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Quand Singapour fait son cinéma – La renaissance à partir des années 90

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« Ilo Ilo » (copyright Diggit magazine)
Écrit par Jean-Michel Bardin
Publié le 28 octobre 2022, mis à jour le 30 octobre 2022

Quand on pense cinéma, Singapour n’est pas forcément le premier pays qui vient à l’idée. Et pourtant, il y a beaucoup de choses à dire sur le cinéma et Singapour, des premières projections à la fin du 19ème siècle, à la nouvelle vague singapourienne récompensée dans les festivals internationaux ces dernières décennies, en passant par l’âge d’or du cinéma singapourien, qui a produit des centaines de films largement diffusés en Asie dans les années 50-60. Cet article est le dernier d’une série de trois.

 

Le SGIFF (Singapore International Film Festival),déclencheur de la renaissance du cinéma singapourien

En 1987, quelques cinéphiles, désireux de réanimer la culture cinématographique à Singapour, fondèrent le Festival International du Film de Singapour. Pendant 10 ans, il fut le seul festival à mettre en compétition des films asiatiques. Il permit de promouvoir des cinéastes de divers pays d’Asie et de les faire connaitre à un public singapourien abreuvé pendant de longues années de films hollywoodiens à grand spectacle. Il a aussi remis à l’écran les films de l’âge d’or, qui avaient été en grande partie oubliés. De ce fait, il eut un rôle incitatif et éducatif auprès de jeunes intéressés par une carrière cinématographique.

En 1990, une section du festival fut ouverte aux courts-métrages, permettant aux nouveaux cinéastes de se faire connaitre. L’année suivante, des prix furent institués pour les longs-métrages et les courts-métrages. En parallèle, le festival fournissait des aides pour encourager la production locale. Tout cela a favorisé l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes, qui ont commencé à se faire les dents sur des courts-métrages.

La prochaine édition de ce festival annuel aura lieu du 24 novembre au 4 décembre.

Parallèlement, le gouvernement lance des initiatives pour ressusciter l’industrie cinématographique à Singapour

En 1987, l’année même de la fondation du SGIFF, le gouvernement singapourien, qui jusque-là s’en était tenu à manier les ciseaux de la censure, a mis en place un comité spécial pour la promotion de l’industrie cinématographique à Singapour.

 

cinema singapour
Tang Dynasty Village (copyright Postcard interchange)

 

Le premier projet issu de cette initiative a été la construction dans l’Ouest de Singapour par un entrepreneur hongkongais de « Tang Dynasty Village », une sorte de Cinecitta à la chinoise. Ce parc d’attraction de 12 ha, qui ouvrit en 1992, avait pour thème la cite chinoise de Xi-An. Il comptait trois grands studios intérieurs, des restaurants, des temples, des boutiques, et proposait divers spectacles. Malheureusement ce parc n’eut pas le succès escompté. Quelques films seulement y furent tournés. Après un premier engouement, les singapouriens se lassèrent. Le parc ferma en 1999 et fut démoli en 2008.

En 1997, le « National Art Council » découvrit que le cinéma était le 7ème art et lui ouvrit ses subventions. En son sein fut créée en 1998 la « Singapore Film Commission » (SFC) dont les missions englobent aujourd’hui le développement des talents locaux (subventions, éducation, infrastructure, mentoring, …), l’intégration de l’industrie cinématographique singapourienne dans l’environnement international, et le développement de la culture cinématographique des singapouriens. Depuis sa création, la SFC a soutenu plus de 800 films singapouriens de tous types. Aujourd’hui, la SFC fait partie de l’IMDA (Infocom Media Development Authority), organisme également en charge de la classification des films, et donc de leur éventuelle censure, toujours active, comme l’a encore montré récemment le sort réservé au film « Look at me » du réalisateur local Ken Kwek.

