Installé en Asie depuis plus de 40 ans, Bernard Forey est un grand monsieur qui semble à lui seul compiler plusieurs vies, tant son activité est intense et ses réalisations ambitieuses. Décoré en 1977 de la légion d'honneur par Valéry Giscard d'Estaing, rencontre avec un serial entrepreneur dynamique qui fêtera bientôt ses 87 ans?
La huitantaine galopante comme disent les Belges, c'est au Fullerton Hotel que Bernard Forey fixe notre rendez-vous. « Il me semble que vous aimez le Japon puisque vous avez écrit un livre, j'ai donc pensé que ce café japonais vous plairait ! ». Flattée par tant de prévenance et d'attention, la rencontre s'annonce aussi agréable qu'enrichissante.
Nous commençons par évoquer son enfance et ses débuts dans la vie : « j'ai été élevé dans une famille française ayant tout perdu sauf l'honneur?et surtout riche de son passé et de ses principes. Je me souviens avoir vécu une jeunesse entourée d'affection et d'amitié compensant largement les difficultés matérielles et suscitant en moi une forte soif de réussite ». Il partage également avec humilité ses « mauvaises études », confiant aisément sa seule préoccupation du moment : réaliser ses rêves d'enfant. Il se souvient alors d'une rencontre aussi marquante que déterminante pour son avenir : « A 20 ans, j'ai rencontré Joseph Kessel qui m'a dit : avant tout dans la vie il faut vouloir. Je m'en suis souvenu et cela ne m'a jamais quitté ». Cette entrevue semble avoir signifié le départ et donné le ton de la vie qu'il avait alors décidé de se dessiner.
Première expérience au Sahara algérien où il atterrit presque par erreur pour y effectuer un stage, il y sera prospecteur géophysicien après une formation interne dans une société pétrolière. S'ensuivent de multiples expériences entre 1952 et 1963 en Indochine, Sud tunisien, Mauritanie, Iran, avant d'opérer un retour en Asie pour la recherche de sites pour des barrages hydroélectriques à Java et Sumatra en Indonésie.
« En Indonésie à partir de 1966, j'ai progressivement créé ma première entreprise IFA ? Industries et forêts Asiatiques ? dans la province de Jambi à Sumatra. Il s'agissait d'une exploitation forestière, d'une scierie et d'une usine de contreplaqué qui incluait un programme de reforestation, et embauchait environ 2500 employés. Une de mes plus grandes fiertés, c'est la construction d'une petite ville, Pasir Mayang, de 5000 habitants vivant en autarcie au milieu de la jungle sans liaison routière, accessible seulement par le fleuve et notre avion privé. Nous y avons construit une école, un dispensaire médical, établi des magasins, des terrains de sport, une piste d'atterrissage, et une école de formation professionnelle. Petit détail important pour moi, c'est l'enregistrement à l'état civil indonésien de plusieurs enfants nés sur notre chantier sous le prénom IFA ! »
Sa deuxième entreprise, Bernard Forey l'a créée en 1980, dans l'industrie de la pêche cette fois, avec environ 1500 employés en Indonésie. MTI ? Multi Transpêche Indonésie ? pêche et conserverie était née !
Au cours des années suivantes l'entrepreneur infatigable investira à Singapour, au Vietnam, en Australie, en Birmanie et au Cambodge, dans l'eau minérale, les couches et les protections hygiéniques. Et comme les plus belles décisions et opportunités se font souvent par hasard, Bernard se souvient encore des débuts de son histoire d'eau avec le Cambodge : « nous survolions Phnom Kulen en hélicoptère avec mon fils pilote à la recherche de possibilités de plantation, quand soudain nous avons repéré une importante cascade presque au sommet du Mont Kulen. Phénomène étonnant, puisque les cascades sont en principe en aval et non en amont. Compte tenu de la surface du mont il y avait certainement des aquifères profonds. Je me suis tourné vers mon fils et lui ai dit qu'il nous fallait nous rendre au pied du Mont Kulen. Et c'est ainsi que tout a commencé ? »
Bernard Forey a investi à ce jour plus de 10 millions de dollars pour développer une eau minérale naturelle de qualité. Son objectif est clair : s ?imposer comme leader sur ce marché au Cambodge et représenter d'ici 3 à 5 ans 15 % du marché total des eaux embouteillées du pays.
Investir et travailler dans des pays inconnus est à chaque fois une nouvelle aventure qui nécessite l'étude et l'évaluation des risques liés au régime en place, l'exploration des conditions d'investissement, des possibilités de financement et de rapatriation des capitaux, analyse de la concurrence locale, sélection de la main d'?uvre et plus que tout compréhension de la mentalité des habitants et des autorités, confie Bernard Forey qui ne manque pas non plus d'ajouter la nécessaire adaptation aux coutumes locales des affaires « qui peut parfois s'avérer déroutante ». « Dans ces pays détermination, patience et bon sens comptent parmi les qualités indispensables pour quiconque souhaite entreprendre et réussir ».
Aujourd'hui Bernard Forey continue à diriger ses activités et à sillonner la région à l'affût de nouveaux projets. Après le bois, le thon, les couches et l'eau, de quoi sera fait l'avenir de Bernard Forey, cet homme intarissable qui ne semble pas manquer de ressources ?
« Si je peux résumer le secret de ma forme c'est en grande partie vouloir, à l'exception de problèmes incontrôlables pour certains. C'est aussi la fierté de ne pas devenir inutile et de garder le respect de ceux que l'on aime. Et puis ce bonheur profond de contribuer à aider les plus déshérités. Joie immense de redonner le sourire à des enfants de la rue en Birmanie et au Cambodge (Bernard Forey co-finance avec des Français un home accueillant des orphelins cambodgiens à Siem Reap, ndlr). Retraite ne fait pas partie de mon vocabulaire. Pour un entrepreneur créer est le sens de la vie et la fierté de ne jamais abandonner. La retraite est, bien souvent, au contraire l'attente de la fin? »
Raphaëlle CHOËL (www.lepetitjournal.com/singapour) mercredi 29 avril 2015