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PARCOURS DE VIE - De l’anthropologie à la poterie

Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 24 décembre 2024

 

Anthropologue, Tania Nasr aurait pu, sa thèse de doctorat terminée, enchainer sur un parcours dans l'enseignement universitaire ou la recherche. Deux expatriations successives en ont décidé autrement : Tania est aujourd'hui potier

A travers son parcours inédit,  Tania Nasr nous raconte le plaisir qu'elle ressent aujourd'hui à fabriquer des objets utilitaires avec ses mains.

Lepetitjournal.com - Comment êtes vous devenue potier ?
Tania Nasr - Ce n'était pas ma vocation première. La poterie est en réalité une activité récente que j'ai démarrée à mon arrivée à Singapour en 2007. Auparavant, j'avais fait des études en Sciences humaines et consacré beaucoup de temps à la rédaction d'une thèse d'anthropologie qui portait sur la perception du paysage, sur le plateau de Millevaches, dans le Limousin; dans un contexte de conflits sociaux opposant les agriculteurs aux forestiers sur fond d'extension de la forêt. Lorsque l'on interroge les uns et les autres, on s'aperçoit que le spectacle qu'ils décrivent est profondément imprégné de leur métier et du conflit qu'ils vivent. En poussant l'analyse, on découvre que le paysage n'existe pas en tant que tel, mais qu'il est une reconstruction sociale.

Comment passe-t-on de l'anthropologie à la poterie ?
J'ai terminé ma thèse alors que j'étais en Chine. Quand nous sommes arrivés à Singapour, j'ai d'abord été tentée d'entreprendre un "post doctorat" à la National University of Singapore, mais le département des Sciences humaines n'y est pas très développé et il n'y avait pas de véritable opportunité. J'ai démarré la poterie, en parallèle à une activité bénévole au sein de l'association Aidha. Avec le temps, j'ai fini par me consacrer entièrement à cette nouvelle passion.

Passion ou métier ?
C'est l'un et l'autre. J'aime travailler de mes mains. Après des années de travail essentiellement intellectuel, c'est un vrai bonheur de façonner des objets, et la poterie est une expérience sans cesse renouvelée où on joue avec les formes, les matières, les couleurs et où l'on est souvent surprise. La poterie c'est la terre et le feu.  La cuisson des objets relève d'une véritable alchimie. Il y a dans ce que j'ai fait des choses ratées que je me suis mise à aimer et d'autres plus classiques qui se sont avérées décevantes. On apprend progressivement et rien n'est jamais acquis.
C'est aussi un métier, car je fais de la poterie dans le dessein de vendre ma production. C'est d'ailleurs dans cette perspective que je me suis lancée. Parce que vivant en expatriation, il me semblait important de construire une activité durable et portable ; une activité que je pourrai emporter avec moi d'un pays à l'autre et qui sera aussi potentiellement un ancrage lors de mon retour en France, qu'il s'agisse de faire de la poterie à proprement parler ou de travailler "avec la poterie", par exemple en animant des ateliers pour les enfants?

Comment peut-on apprendre la poterie à Singapour ?
La poterie n'est pas très répandue à Singapour. L'apprentissage se fait directement chez les quelques artisans potiers qui exercent localement. Cela prend la forme d'un compagnonnage. L'avantage de la poterie, c'est que l'on progresse assez vite. J'ai rapidement organisé mon atelier chez moi, en utilisant la cour pour y installer mon tour. Pour la cuisson, j'utilise soit le four d'autres artisans, soit les installations des community centers.

Quel a été le regard les autres sur votre projet ?
Au début, j'ai été discrète. En avançant, Je me suis aperçue que ma démarche n'était pas si étrange. Beaucoup de femmes ayant fait de longues études ont à un moment arrêté ce qu'elles faisaient et se sont lancées dans une activité artistique. Lorsqu'on est dans la position de celle qui accompagne, on est peu ou prou affectée par le syndrome de "la femme de", plus difficile à vivre, paradoxalement, à mesure que les expériences d'expatriation se multiplient. C'est pourquoi il est important de se reconstruire une identité au travers d'engagements ou d'activités, quitte à changer d'orientation et à se réinventer. C'est assez magique, lorsqu'on a le sentiment que tout est difficile et contraignant, il suffit de renverser le problème et d'envisager l'expatriation comme une chance pour faire autre chose. A partir de ce moment, on réalise que les opportunités sont nombreuses; même si elles le sont davantage dans certains pays, tels Singapour que dans d'autres comme la Chine, ne serait-ce que pour des raisons linguistiques. La difficulté pour les femmes en expatriation, c'est aussi l'incertitude. On ne sait jamais combien de temps on va rester dans un pays. C'est pourquoi il faut faire des choix, très vite. Si on ne s'engage pas suffisamment rapidement dans une activité, on ne sait bientôt plus si on a même encore le temps de commencer. Dans l'idéal, il faudrait avoir pensé son projet avant l'expatriation pour le mettre en ?uvre dès l'arrivée.
La clé de la reconnaissance finalement c'est de vendre. Lorsque quelqu'un achète vos produits, c'est qu'il reconnaît ce que vous faites et en apprécie la valeur. Cela donne de l'énergie pour aller de l'avant.

Comment fait-on à Singapour pour promouvoir son travail ?
Je tiens un blog dans lequel je montre mes créations. Par ailleurs, j'ai créé une société (une sole proprietorship) ; ce qui me permet de participer à des foires (fairs ) ou à des open houses pour vendre mes produits. La difficulté à Singapour est que, compte tenu du très faible nombre de potiers (5 ou 6), il n'existe aucune infrastructure pour mettre en valeur le métier. Les foires (fairs) ont le mérite d'exister mais elles sont très hétéroclites et ne permettent pas vraiment aux artisans de trouver leur public. Il faudrait créer des événements qui soient spécifiquement dédiés à l'artisanat.

Propos recueillis par Bertrand Fouquoire - Dualexpat (www.lepetitjournal.com-Singapour) lundi 28 février 2011

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Publié le 28 février 2011, mis à jour le 24 décembre 2024
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