Surnommée la Suisse de l'Asie, Singapour est placée au 6e rang mondial des pays les plus riches et concentre le plus gros pourcentage de foyers millionnaires au monde. Mais la ville la plus chère du monde a aussi ses déshérités. Plongée dans une réalité qu'on ne voit pas à travers le reportage d'Agathe Chapalain, au coeur de l'association Children's Wishing Well.
Au touriste de passage, la Cité-Etat offre un visage prospère. Derrière la vitrine du Marina Bay et du Financial District éclatant de mille feux à la nuit tombée, la ville arbore fièrement ses centres commerciaux, ses rues propres, ses HDB et condominiums. Pas de mendiants, pas de ghettos. Selon une déclaration du professeur Kishore Mahbubani en 2001, doyen de la Lee Kuan Yew School of Public Policy, la pauvreté à Singapour aurait été éradiquée. Mais, selon l'étude de l'institut ?The Economist Intelligence Unit? (EIU) publiée en mars dernier. Singapour est aussi classée ville la plus chère du monde pour la troisième année consécutive. Comment imaginer, dans ce contexte, que tout le monde ait les moyens de payer le prix de la prospérité et qu'à Singapour, même si elle est la plupart du temps invisible, la pauvreté n'existe pas aussi?
Children's Wishing Well est une association singapourienne, dirigée par Georgie Chong, qui vient en aide aux plus démunis. Je la retrouve au siège de l'association, sur Clementi road, pour un reportage de terrain sur le travail des bénévoles.
Du conseil aux étudiants à l'aide aux déshérités
Comment l'association en est-elle venue à s'occuper des plus démunis? ?Le nom légal de l'association est Student Advisory Center », confie Georgie. « Le but originel était d'écouter et conseiller de jeunes étudiants sur toutes sortes de problèmes. Mais nous avons constaté que ces jeunes ne sont en général pas guidés par leurs parents et vivent dans des conditions financières difficiles?. C'est ainsi que l'association s'est attaquée au problème de la pauvreté. Grâce à son action ?Food for families?, elle distribue gratuitement des sacs de nourriture d'une valeur de 60 dollars à 120 familles tous les mois. La liste des familles est révisée tous les 6 mois. Une fois que l'enfant a fini sa scolarité, la famille n'est plus éligible.
?Comment sont choisies les familles ?? ?Ce sont les écoles qui nous approchent ou les Family Service Center?, explique Georgie. ?Nous ne sommes pas en contact direct avec les familles. Les écoles repèrent les élèves qui sont en difficulté, certains bénéficiant déjà de l'assistance financière du Ministère de l'Education, et nous les aidons ensuite?.
?Pourquoi ces familles sont-elles pauvres ?? ?Il y a plusieurs raisons à la pauvreté », explique Georgie. « Cela peut-être à cause d'un décès, d'une maladie, de la perte d'un travail, des accidents de la vie. La plupart vivent dans des appartements d'une seule pièce, ce qui équivaut environ à 40m². Nous avons l'exemple d'une famille dans laquelle la mère est malade et ne peut pas travailler. Le père travaille, mais son salaire n'est pas suffisant. Ils ont trois enfants et les grands-parents vivent aussi avec eux. Nous avons aussi une autre famille de 4 enfants, dans laquelle le père a disparu, la mère fait des allers-retours en prison pour des problèmes de drogue, la grand-mère s'occupe des enfants à la maison, le grand-père travaillait mais a dû arrêter à cause d'un cancer?.
Children's Wishing Well au jour le jour
J-1 : Emballage des sacs - Je participe à la constitution des sacs et à la livraison aux familles. Dans chaque sac, des aliments de première nécessité: du riz, des nouilles, des céréales, de l'huile de cuisine, des biscuits, du beurre de cacahuète, de la sauce tomate, du milo, des boîtes de conserve? Pour cette séance de packing, 20 bénévoles sont présents. Tout est très organisé: les produits, encore dans leurs cartons, sont répartis en ?stations? dans le local. Chaque bénévole prend un sac vide et vient le remplir à chaque station selon un circuit bien précis: on passe d'abord par la station céréales, puis par la station boîte de conserve. On termine par la station sac de riz. Tout le monde est très motivé et à peine le top départ lancé, c'est une armée de bénévoles qui s'applique à la tâche, le tout dans une chaleureuse bonne humeur !
