Les Enfants du Mékong est une association française qui aide les enfants défavorisés d'Asie du Sud-Est à accéder à l'éducation. Rencontre avec deux volontaires de l'association : Bernadette, 28 ans, et Félicia, 32 ans. Elles témoignent de leur action au quotidien et reviennent en détail sur le parrainage, une implication à long terme qui permet de soutenir un élève tout au long de sa scolarité.
En quoi consiste votre rôle dans l'association les Enfants du Mékong?
Félicia - Je dois trouver des parrains et marraines pour lever des fonds afin de financer nos projets. Nous en avons une centaine par an. Enfants du Mékong a aussi dix centres en besoin de financements. Je sollicite donc les entreprises pour les soutenir. Je suis basée à Bangkok mais je prends parfois l'avion pour Singapour et Hong Kong.
Bernadette - Je suis coordinatrice de programmes de parrainage et responsable du programme étudiant. Mon premier rôle est de visiter les lieux dans lesquels sont regroupés les jeunes parrainés par Les Enfants du Mékong (centres, écoles, villages) autant de fois que possible sur la durée de ma mission pour rencontrer les filleuls, m'assurer qu'ils sont toujours scolarisés et suivis, mais aussi pour faire le point avec le responsable local aux niveaux administratif et comptable. Le gros avantage que nous avons en Thaïlande, c'est le temps. Le temps d'aller souvent sur le terrain et donc de construire peu à peu un relationnel avec les référents et les élèves. L'autre moitié de la mission consiste à rédiger un grand nombre de lettres aux parrains et des rapports pour le siège. C'est une partie moins passionnante mais qui est néanmoins indispensable pour permettre un suivi construit de la situation des programmes au fil des années et des volontaires. Comprendre les jeunes, apprendre ne serait-ce que leur prénom, se faire apprivoiser, prend un temps infini. Au bout d'un an, je ne maîtrisais pas parfaitement ces rendez-vous mais c'est pourtant en grande partie pour eux que j'ai décidé de rester douze mois de plus. Ce programme a grand besoin de stabilité, d'une personne qui connaisse bien les situations de chaque jeune, pour pouvoir vraiment construire quelque chose avec eux.
C'est quoi exactement le parrainage ?
Félicia - Le parrainage, c'est la base. En Asie du Sud-Est, comme dans d'autres pays d'ailleurs, un enfant qui va à l'école est un enfant qui ne rapportera pas d'argent à sa famille et qui coûtera cher. Même si la scolarité est souvent gratuite, il faut tout de même payer pour les uniformes, les crayons, les cahiers, la nourriture et parfois le transport pour se rendre à l'école ! Quand le parrainage (24 euros par mois, dont 18 euros pour l'enfant) est supérieur aux besoins du filleul, il va quelquefois permettre la scolarisation d'un frère ou d'une s?ur en plus. Au total, Les Enfants du Mékong soutiennent ainsi 60 000 enfants. La spécificité du parrainage, c'est son échange épistolaire. Chaque année vous recevez deux à trois lettres de l'enfant que vous parrainez. Vous pouvez aussi lui écrire et même aller le rencontrer si vous en avez la possibilité. Un parrainage est un engagement dans la durée, si les moyens vous le permettent, l'idée étant d'accompagner le même petit garçon ou la même petite fille le plus loin possible dans ses études. Idéalement jusqu'à ce qu'il ou elle les termine et trouve un bon travail.
Comment décririez-vous le rapport entre les enfants et leurs parrains ?
Bernadette - La relation de parrainage varie énormément d'un jeune à l'autre, et d'un parrain à l'autre. On essaye de parrainer les enfants assez jeunes, vers neuf-dix ans. Souvent, jusqu'à la fin du collège, ils ne comprennent pas bien ce que signifie pour eux ce programme. Les enfants touchent dans ces cas-là très rarement leur aide directement. Ils vivent dans un centre ou une école, où l'argent de leur parrainage est utilisé directement par l'établissement pour financer leur présence. C'est lorsque l'enfant rentre au lycée, et qu'il y a plus de frais à couvrir, qu'il commence vraiment à saisir l'enjeu du programme, et le fait qu'il y a une famille derrière. Les plus petits savent rarement quoi mettre dans leur lettre à destination de leur parrain ou marraine parce qu'ils ne visualisent pas vraiment à qui elle est destinée, alors qu'un grand nombre de mes étudiants à Chiang Mai écrivent beaucoup plus souvent que je ne leur demande. Certains me demandent tous les mois s'ils ont reçu un courrier ! La relation prend vraiment vie lorsque les parrains ont la possibilité de venir en Thaïlande rencontrer leurs filleuls. Ce sont toujours des moments très émouvants des deux côtés.
Comment réagissent les familles par rapport au parrainage ?
