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Entretien avec Christiane Taubira sur fond de francophonie

Christiane Taubira Singapour Christiane Taubira Singapour
Écrit par Laetitia Dubois Crochemore
Publié le 25 mars 2019, mis à jour le 8 avril 2019

Christiane Taubira, femme politique française, garde des Sceaux et ministre de la Justice du 16 mai 2012 au 27 janvier 2016, s'est confiée lors de son séjour à Singapour la semaine du 18 mars 2019, dans le cadre des journées de la presse et de la francophonie organisées par le Lycée Français de Singapour. 

 

 

Lepetitjournal.com : Vous êtes en retrait de la vie politique depuis votre démission du gouvernement Valls en janvier 2016. Que faites-vous aujourd’hui ?

 

Christiane Taubira : Je fais mille choses et j’aime en plus entretenir le mystère. Je me suis fixé un temps de « transmission » car mon expérience politique m’a montré, ces dernières années, qu’il y avait une immense confusion sur les concepts, les idéologies, les idéaux, les politiques publiques et sur les libertés individuelles.

Evidemment, j’ai des engagements que j’entretiens bien tels que l’égalité entre les femmes et les hommes, des engagements sur les solidarités internationales devenus évanescents, creux et qui perdent leur force mobilisatrice. Je pense que j’ai une dette envers les générations, j’ai le souci de l’exemplarité, l’obligation de la clarté dans l’expression, la constance dans les engagements. J’entretiens cela en moi avec constamment la conscience que ce que je renvoie aux jeunes générations doit être très lisible. 

Par ailleurs, je conduis des programmes de détection de jeunes talents et d’accompagnement de ces jeunes. Je continue la politique non pas au niveau électif parce que je ne veux pas de mandat électif, je continue la politique avec les gens, je continue la politique de transmission en participant à ouvrir un chemin pour la nouvelle génération. Et je continue à savourer le bonheur qu’offrent les arts : la littérature, les arts sous toutes leurs formes.

 

 

La francophonie est-elle essentiellement un instrument de partage du patrimoine culturel et artistique ? Ou bien doit-elle être un instrument de coopération culturelle mais aussi économique ?

 

La francophonie c’est tout cela. C’est d’abord la réalité mondiale : la constance que sur tous les continents, il y a des personnes qui s’expriment en français, qui lisent en français, qui pensent en français et communiquent en français. Les langues ne sont pas juste des modes d’expression, ce sont des véhicules d’imaginaires.

 

La francophonie nous informe que sur tous les continents, avec l’imprégnation des cultures de ces continents, il y a une langue française qui transporte des imaginaires franco-africains, franco-maghrébins, franco-asiatiques, franco-européens...

 

Il n’y a pas un centre du français et des périphéries francophones, il n’y a pas un cœur français et des organes francophones. Il y a des palpitations partout sur tous les continents, des palpitations qui témoignent du passé impérial, colonial de la France, qui témoignent de la présence de la France dans le monde et qui alerte sur le sens de la présence du monde en France. 

 

La francophonie est un espace de partage non pas au sens de partager une langue qui vienne d’un même pays et qui « dégringole » assez largement en s’appauvrissant. Il s’agit d’un partage au sens où le français que l’on parle par exemple en République Démocratique du Congo est chargé des langues natives, de l’histoire du Congo avant et après la colonisation, chargé de toutes les cultures orales, des mythes, de tout ce qui fait le Congo dans sa longue histoire. De même, le français que l’on parle au Vietnam porte aussi cela : son histoire, son patrimoine culturel, artistique etc., de même pour celui du Québec etc. 

 

Et le partage, c’est cela, ce n’est pas partager la langue de la France qui voyage encore et qui se trouve encore dans ces lieux-là, c’est partager une langue française qui a pris ses aises et ses habitudes dans des continents qui n’étaient pas vides, qui n’étaient pas muets, qui n’étaient pas stériles et qui donc ont imprégné la langue de tout cela.