A partir des années 1990, épanouissement d’une multitude de talents singapouriens

 

Eric Khoo a été l’un des pionniers de ce renouveau du cinéma singapourien et aussi un de ses parrains, dans la mesure où il a identifié en tournant ses films des talents qui allaient ensuite marquer le cinéma singapourien. Comme tous, il a commencé par quelques courts-métrages, dont « Pain », histoire d’un sadomasochiste, film qui a eu le double privilège d’obtenir un prix au SGIFF en 1994 et de tomber sous le couperet de la censure jusqu’en 1998, date à laquelle il fut enfin autorisé à être projeté à Singapour grâce à la persévérance du SGIFF. Ce prix lui donna les moyens de tourner en 1995 « Mee Pok Man », son premier long-métrage, et aussi le premier long-métrage singapourien à être primé par le SGIFF. Vinrent ensuite, plusieurs long-métrages montrant des aspects sombres de la vie à Singapour et des personnalités marginales, comme « 12 storeys » (1997), premier film singapourien à être projeté au festival de Cannes, « Be with me » (2005), qui ouvrit la quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes, « My magic » (2008), nominé pour la palme d’or au festival de Cannes, « Tatsumi » (2011), projeté au festival de Cannes, « In the room » (2015), et « Ramen teh » (2018). La plupart de ses films ont eu une distribution mondiale. Il a aussi produit de nombreux films pour soutenir de jeunes réalisateurs singapouriens.

Jack Neo est une autre grande figure du cinéma singapourien. Issu du monde de la télévision et introduit au cinéma comme acteur dans 12 storeys, il a ensuite réalisé des films très divers, parfois en séries. Tout d’abord des comédies relatant la vie de singapouriens moyens en proie aux aléas de leur époque, parmi lesquelles : la série « That one not enough » (1999) et « Money not enough 2 » (2008) racontant les mésaventures de trois singapouriens en mal d’argent et faisant suite à « Money not enough » (1998), film qu’il n’a pas réalisé, mais dont il a écrit le script et dans lequel il a joué ; La série sur les étudiants avec « I not stupid » (2002), « I not stupid too » (2006), ; la série sur le service national, le premier film étant « Ah boys to men » (2012), le dernier étant « Ah Girls Go Army Again » (2022). Ces films ont eu un grand succès auprès du public singapourien, mais ont été dénigrés par les critiques pour leur comique facile. A côté de cela, il a réalisé des films plus « sérieux » et même touchants, comme « Homerun » (2003), un remake du film iranien « Children of Heaven » situé dans le Singapour de 1965, qui a remporté plusieurs prix dans des festivals internationaux, ou la série « Long long time ago » (2016-2021) qui revient sur plusieurs épisodes de l’histoire de Singapour depuis son indépendance à travers la vie quotidienne de Singapouriens moyens.

En 2015, a l’occasion des 50 ans de l’indépendance de Singapour, a été commissionné le film « 7 letters », qui est une suite de sept courts-métrages montrant divers aspects de la vie singapourienne à travers le filtre des sept meilleurs réalisateurs singapouriens d’alors. Eric Khoo et Jack Neo, déjà cités, en font bien sûr partie. Les 5 autres réalisateurs ont fait leur chemin dans le paysage cinématographique singapourien.

 

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Les 7 réalisateurs de « 7 letters » (copyright Raffles Press)

 

Après avoir gagné trois années consécutives le prix spécial du jury du SGIFF à la fin de années 90 pour ses courts-métrages, K Rajogopal est particulièrement connu pour son long-métrage « The yellow bird » (2016), un film sombre sur la vie d’un ex-prisonnier, sélectionné pour la semaine de la critique du festival de Cannes.

Royston Tan dépeint des personnalités marginales dans un Singapour très différent de celui que nous avons l’habitude de voir. Il a fait de nombreux courts-métrages, en commençant par « Hock Hiap Leong » (2001). Ses long-métrages ont des titres comportant toujours des nombres : « 15 » (2003), « 4:30 » (2005), « 881 » (2007), « 12 Lotus » (2008), « 3688 » (2015), et « 24 » (2021).

 

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Scène de « 15 » (copyright Mothership SG)

 

 

Tan Pin Pin aime à documenter des moments clés dans l’histoire de Singapour. Parmi ses films, citons « To Singapore with love » (2013), reflétant les sentiments d’activistes exilés dans les années de l’indépendance et rêvant toujours de revenir dans leur pays.

Boo Junfeng s’est fait remarquer avec son premier court-métrage « A family portrait » (2004) qui gagna le prix du meilleur court-métrage au SGIFF. Ces autres films célèbres sont « Sand castle » (2010), et « Apprentice » (2016), film qui a gagné de nombreux prix dans les festivals internationaux sur tous les continents et qui aborde délicatement le thème controversé de la peine de mort à travers l’apprentissage du futur bourreau de Singapour.

 

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Scene de « Sand castle » (copyright IMDA)

 

 

Kelvin Tong est connu pour « Eating air » (1999), lauréat du SGIFF, le film d’horreur « The maid » (2005), primé au festival du film fantastique de Puchon, et « Love story » (2006), nominé pour un léopard d’or au festival de Locarno.