Bernadette - Les familles ne comprennent pas toujours que leur enfant est parrainé. Là encore, s'il est très jeune et qu'il ne touche pas directement son parrainage, elles ne se rendent pas tout le temps compte de l'aide apportée. On est aussi régulièrement confronté à une culture d'ethnies qui ne permet pas forcément aux filles et aux garçons d'étudier aussi longtemps qu'ils le souhaiteraient, malgré le soutien de l'association. Une certaine pression familiale, sociale et financière peut les pousser à quitter l'école dès la fin du lycée, et parfois même juste après le collège, pour se marier, prendre un travail, aider les parents dans les champs, etc. En dépit parfois de la forte motivation des élèves et de leurs bons résultats scolaires. Dans ce genre de situation, on ne peut que se réjouir que ces jeunes aient pu étudier jusqu'au collège ou au lycée - alors que leur parents n'étaient allés qu'à l'école primaire - et espérer qu'ils laisseront eux-mêmes leur chance à leurs enfants dans quelques années.
Vous êtes vous-même marraine. Avez-vous mis du temps avant de prendre cette décision ?
Félicia - Je voulais parrainer depuis longtemps. Notre arrivée en Thaïlande avec mon mari (il y a environ trois ans) a été un déclencheur. Quand j'étais bénévole, j'ai décidé de devenir ambassadrice : j'ai invité le plus de monde de mon entourage possible à vivre cette belle expérience qu'est le parrainage. Donc je n'avais pas d'autre choix que de m'engager moi aussi ! Et mon mari non plus.
Quel rapport entretenez-vous avec votre filleule ?
Félicia - J'essaye de lui écrire au moins une fois par an. Nous sommes allés rencontrer nos filleuls en novembre dernier avec mon mari et notre bébé de six mois. C'était une belle expérience ! Trop courte à mon goût mais le village est loin (Birmanie) et difficile d'accès car interdit aux touristes?
La petite dont je suis la marraine semblait contente de me rencontrer ; moi j'étais aux anges. Ma filleule est une Birmane de huit ans, toute belle et gaie. Ses deux parents vivent avec elle, ce qui n'est pas le cas pour beaucoup d'enfants parrainés. Cette visite m'a donné envie de lui écrire plus souvent, de l'encourager et de de donner encore plus aux Enfants du Mékong. J'attends de rencontrer un jeune que je voudrais vraiment aider pour déclencher un troisième parrainage.
Qu'aimeriez-vous dire à une personne qui envisage de devenir parrain mais qui hésite encore ?
Félicia - Ah ! Moi aussi j'hésite parfois à donner à des associations, à des personnes qui en ont vraiment besoin... On se dit toujours « mais est-ce que je ne devrais pas garder mon argent pour quelque chose de plus urgent ? » Oui, sans doute, mais si on attend, on ne donnera peut-être jamais.
Bernadette - Devenir parrain est un geste très généreux mais il faut prendre la mesure du geste. C'est un véritable engagement sur la durée. Il faut aussi savoir que l'aide apportée par un parrainage est conséquente mais rarement suffisante pour financer l'intégralité des coûts selon le niveau des études du jeune. Il s'agit d'une contribution. Il est important que les familles prennent également une part de responsabilité dans l'éducation de leurs enfants. Cela signifie qu'il faut envisager la possibilité que le jeune suivi ne fasse pas de longues études ; ce ne sera pas un échec pour autant. Il ne faut pas non plus s'attendre à pouvoir construire une relation très forte avec son filleul dès le départ car les enfants n'ont pas du tout le réflexe de la correspondance ici. Il faut savoir que leur culture est différente et leur quotidien leur semble bien banal. Ils ne voient pas forcément l'intérêt de le raconter. Mais si le parrain a le temps d'écrire régulièrement, de très belles relations peuvent se former à mesure que l'enfant grandira.
À quoi servent concrètement les fonds récoltés par Les Enfants du Mékong ?
Félicia - 85 % des fonds financent un projet de construction, le centre ou la scolarisation d'un enfant par exemple. L'association garde 9 % pour les frais de recherche et le traitement des fonds ainsi que 6 % pour les frais de fonctionnement de l'association.
Une anecdote ou une jolie histoire à raconter dans le cadre de votre engagement ?
Bernadette - Au mois d'avril 2015, cinq étudiantes ont fini leurs études et ont donc quitté le programme de parrainage. L'une d'entre elles, Sukanya, qui avait étudié les sciences politiques à la prestigieuse Chiang Mai University, m'a offert un sac pour me remercier, et à travers moi, tous les volontaires qui m'ont précédée. Elle m'a remis un mot très touchant qui, avec la réussite de son parcours, résume bien tout l'impact de notre action.
Félicia - J'ai n'ai pas d'histoire en tête mais des tas de beaux exemples. Les Bambous (surnom donné aux volontaires comme Bernadette) sont pour moi des merveilleux porte-paroles de l'action des Enfants du Mékong. Jamais je ne les vois douter, toujours je les vois me parler de tel ou tel enfant qui aurait besoin d'un parrain ou d'une marraine. Je les sens de plus en plus épanouis, forts et beaux ! Je crois profondément que donner de son argent rend heureux, donner de son temps encore plus?
Cécile David (www.lepetitjournal.com/singapour) lundi 4 avril 2016
À savoir : Les Enfants du Mékong organisent le jeudi 7 avril, à 20 heures, une soirée d'information sur le parrainage. Bernadette et Félicia ainsi que des parrains de l'association viendront témoigner spécialement pour l'occasion. Inscriptions et renseignements complémentaires : edmsingapore@gmail.com.