 

 

Vous allez à la rencontre des élèves du Lycée Français de Singapour. Quels sont les messages que vous souhaitez leur faire passer ?

 

J’ai rencontré une quinzaine de classes. Je suis souvent en rapport avec des adultes et des adolescents. Il a été très attendrissant et chouette de rencontrer des enfants de l’école élémentaire. Cela a été un régal de m’entretenir avec eux. Ils parlaient sérieusement. J’avais une certaine appréhension car je savais que je devais être attentive à leur compréhension : utiliser un vocabulaire simple, formuler des phrases courtes et claires. Les enfants ont une capacité d’écoute et de curiosité incroyables. Ils ont choisi des sujets qu’ils avaient travaillés avec leurs enseignants. 

 

Les enfants avaient choisi des sujets tels que l’esclavage, la colonisation, la solidarité, les sujets internationaux, les questions judiciaires, la littérature, l’égalité entre les femmes et les autres, l’altérité, l’enseignement dans le nouveau monde, la dystopie et l’utopie, des sujets extrêmement variés sur lesquels je me bats pour la plupart et qui me renvoient au fait que je m’intéresse à beaucoup de thèmes : Mon message, s’il faut le résumer, je dirais qu’il est humaniste. 

 

Humaniste au sens où quelle que soit la nature ou la complexité du sujet, quelle que soit sa densité et même sa lourdeur (l’esclavage, le racisme, la colonisation), je cherche toujours à dégager des lueurs.

 

Même dans les circonstances et les expériences les plus sombres, les plus douloureuses, les plus pénibles, je rappelle qu’il y a eu de belles consciences humaines, qu’il y a eu des personnes qui se sont battues et qui ont été solidaires des victimes ou des plus vulnérables. 

 

Je rappelle que l’on peut toujours faire le choix d’écouter sa conscience. L’altérité est essentielle car elle nous conforte : la présence de l’autre, la connaissance de l’autre, l’effort de comprendre l’autre, nous permettent de mieux nous comprendre. Cela nous protège parce que cela diffuse une aptitude humaine à se tolérer, à s’accepter, à être solidaire les uns des autres. Donc quel que soit le sujet, il y a le fond du sujet, il y a le contenu du sujet, il y a des choses substantielles et très concrètes que l’on traite mais le message qui s’en dégage, j’espère qu’il est clair pour les uns et les autres : c’est un message humaniste. Nous ne sommes pas des bêtes sauvages.

 

 

Quelle est votre plus belle victoire ?

 

Il n’est pas facile de répondre à cette question. Je dirais que ma plus belle victoire, c’est ma victoire sur moi-même. Je me suis fixée, dès ma pré-adolescence, de ne jamais me trahir moi-même et de ne jamais trahir les autres, de ne jamais juger les autres, de ne jamais perdre de vue que le sens de la vie c’est ce que l’on peut offrir aux autres. 

 

C’est peut-être cela la plus belle victoire car c’est une victoire sans effort. On pourrait croire que je n’ai pas de mérite, mais le fait qu’elle soit sans effort, signifie que je ne triche pas. Je suis profondément imprégnée de ce que je professe, de ce que je proclame. J’y crois profondément. Je n’y crois pas naïvement. Je connais la violence du monde. Je connais la fourberie dont sont capables certains êtres humains. Je connais la portée et la force de l’égoïsme. Je connais tout cela et pourtant je sais que toujours où que l’on aille on rencontrera des personnes qui sont sensibles aux autres, des personnes qui sont attachées à la fraternité, qui pensent profondément que nous sommes égaux en tant qu’êtres humains, qui aiment aussi partager les bonheurs de la culture. Je sais que partout je vais rencontrer des gens comme cela et je veux que ce soit ces personnes-là qui soient plus importantes que les violences les égoïsmes et les nationalismes.

 

 

Laetitia Crochemore
Publié le 25 mars 2019, mis à jour le 8 avril 2019

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