Véronique Helft-Malz, auteure et professeure de science politique (écoles de journalisme, université de la Sorbonne en Droit International des Affaires sur le Campus de l’INSEAD à Singapour) s'est passionnée pour les femmes politiques. Elle a cofondé une société de conseil dans l’interculturel, Culture-i, traitant des problématiques autour du Quotient Culturel. Elle est l’auteur du Que Sais-je "Les femmes dans la vie politique française" (Editions P.U.F. 2000). Installée à Singapour depuis 2007, nous lui avons posé quelques questions :
Lepetitjournal.com Singapour : Pourriez-vous décrire rapidement votre parcours ?
Véronique Helft-Malz : Professeure en écoles de journalisme à Paris, je me suis spécialisée avec mon doctorat en science politique sur la représentation des femmes dans la sphère publique. J’ai publié plusieurs ouvrages sur les femmes politiques françaises. A mon arrivée à Singapour, je me suis rapidement intéressée au management interculturel, un sujet novateur à l’époque, dispensant, en 2012, le premier cours en la matière dans le cursus de Droit international des Affaires à la Sorbonne sur le campus de l’INSEAD. Forte de cet enseignement, j’ai cofondé une société de conseil dans l’interculturel, « Culture-i », aidant les entreprises et les particuliers à résoudre de nombreuses problématiques, en faisant notamment levier sur le « Quotient culturel ». Mon sujet de recherche reste cependant toujours les femmes politiques mais cette fois singapouriennes.
Comment vous est venue l'idée d'étudier le sujet des femmes et la politique à Singapour ?
C’est en menant une interview pour une radio française, d’une femme politique, Dominique Voynet en l’occurrence, ancienne ministre de l’Environnement, que je me suis demandé si le champ lexical des femmes différait de celui des hommes, et si le personnel féminin abordait la politique autrement. Cette question ne m’a plus quittée… Il m’est donc apparu comme une magnifique opportunité, en 2007, lors de mon arrivée à Singapour, d’analyser la situation des femmes politiques singapouriennes.
Depuis quand étudiez-vous ce sujet ?
Très jeune, il y a plus de 20 ans, alors que la parité n’évoquait dans l’esprit de tous que celle monétaire, et que la notion de genre n’était traitée que dans les universités américaines. C’est à cette époque que j’ai d’ailleurs publié un Que sais-je ? ouvrage sur les femmes politiques dans la société française.
Pourriez-vous nous donner un historique rapide de l'évolution de la place des femmes en politique à Singapour ?
En quelques mots, cela est toujours un exercice difficile. Cependant si l'on considère que l’évolution des femmes politiques permet de jauger une société, alors étudier le personnel politique féminin singapourien s’avère passionnant. En effet, en Europe et aux Etats-Unis, il existe une corrélation entre la représentation des femmes dans les parlements et leurs domaines d’interventions. Actuellement à Singapour, et ceci depuis son indépendance en 1965, le pouvoir exécutif compte très peu de femmes (3 dans le cabinet de Lee Hsein Loong). Dès l’indépendance, les citoyennes singapouriennes ont acquis le droit de vote et d’éligibilité en même temps que leurs homologues masculins. C’est sûrement une des raisons pour lesquelles le rapport entre les hommes et les femmes est moins complexe sur le plan politique.
Bien que Singapour fasse partie de ces rares Etats présidés par une femme, depuis le 14 septembre 2017, sa présidente Halima Yacob a d’abord été le premier « speaker » féminin du Parlement de Singapour. Les femmes représentent 23,8% des membres du Parlement ce qui étonne parfois les observateurs sachant que la moyenne mondiale est de 23,5 %. Pour illustration, la France a dû attendre de nombreuses décennies pour atteindre ce nombre à deux chiffres au sein du pouvoir législatif. Lorsque le nombre de femmes politiques sort de la marginalité, de l’anecdotique, son champ d’action sort, lui aussi, progressivement des domaines liés au genre. Il faut noter que le Parlement est également sensible quant à la représentation des différentes ethnies présentes à Singapour. Ce souci d’équilibre semble être ici un gage d’harmonie.
A ce stade, nous ne pouvons pas négliger un autre élément fondamental vis-à-vis du genre dans la construction de la jeune nation singapourienne. Lee Kuan Yew, son père fondateur et Premier ministre de 1959 à 1990, avait une vision égalitaire des relations hommes/femmes. Cet état d’esprit a marqué la société singapourienne à tous les niveaux. Il n’y a pas de place pour des querelles de genre, mais une relation pragmatique règne dans la sphère publique vis-à-vis de ses citoyennes.
Sont-elles plus présentes à certains postes, sur certains sujets ?
Oui notamment au sein de l’exécutif. A l’exception de quelques ministres, tels que Grace Fu, Josephine Teo…, les femmes s’occupent principalement de problématiques sociales, liées au soin. Ainsi les portefeuilles relatifs aux jeunes, aînés, et aux malades sont très communément partagés par les femmes politiques du monde entier. Il y a un transfert des compétences demandées aux femmes dans le cadre familial à celui de la sphère politique. Ces domaines d’expertises resteraient l’apanage des femmes car ils seraient la résultante des capacités consenties ainsi que des préjugés imputables à la féminité : douceur, empathie, générosité, altruisme etc. Sur ce point, nous pouvons faire un parallèle avec la situation des femmes dans les années 90 en France, lorsqu'elles assumaient encore très peu de fonctions dites régaliennes.
S'agit-il d'un milieu facile à approcher ?
J’ai envie de vous faire une réponse de normand : oui car j’ai pu interviewer de nombreuses femmes politiques et j’ai également eu la chance de faire partie de la délégation singapourienne lors du Women’s Forum à Deauville représentée par des membres du Parlement, des chefs d’entreprises ainsi que des professeures d’universités. Cependant, de nombreux éléments restent à décoder pour comprendre la sphère politique et cela nous renvoie peut-être davantage aux grandes différences culturelles Est/Ouest, et donc aux dissonances qu’elles induisent. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je me suis rendu compte que la problématique interculturelle était centrale.
Quelles différences majeures avez-vous relevées entre Singapour et la France ?
Les Singapouriennes n’ont pas hérité des conséquences de la lutte pour les droits politiques des femmes : c'est la différence majeure. Elles ont donc fait l’économie de débats identitaires, s’attachant davantage à des avancées concrètes concernant les droits civils et professionnels (divorces, violences faites aux femmes, présence dans les conseils d’administration, etc.). L’inclusion et la diversité des femmes a donc été le sujet de la conférence au sommet 2018 de l’Asian Women Leardership traitant également du volet politique. Cependant la discrimination politique vis à vis du genre laisse davantage la place à d’autres luttes : celle de la discrimination ethnique. Il est clair cependant que le XXIèmesiècle à Singapour sera celui de la Femme.
Reprise de l'article paru dans le magazine SINGAPOUR n°13 (mai-sept 2019) dont le dossier central était consacré aux Femmes à Singapour.