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur le cinéma singapourien de ces dernières décennies. Citons par exemple « Forever Fever » (1998), remake de « Saturday night fever » à la sauce singapourienne par  Glen Goei, qui fut distribué aux Etats-Unis, « Perth » (2004), un « Taxi driver » singapourien réalisé par Djinn, « Singapore dreaming »(2006) réalisé par Woo Yen Yen et Colin Goh, « Ilo Ilo » (2013) et « Wet season » (2019) films d’Anthony Chen qui ont gagné des prix dans de nombreux festivals internationaux, « Pop Aye » (2017) film de Kristen Tan également couronné dans de nombreux festivals internationaux, « A land imagined » (2018), film de Chris Yeo Siew Hua, qui a remporté un léopard d’or au festival de Locarno. Le dernier venu est « Ajooma » (2022) film de He Shuming, qui a remporté des prix aux Golden Horse awards.

Le cinéma singapourien des dernières décennies est assez différent de celui de l’âge d’or. Tout d’abord le malais qui était alors la lange des films a quasiment disparu : l’essentiel des films sont tournés en anglais ou en chinois, voire un mélange de toutes les langues qui sont parlées à Singapour, y compris le « singlish », cet anglais à la sauce singapourienne. Le décor des kampongs a fait place à celui de la ville dense. Les thèmes traditionnels du folklore ont fait place à des histoires plus intimistes relatant la difficulté de vivre dans le Singapour d’aujourd’hui et mettant en scène des personnages plus marginaux. Ces films sont en tout cas une manière privilégiée d’entrer dans l’intimité de l’âme ce pays pour ceux qui n’en sont pas issus.

Des réalisateurs étrangers ont aussi choisi Singapour comme lieu de tournage ou de l’histoire

Le premier de cette époque est « Medium rare » (1991), produit et partiellement tourné à Singapour, mais réalisé par un anglais avec des acteurs américains : il n’a pas rencontré un grand succès, mais présente une valeur documentaire sur le Singapour de cette époque. De nombreux films étrangers ont été tournés a Singapour ou du moins y font référence, dont « One last dance » (2003) et « Cages » (2005), et le très célèbre « Crazy rich asians » (2018).

 

Scène de « Bugis street « (copyright IMDb)
Scène de « Bugis street « (copyright IMDb)

 

Des réalisateurs hongkongais ont tourné de nombreux films à Singapour, dont « Bugis street » (1995), évoquant l’ambiance de ce qui était alors la rue chaude de Singapour, célèbre pour ses travestis et transsexuels, film qui échappa miraculeusement à la censure.

Le cinéma, un loisir important dans le Singapour d’aujourd’hui

En dépit du développement de la télévision et de la diffusion en ligne, l’engouement des Singapouriens pour le cinéma n’a pas faibli : en 2018, Singapour était classé 6ème au niveau mondial pour ce qui concerne la fréquentation des cinémas avec une moyenne de 3.4 visites par an et par habitant (source The economist).

Aujourd’hui, il y a 271 salles de cinéma à Singapour, la plupart intégrées dans une trentaine de complexes multisalles, avec une capacité totale de 40.000 places. La plupart passent des films grand public, souvent d’origine américaine. Il n’y a qu’une seule chaine de cinéma d’art et d’essai, « The projector », qui compte aujourd’hui trois salles et qui passe des films sortant des sentiers battus.

Il y a aussi des festivals régulièrement organisés par la SFS (Singapore Film Society), active depuis 1954, comme par exemple cette semaine la 30ème édition du festival israélien. On ne peut pas terminer sans évoquer l’Alliance Française qui projette un film français le mardi soir et le French Film Festival qui aura lieu du 26 octobre au 27 novembre dans le cadre de « Voilah ».

Comment accéder aux films singapouriens ?

Certains des films mentionnés dans cet article sont accessibles sur Netflix. Ces films sont parfois rediffusés dans le cadre de festivals (notamment SGIFF) ou par les Archives Nationales, dont le bâtiment abrite une salle de spectacle le Oldham theater. On peut aussi les trouver en DVD sur Amazon par exemple.

Pour en savoir plus sur l’histoire du cinéma à Singapour, lisez les livres et les articles de Raphaël Millet, dont cet article s’est largement inspiré. La version anglaise de son ouvrage principal, « Singapore cinema », est disponible dans le réseau des bibliothèques publiques de Singapour.

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