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La gestion des données de santé à Singapour

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Écrit par Dominique Langlois
Publié le 2 septembre 2019, mis à jour le 3 septembre 2019

Nous avons grandi avec les feuilles de soin. Plus récemment nous avons tous disposé de notre carte Vitale qui retrace chaque acte médical et de remboursement. En résulte une portabilité des données et une base exploitable en termes de Big Data qui permet d’étudier entre autres le fonctionnement d’un médicament sur une catégorie de patients. La transparence du système de santé sur la cité-État ne semble pas prendre les mêmes directions. Quand le paradis du libéralisme atteint ses limites…

 

La segmentation de la collecte des données médicales

 

À Singapour, la médecine est un marché libéral de soins et d’assurances privés. Concrètement, les données ne sont ni normalisées ni centralisées et les hôpitaux privés n’ont aucun intérêt à partager leurs données. Céline Le Cotonnec, Chief Data & Innovation au sein d’AXA Singapore, nous explique que « cela représente une vraie difficulté pour un assureur dont la mission est de mutualiser les risques et les coûts. Le marché est très compétitif, on ne dénombre pas moins d’une soixantaine d’assureurs couvrant tous les domaines pour 5,6 millions d’habitants. S’en suit une guerre des prix parfois au détriment de la profitabilité. Les coûts de santé et, mécaniquement, ceux des assurances, augmentent. On observe ainsi, en 2018, une augmentation de 10 % des coûts de sante selon la récente étude du cabinet Mercer ».

 

Cette situation génère par ailleurs des abus importants. D’une part, les patients se rendent chez le médecin lorsqu’une consultation n’est pas nécessaire et demandant à être remboursés. D’autre part, les médecins proposent des examens dont le patient n’a pas besoin, prescrivent des médicaments non nécessaires ou encore prolongent la durée d’une hospitalisation. Pour les patients, c’est une réalité anxiogène et coûteuse. Obtenir ses données médicales pour changer d’hôpital n’est pas ici chose aisée.

 

Le projet EMR du MOH


Au mois d’octobre 2018 est né le projet Electronic Medical Report (EMR) qui renvoie les données des patients directement au MOH. 250 cliniques ont adhéré au service. Des bénéfices immédiats en sont tirés : des liens directs avec les systèmes nationaux sont désormais possibles, les données patients peuvent être partagées et le patient est davantage sécurisé (les allergies sont répertoriées par exemple).

 

Mais ce projet reste sur la base d’un volontariat. Aujourd’hui, seuls 5 % des centres de soin de santé participent, principalement les hôpitaux publics. Les hôpitaux privés fonctionnent sur des systèmes de fidélisation, incitant leurs patients à rester chez eux, et n’ont par conséquent aucun intérêt à partager leurs données.

 

Les nouvelles technologies

 

De nombreuses start-up dans le domaine de la santé proposent maintenant de collecter les données des patients via l’intermédiaire d’un bracelet connecté ou via l’utilisation d’une application dans laquelle le patient renseigne lui-même certaines informations. Ces données biomédicales permettent de suivre l’évolution d’une maladie chronique, tel que le diabète, de prévenir l’apparition de la maladie de Parkinson ou encore de réduire l’évolution d’une maladie. Mais cela a un coût et une conséquence : qui doit supporter les frais de ces nouveaux services ?

 

big data

 

La confidentialité des données

 

Les données de santé sont un enjeu critique. Qui y a accès ? Les hôpitaux, les assureurs, chacun est supposé protéger ses données. En application du Personal Data Protection Act (PDPA), Le Monetary Authority of Singapour (MAS), entité de régulation des acteurs du service financier,  a fixé des règles très strictes pour les assureurs sur la protection des données personnelles de sante. Il en est de même avec le MOH pour les hôpitaux. Le piratage reste un sujet de préoccupation majeur. Par exemple en juillet dernier, Singhealth a été victime d’une cyberattaque avec le vol de données personnelles et de santé du quart de la population du pays, soit 1,5 million de personnes. Attaque qui lui a valu une amande d’ 1 million de dollar singapourien, soit la plus grosse amende jamais allouée par la Personal Data Protection Commission (PDPC), organisme en charge de la protection des données personnelles.

 

Les applications médicales et l’intelligence artificielle


Des applications médicales permettent aujourd’hui de collecter des données dans les hôpitaux pour monitorer les patients en télémédecine, en post-opératoire par exemple, ou atteints de maladies chroniques. Sans se généraliser, une nouvelle manière de soigner se profile à Singapour. À titre d’exemple, nous pouvons citer MyDoc, application de téléconsultation, qui existe depuis 2012 et Jaga-Me, qui propose des soins d’infirmerie à domicile. L’avantage est double : le système libère de la place dans les hôpitaux et réduit les coûts de prise en charge du patient.

 

Du côté de l’intelligence artificielle, les applications liées à la médecine, en particulier dans l’optimisation de l’établissement des protocoles laissent entrevoir l’apport de l’IA au service du médecin de demain, pour aider à affiner un diagnostic notamment. Watson, le logiciel d’intelligence artificielle d’IBM, est ainsi capable de répondre aux questions en langage naturel que lui posent ses utilisateurs dans de nombreux domaines, dont la santé. La médecine à distance peut également trouver un intérêt dans les prises de tension ou les estimations de taux de sucre dans le sang. Les débouchés sont riches et variées.

 

Les prochains enjeux


Singapour va faire face à deux défis majeurs dans les prochaines années. Sa population vieillissante et l’insuffisance de maisons de retraite et de personnel adapté, d’une part, et l’augmentation des coûts de santé, d’autre part. Pour préparer ces nouveaux enjeux, le ministère de la santé singapourien a développé l’assurance MediShield Life pour les personnes en situation de précarité. Calqué sur l’Obama Care aux Etats-Unis, MediShield Life est un régime d’assurance maladie de base, administré par le conseil de la caisse de prévoyance centrale (CPF), qui permet de payer les grosses factures d’hôpital et certains traitements coûteux en clinique externe, tels que la dialyse et la chimiothérapie pour le cancer. De nombreuses associations s’occupent également des plus démunis, comme par exemple SG Cancer Society qui s’adresse aux patients atteints de cancer, ne disposant que d’une faible couverture sociale.

 

Le gouvernement singapourien fait un grand effort de standardisation à défaut de centralisation. Il est difficile dans un univers papier hétérogène de tout passer en applications électroniques.

 

Dominique Langlois, Petit Journal Singapour
Publié le 2 septembre 2019, mis à jour le 3 septembre 2019

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