Des volontaires singapouriens et internationaux
Tous les aliments sont achetés au supermarché grâce aux donations des particuliers et des entreprises qui sponsorisent l'association. Le Lycée Français de Singapour est notamment un des partenaires réguliers de Children's Wishing Well. Il aide aux séances de packing auxquelles les élèves viennent participer. D'autres entreprises sponsorisent aussi des séances pour leurs employés à des fins de team building. Alexandra M., une maman expatriée à Singapour, vient régulièrement participer avec ses enfants. Ils sont scolarisés à l'école internationale GEMS World Academy, à Yishun. ?Comme dans la plupart des écoles », explique-t-elle, « les élèves doivent faire des heures de community service. A l'école internationale, tout le monde est plutôt à l'aise financièrement. Participer à cette action leur permet de voir une autre réalité et de réaliser que tout le monde n'est pas aussi chanceux qu'eux?.
J : livraison aux familles - Le lendemain, j'accompagne Anja R., une expatriée allemande, ainsi que sa fille et son amie, pour la livraison des sacs, dans le quartier de Yishun. Nous devons livrer des sacs à 9 familles au total. La tâche prend toute la matinée car il faut se déplacer en voiture dans plusieurs blocs résidentiels, situés dans différentes rues, monter le sac à l'étage et demander aux familles de signer l'accusé de réception. Parfois, les gens ne sont pas à leur domicile, il faut les appeler. Malgré le temps que cela prend, c'est occasion de voir un HDB de l'intérieur et d'avoir un aperçu de l'environnement dans lequel vit la majorité des Singapouriens.
Nous avons de la chance. La plupart des familles que nous livrons ce matin sont chaleureuses et bavardes, une formidable opportunité de leur poser des questions pour mon reportage. ?Il n'est pas toujours facile d'engager la conversation avec les familles », confie Anja. « Souvent, on sonne juste à la porte, on donne le sac et on les fait signer. Les gens n'ont pas forcément envie de discuter, ils sont assez réservés, ce qui peut se comprendre?.
Nous rencontrons une famille malaise. Le grand-père, nous voyant arriver devant sa porte, tient à mettre une chemise avant de nous saluer. Ancien ingénieur de l'armée, il a travaillé pour la Royal Air Force. Trois générations vivent dans le petit appartement : sa femme et lui, sa fille, qui a divorcé, et sa petite-fille, scolarisée à Yishun Secondary School. Il est le seul à subvenir aux besoins de la famille. Malgré leur situation difficile, il garde sa fierté et sa dignité.
Certaines familles ne sont pas au courant que nous venons leur donner de la nourriture. Il semble que l'école ne les prévient pas toujours. Une femme chinoise qui nous ouvre la porte est surprise. Sa s?ur est décédée récemment et son beau-frère est paralysé. Elle a déménagé pour s'occuper de lui et de son neveu. Elle est seule à travailler pour subvenir aux besoins de la famille et doit en plus de cela payer une aide pour s'occuper de la maison et de son beau-frère quand elle est au travail. Dans cette situation, il est difficile pour elle de joindre les deux bouts.
Lutter contre la pauvreté à long-terme
Children's Wishing Well ne s'occupe pas seulement de donner de la nourriture aux familles qui en ont besoin. Elle s'occupe également d'autre actions : l'opération Lunch Box donne des bons repas aux élèves pour le déjeuner, l'opération Grant a Wish permet grâce à un système de donation de réaliser le souhait d'un enfant comme payer un ordinateur pour ses études ou organiser une fête d'anniversaire. Enfin, une toute nouvelle opération lancée cette année vise à lutter contre la pauvreté dans une perspective de long-terme : Career GPS. ?Cette opération », explique Georgie, « a pour but d'emmener les enfants visiter des entreprises et discuter avec des professionnels pour leur donner des perspectives d'avenir. Leurs parents ne s'occupent pas forcément de leur orientation et le manque d'information ou l'autocensure les empêchent de rêver ou de se projeter vers un futur meilleur?.
Agathe Chapalain (www.lepetitjournal.com/singapour) jeudi 14 avril 2016
Si vous souhaiter être bénévole, faire un don ou organiser un partenariat avec votre entreprise, vous pouvez contacter l'association :
Children's Wishing Well, 365 Clementi Avenue 2 #01-503, 120365 Singapore - Tel: 6777 0041 - Mail: georgie@wishingwell.org.sg - Site internet: http://www.wishingwell.org.sg/ - Facebook: https://www.facebook.com/childrenswishingwell