Singapour est une île. Immense. Un archipel de 64 îles. Qui s'étend, s'agrandit. On voit au loin les étendues de sable qui gagnent sur la mer l'espace nécessaire à l'expansion, à la grandeur d'une ville qui se voit toujours plus grande. Singapour se construit sur la mer, s'élève sans fin dans le ciel, se démembre en dizaines de bras sous la terre.
Singapour n'a pas perdu de sa présence marine. En habitant ici, on ne peut oublier que Singapour est une île et que ses richesses sont aussi marines, sa force est aussi dans ses rivages, ses digues et son port. Mais si on allait y voir de plus près…
Droit devant, face à la ville, des dizaines de petites îles s'offrent au regard.
64 îles comme des secrets enfouis, des légendes oubliées, des terres à redécouvrir et à – de toute urgence – laisser vierge.
Plusieurs embarcadères (Marina at Keppel Bay, par exemple) proposent des traversées quotidiennes pour aller passer la journée sur ces îles, notamment Saint-John et Kuzu Islands.
Quitter Keppel Harbour et se diriger vers le large. Dépasser Sentosa Resort et les baraquements militaires. Sentir le sel sur ses mains.
La digue annonce le lagon. Une dizaine de bateaux mouille dans la baie. Les enfants font du kayak ou de la planche à côté du voilier pendant que les parents se reposent sur le pont.
Infinity sails Sea duction Galene Tumedo
Ces îles abritent une belle végétation où les cocotiers croisent les banians, des plages calmes et authentiques. On peut y trouver le célèbre temple de Da Ba Gong et observer une vie marine plutôt riche. De quoi ouvrir son horizon et voir plus loin que Sentosa.
Voir s'éloigner le cœur de la ville
Sensation de lointain, de profondeur, d'évasion. D'exotisme.
Il faut imaginer les premiers explorateurs qui ont découvert Singapour par la mer. Ils n'ont pas vu les condominiums et les villas avec vue sur mer.
Vibrer au roulis du bateau
Le dos appuyé sur le bastingage
A bâbord, voir les buildings s'éloigner et rétrécir à l'approche du large
A tribord, Marina Bay soudain caché par des palmiers
Le ciel dessine une ligne où les cargos se reposent.
Une ligne d'horizon chargée de containers
Qui contiennent des marchandises du monde entier
Et beaucoup de patience.
Des centaines de cargos posés là deviennent comme des îles des villes minuscules et gigantesques où tout s'organise en attente de départ d'arrivée de retour de chargement de déchargement incessant continuel, comme le flux le reflux des vagues. En attente de rivage et d'horizon. Les gardiens de l'océan.
Singapour, c'est un archipel de 64 îles dont beaucoup présentent un intérêt: s'enfuir du bruit et de la vitesse downtown pour profiter du calme de la mer et d'une légère brise marine…Prendre le large. Il est bon de venir faire face à l'horizon, sur le pont les pieds dans l'eau, s'imaginer sur un trois-mâts à la recherche d'un trésor sur une île mystérieuse…Prendre du recul de la hauteur du repos. Pour ne pas chavirer sur notre barque terrestre, ne pas succomber au mal de terre. Il existe des pêcheurs qui une fois sur le quai titubent d'un pied sur l'autre et leurs idées perdent le nord.
La mer est celle qui fait tanguer tous les navires et pourtant elle apporte l'équilibre.
Bien souvent la mer apporte plus que la nourriture ou le loisir, elle apporte une douceur de vivre et rythme le quotidien, régie les activités. Dans certaines îles du Pacifique, la mer est la grande gardienne de l'ordre du jour, c'est elle qui dicte les nécessités, les travaux, les besoins. C'est elle l'intendante.
La mer accueille ses passagers avec une brise d'eau claire et veille sur la course des vagues
La mer veilleuse
Elle ramène des trésors et des naufragés
De quoi survivre et s'enivrer
Tourner le dos aux buildings
Et aux sirènes d'une vie à toute allure
Retrouver le balancement léger
Et la fraîcheur des embruns
Au-dessus des cargos immobiles passe parfois un avion qui lui aussi connaît les allers les retours les aléas du transport.
L'immobile rencontre le mouvement
C'est cela la mer: elle ne bouge pas, mais ses vagues sans cesse travaillent
La mer, c'est un souffle et un parfum d'aventure, de voyage au long cours, des bateaux en partance pour des destinations lointaines. C'est la lenteur et l'attente qu'il faut lui accorder pour qu'elle nous mène à bon port. Il ne faut pas dominer la mer mais bien la connaître, la respecter, l'apprivoiser, faire avec ses humeurs pour apprendre à naviguer…
La mer décide toujours.
Si la découverte avait un regard, il serait marin.
Arriver depuis la mer, c'est voir depuis l'origine. L'origine de la vie et de la vue. La mer, là d'où vient toute forme de vie et toute forme de regard. Là d'où vient toute flotte d'explorateurs, tout ferry de croisière, tout dauphin faisant le tour du monde. Voir depuis la mer, c'est voir comme celui qui est arrivé ici en premier, pour qui tout était encore inexploré. C'est approcher cette sensation du Nouveau-Monde. C'est s'approcher avec lenteur du port. Dévisager les cargos qui brisent l'horizon comme une muraille d'acier. Frémir les embruns. Etre seul face à l'immensité. Si le regard avait une origine, elle serait marine.
Voir depuis la mer, c'est voir depuis là où est venu le premier regard. C'est s'offrir un regard neuf sur la silhouette du monde, un regard d'explorateur ravi. C'est avoir les yeux écarquillés par les formes de la terre lorsqu'elle épouse la mer. C'est rester émerveillé. C'est voir Singapour à travers la même ligne d'horizon que les premiers explorateurs ayant mis le cap sur la ville du Lion.
Partir en mer, c'est partir pour revenir et redécouvrir.
Le premier pied posé ici qui venait de loin fut un pied marin
Le cœur libre
les vagues furieuses
s'approchent se retirent
Me voici
là où le bleu de la mer
est sans limite
Toute la journée
Sans un mot
Le bruit des vagues
Le bruit incessant des vagues
Ma vieille maison natale
Si loin
Santoka (poète Japonais)
Marien Guillé (www.lepetitjournal.com/singapour) republié mercredi 16 juillet 2014
Les CHRONIQUES DU POETE DE PROXIMITE sont une manière différente de réagir à l'actualité. Lepetitjournal a donné carte blanche à Marien Guillé, pour qu'il laisse courir sa plume et vous propose, chaque semaine, le mercredi, à la place des brèves, un regard poétique sur les sujets qu'il aura glané à Singapour et qu'il lui prendra la fantaisie d'évoquer sous des formes variées.

















