorbitant, en s’affranchissant des solidarités traditionnelles. Mais c’est un autre sujet. Je t’en reparlerai probablement dans d’autres lettres car c’est un aspect qui m’étonne et me passionne. C’est sans doute mon coté anthropologue qui s’exprime. Le point que je voulais partager avec toi c’est surtout celui-ci : il y a malgré tout une grande tendresse qui s’exprime entre les gens quand les uns s’adressent à leurs ainés en les appelant uncle ou auntie. Ce vieux monsieur qui poussait son chariot, j’ai vu une femme s’adresser à lui  en l’appelant uncle et en le désignant ainsi à son fils. J’ai eu l’impression un instant que le petit vieux avait retrouvé une famille et je crois même que je l’ai vu sourire. Si Vincent m’entendait, il se moquerait de moi et dirait que je suis bien trop candide. Il n’aurait pas tort. C’est vrai qu’on est, à l’inverse, souvent témoin de scènes qui sont à la limite de l’indécence, comme ce vieil homme, encore un, qui nettoyait le sol à l’extérieur d’un centre commercial et qui s’est fait violemment apostrophé par un jeune homme - était-ce son boss ou un simple passant ?- qui l’a ramené -  le vieux, son seau et sa serpillère- à un endroit où il y avait sans doute une saleté qui n’avait pas été nettoyée, comme on ferait avec un chien, lui mettant le museau dans la M… pour lui apprendre à ne pas recommencer.

Ma très chère Tatie, tu me manques tellement. Heureusement qu’il y a la possibilité de s’écrire pour prolonger à distance ces moments privilégiés où je venais prendre le thé chez toi et où tu m’écoutais, toujours avec une incroyable bienveillance, te raconter mes découvertes, mes rêves et mes frustrations, ce qui, réflexion faite, ne devait pas toujours être bien passionnant. Comment vas-tu ? Continues-tu de faire ces longues promenades dans le parc du château ? Tes élèves ne te donnent-ils pas trop de soucis ?

Pour te donner quelques nouvelles, tout va bien ici à Singapour. Après deux semaines de recherche, nous avons fini par trouver un petit appartement en collocation, avec un couple singapourien (elle est d’origine indienne, lui d’origine chinoise) dans un quartier qui s’appelle Tiong Bahru. C’est inespéré, car tout ce que j’avais visité par ailleurs était si cher. Je n’en pouvais plus du camping que nous faisions Vincent et moi, dans une guesthouse de Chinatown. L’appartement est assez vintage mais il est mignon. Il se situe dans un petit bâtiment tout blanc, de style Art déco, comme il y en a beaucoup dans le quartier.  A l’intérieur, le confort est limité. Les pièces sont petites, et la cuisine est très mal équipée. Mais c’est propre et c’est visiblement bien conçu pour que l’air circule abondamment. Et crois-moi ce n’est pas du luxe. Imagine-toi qu’il fait actuellement 35°. La nuit, nous mettons la clim dans la chambre. Cela permet de dormir au frais et de chasser un peu l’humidité qui, sans cela, imprègnerait nos affaires ( lorsque j’ai voulu utiliser des chaussures que je ne mets jamais et qui étaient donc dans le placard depuis notre emménagement, je me suis aperçue qu’elles étaient couvertes de moisissures). Le quartier, lui, est vraiment très agréable. Cela ne ressemble absolument pas à l’idée que nous nous faisions de l’Asie. C’est très anglais, très propret. Il y a un coté village. Je ne sais pas comment te le décrire. C’est un mélange de quartier traditionnel et de quartier Bobo. En se baladant, il y a plein de coffee shops, de restaurants branchés dans tous les styles et de magasins qu’on imaginerait aussi bien à Sydney. Il y a même une boulangerie française, qui vend des Kouignamans et des croissants. c'est hors de prix, mais ils ont un tel goût de France qu’on ne résiste pas, surtout quand on a une baisse de moral (rassures-toi, cela n’arrive pas souvent). J’ai pris l’habitude d’y commencer ma journée le matin, quand Vincent est parti travailler. Je commande un café latte et je travaille sur place pendant au moins deux heures. Après quoi je vais faire les courses et passe souvent à la French Bookshop, la librairie française, souvent davantage pour parler avec la personne qui tient la boutique, que pour acheter des bouquins car j’ai bien assez à faire avec ma thèse sur Flaubert.

Je m’aperçois que je ne t’ai pas parlé de Vincent. Est-ce Flaubert qui m’y a fait pensé ? Il est adorable. Il est toujours plein d’attention et me raconte plein de choses sur ce qui se passe à son bureau. Je t’avoue que c’est important parce que mon cercle de relations, à part ça, est un peu limité.  Le soir, il est souvent crevé. J’aimerais bien qu’on sorte pour découvrir d’autres endroits à Singapour, mais je comprends parfaitement qu’il ait envie de rester tranquille à la maison. On en profite pour passer ensemble des soirées très tendres où l’on reste serrés l’un contre l’autre, parfois simplement occupés à lire, parfois en refaisant le monde, car Vincent, comme tu as pu t’en apercevoir quand nous étions venus déjeuner chez toi, est du genre passionné. Le week-end, je prends les choses en main. J’ai établi un plan de visites serré. Pas question de ne rien voir ni rien connaître du pays comme je le constate parfois en discutant avec d’autres expatriés. C’est étonnant comme les gens se plaignent souvent que Singapour ne présente aucun intérêt, ou bien qu’elle soit, selon eux, une ville complètement artificielle, alors qu’ils n’ont pas fait le premier effort pour la découvrir et pour en sonder toutes les richesses. C’est vrai que Singapour n’est pas Paris, ni Londres ou New York, mais elle n’est pas la « boring city », la ville ennuyeuse, que certains décrivent.  Je reviens à Vincent. Décidément tu dois te dire que ma lettre part dans tous les sens, où est donc passé la rigueur de celle que tu appelais ta petite magicienne de la rédaction ? Il travaille beaucoup, mais je crois qu’il est assez content de ce qu’il fait.

A très bientôt ma Tatie. Mille baisers sucrés.  – Solène

Bertrand Fouquoire
Publié le 29 septembre 2017, mis à jour le 11 décembre 2017

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