Si l’exploitation sexuelle des mineurs existe depuis des siècles, différents facteurs sont à l’origine de son aggravation et de sa sophistication à l’heure actuelle. Dans un objectif de coordination internationale, la France, en lien avec l’agence européenne de police criminelle Europol et l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) de la direction centrale de la police judiciaire, a organisé un séminaire dédié à ce thème du 18 au 21 juin à Singapour. Rencontre avec Jérôme Bonet, directeur central de la police judiciaire française, et Yann Le Goff, commissaire divisionnaire de police et attaché régionale de sécurité intérieure à Singapour.
C’est la première fois que la France organise un séminaire sur l’exploitation sexuelle des mineurs à l’étranger. Pourquoi ?
Yann Le Goff : Effectivement, c’est la première fois que les quatre attachés régionaux de sécurité intérieure de la zone Asie du Sud-Est se réunissaient pour orchestrer un événement aussi conséquent. Plus d’une centaine d’experts et les représentants de 24 pays étaient conviés. Les pays de l’Asean, avec lesquels nous avons l’habitude de travailler, étaient présents ainsi que les cinq pays du sous-continent indien.
Ce séminaire, organisé et financé par la France avec le concours d’Europol également, à des milliers de kilomètres de son territoire national, est un geste fort, une façon d’affirmer sur la scène internationale sa part de responsabilité dans la lutte contre ces agissements. Car cette criminalité implique également des ressortissants Français qui sévissent dans cette partie du monde. C’est une immense fierté d’avoir organisé cet évènement. Parce que nous œuvrons pour les victimes d’aujourd’hui et pour celles de demain. Mobiliser la communauté internationale nous permet de contribuer activement à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants.
L’exploitation sexuelle des mineurs affecte tous les pays. Existe-t-il néanmoins des spécificités liées à l’Asie du Sud-Est ?
Jérôme Bonet : Oui, très clairement. Si le tourisme sexuel n’est pas une exclusivité asiatique, il est intimement lié à l’époque coloniale. À l’origine, le phénomène ne touchait que des États très ciblés : des anciennes colonies ou des zones touristiques en plein développement, comme la Thaïlande. Aujourd’hui, le phénomène prend une autre tournure et se propage dans de nombreux pays. Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette aggravation : l’Asie du Sud-Est est une région peuplée de communautés extrêmement pauvres pour lesquelles cette activité apparaît comme une alternative à la misère. Dès lors qu’un différentiel de revenus s’impose, il est facile de plonger dans l’exploitation sexuelle des mineurs. Cet état de fait n’est d’ailleurs plus l’apanage des Occidentaux, mais concerne de plus en plus de pédophiles régionaux. Ces prédateurs justifient souvent leurs actes et se dissimulent derrière un sentiment d’impunité. Beaucoup pensent, et l’expriment sur des forums sur internet, que ce qui est interdit en France, ne l’est pas forcément à l’étranger. D’autres s’achètent une bonne conscience en considérant qu’ils ont demandé la permission aux parents et qu’ils ont payé.
Le streaming et le live-streaming démultiplient et aggravent le phénomène. Aujourd’hui, nous sommes sur un commerce qui utilise toutes les voies de la dissimulation, le darknet, des outils de communication cryptés, des crypto-monnaies, etc. Les pédophiles commandent sur Internet, par le biais de réseaux et d’intermédiaires, des viols d’enfants en direct, qui se trouvent à l’étranger. Un rendez-vous est pris, un intermédiaire se trouve avec l’enfant et obéit à la personne derrière son écran. Par ailleurs, l’éloignement entre le donneur d’ordre et la victime, généré par le live-streaming, exacerbe souvent la cruauté de la personne qui regarde. Elle se sent protégée par le darknet, par les différents intermédiaires et les filtres de l’écran…
Quels sont les objectifs du séminaire ?
Jérôme Bonet : Le principal objectif est de créer des liens les plus directs possibles avec tous les acteurs qui luttent au quotidien contre l’exploitation sexuelle des mineurs. Le live-streaming exige d’agir le plus vite possible, tant que les preuves existent encore, tant qu’il est possible d’empêcher ou de faire cesser des exactions.
Yann Le Goff : En tant qu’attaché régional de sécurité intérieure, mon travail consiste à faire ce lien entre les services de la police judiciaire française et mes contacts sur place. Nous arrivons en bout de chaîne, une affaire peut s’arrêter en raison de peu de choses. Nous devons être en capacité d’agir vite et de déclencher les mesures basiques : louer une voiture, mettre de l’essence dedans, payer les repas de chaque participant. C’est notre façon à nous de faire la différence.
Jérôme Bonet : Nous avons souhaité associer à ce séminaire des partenaires externes, comme des intermédiaires financiers et les acteurs d’internet. Face à ce type de criminalité, ils ont l’obligation de contribuer à sa lutte. Leur participation est importante. Elle les expose et témoigne de leur responsabilité ainsi que de leur engagement.
Un dernier objectif est la sensibilisation des pays sur l’identification des victimes. L’identification des victimes est capitale maintenant. Une base, tenue par Interpol, existe. Notre intérêt à tous est d’impliquer chaque pays dans l’utilisation de cette base. Le cas échéant, face à des pays qui manquent de moyens, nous leur proposons notre coopération.
Concrètement, comment faites-vous aujourd’hui pour faire cesser ces agissements ?
Jérôme Bonet : La veille est importante mais rarement exhaustive. Il est impossible de veiller le monde entier sur internet. Nous travaillons par objectifs, par renseignements, par regroupements, par signalements. Nous sommes conscients que lorsque nous démantelons un réseau, nous n’avons pas détruit toutes les branches. Nous nous y attaquons progressivement. Cette organisation fonctionne aujourd’hui. Nous arrivons à mettre en place des actions très concrètes et immédiates, comme le tracement de flux financiers, pour remonter aux donneurs d’ordre.
Justement, un viol d’enfant entre 4 et 9 ans coûte entre 30 et 100 dollars. Comment est-il possible de tracer des sommes aussi petites ?
Yann Le Goff : 100 dollars représentent une petite fortune pour certaines familles, mais pour un cadre français vivant à Paris, c’est une somme dérisoire ! Effectivement, ces petits montants sont difficiles à tracer et ajoutent à la complexité du travail au quotidien des forces de police mobilisées. Notre volonté, en associant les plateformes bancaires au séminaire, est de faire converger toutes les informations pour arriver à démanteler les réseaux et stopper ces exactions.
Qu’est-ce que l’exploitation sexuelle des enfants ? Le premier Congrès mondial de Stockholm sur l’exploitation sexuelle des enfants a défini l’exploiteur sexuel, en 1996, comme celui qui « profite injustement d’un certain déséquilibre du pouvoir entre lui et une personne âgée de moins de 18 ans en vue de l’exploiter sexuellement dans l’attente soit d’un profit, soit d’un plaisir personnel ». Le Congrès de Yokohama a précisé cette notion, en 2001, en ajoutant trois axes : l’abus sexuel, la violence sexuelle et l’exploitation sexuelle à des fins commerciales. |
