A l'occasion des célébrations du 8 mai 1945 qui commémorent la fin des combats de la Seconde Guerre mondiale en Europe, revenons sur le sort de la petite communauté française qui vivait à Singapour à la même période. La petite centaine de Français, au début des événements, est essentiellement composée de religieux et d'entrepreneurs. Lorsque Singapour devient Syonan-to, seule une poignée de Français semble être restée dans la colonie japonaise
De septembre 1939 à décembre 1941, la guerre à Singapour semble assez lointaine
C'est par la radio et la presse que les Français apprennent la mobilisation générale et la déclaration de guerre. Les hommes de la communauté française se préparent à partir pour l'Indochine afin de rejoindre le front européen. Mais la rapidité des événements et la défaite française vont rendre cette mobilisation souvent inutile. Suite à l'entrevue de Montoire du 24 octobre 1940, où Pétain s'engage dans la voie de la collaboration, le Général De Gaulle organise de son côté le Conseil de Défense de l'Empire, avec la création notamment de Comités de la France Libre. L'édition du Straits Times du 29 octobre annonce la mise en place du Comité de Singapour, avec M. Brizay, Ingénieur architecte, comme président. Les missions du Comité sont d'organiser la recherche de renseignements, de trouver des éléments pro-vichy ainsi que de lever des fonds pour soutenir la Résistance. Mais au quotidien, loin du terrain des affrontements et dans une certaine insouciance, la vie suit son cours à Singapour. Le lieutenant-Général Arthur Percival, dans son livre The war in Malaya, décrit ainsi Singapour lors de son arrivée en 1941: "An atmosphere of unreality hung over Malaya. In the restaurants, clubs, and places of entertainment, peace-time conditions prevailed. Having just come from England, where austerity had already become the fashion, I must confess to rather an uncomfortable feeling when provided with an almost unlimited amount of food in the hotels and restaurants".
Mais à partir de décembre 1941, les événements se précipitent
Suite aux accords de juillet et décembre 1941, entre Vichy et Tokyo, la Cochinchine devient une base de stationnement et de passage pour les soldats nippons. Le 6 décembre 1941, l'armée impériale japonaise lance une attaque sur la base américaine d'Hawaï (Pearl Harbour), entraînant l'entrée en guerre des Etats-Unis. Dans la nuit du 7 au 8 décembre, les Japonais débarquent sur les plages de Kota Baru (Nord de la Malaisie) et de Singora (Thaïlande). Quelques heures plus tard, leurs avions survolent Singapour et bombardent les quartiers de Raffles Place, Chinatown et Seletar. Le 9 décembre, la France Libre du Général De Gaulle déclare également la guerre au Japon. La Seconde Guerre mondiale s'étend à toute l'Asie. Très rapidement l'armée nippone avance en Malaisie. Les régiments alliés essaient de résister. Les bombardements de l'aviation nippone deviennent constants et la situation en Malaisie et à Singapour s'aggrave de jour en jour. Parallèlement à l'avancée japonaise dans la péninsule malaise, le nombre de réfugiés à Singapour s'accroît. Le lieutenant-Général Arthur Percival doit gérer l'évacuation des populations civiles de Singapour. Le Félix Roussel, des Messageries Maritimes, navire français réquisitionné par les Britanniques participe à l'évacuation des femmes et des enfants européens principalement. Beaucoup d'entre eux sont encore à Singapour quand le "Tigre de Malaisie", Yamashita, fait tomber la "Forteresse imprenable" le 15 février 1942. L'opération militaire britannique "Matador", consistant à contrer l'invasion japonaise, est un cuisant échec. Les Japonais occupent désormais une base navale presque intacte.
Dans les hangars des usines Ford, le Lieutenant Général britannique Percival capitule le 15 février 1942. Singapour devient Syonan-Tô, "l'île de la lumière du Sud"
Il ne reste que peu de civils français à Singapour : soit ils sont partis en Indochine, soit ils ont été évacués vers l'Australie par exemple. Le 22 février 1942, la presse passe sous le contrôle japonais avec la parution du Syonan Times, qui devient le Syonan Shimbun (ou Syonan Sinbun) en décembre 1942. Les événements nationaux majeurs de la France de Vichy, pays allié du Japon sont reportés régulièrement ainsi que ce qui se passe en Indochine. Le 27 février 1942, les autorités militaires japonaises donnent l'ordre de fermer tous les postes consulaires de Singapour. En juin 1942, les Français, selon des témoignages des employés de la Banque de l'Indochine, doivent quitter Singapour. Cependant quelques Français auraient aussi été internés dans les prisons japonaises, comme à Changi. Mais il ne resterait, semble-t-il que des religieux français à Syonan-To. Le diocèse de Malacca comprend à l'époque près de 83.600 catholiques, sous la responsabilité de Monseigneur l'Evêque Devals (des Missions Etrangères de Paris), aidé de 50 prêtres (dont 23 locaux), de 182 frères et de 401 s?urs. Parmi eux, des ressortissants français. En août 1943, alors que la situation militaire nippone commence à se dégrader, les problèmes de ravitaillement sont de plus en plus nombreux. Les autorités japonaises mettent en place un plan d'évacuation: 300.000 personnes doivent quitter la ville, soit environ la moitié de la population de l'île! Le projet japonais consiste en la création de colonies agricoles, dans le cadre du programme "Grow more food", parmi elles la colonie de Bahau, dans l'Etat de Negri Sembilan (Malaya). Le premier groupe de colons eurasiens et catholiques, d'environ cent cinquante personnes, quitte Singapour le 29 décembre 1943. L'évêque Devals ainsi que des frères de la Saint Joseph Institution sont du voyage, accompagnés d'une équipe de 150 jeunes catholiques, dont quelques médecins et experts en agriculture et en bâtiment. Les tâches sont énormes : il faut construire une route d'accès, des ponts et assainir le terrain. En mai-juin 1944, Mgr Devals organise également le départ de quelques s?urs du CHIJ accompagnées d'un groupe d'enfants. Le travail d'une terre peu fertile, le manque d'hygiène, la malnutrition et surtout la malaria et le béribéri rendent les conditions de vie très difficiles. Lors d'un séjour à Bahau, l'évêque se blesse et doit subir une amputation, mais la gangrène se développe. Il décède le 17 janvier 1945.
Après les deux bombes atomiques du 6 et 9 août 1945, l'empereur Hirohito annonce la capitulation de son pays le 15 août
Elle n'est reportée à Singapour que le 21 août. La reconquête militaire des alliés se poursuit dans la région. Lord Louis Mountbatten, à la tête des Armées Alliées en Asie du Sud-Est rentre dans le port de Singapour le 5 septembre. Le 7 septembre, le Straits Times qui parait à nouveau, titre : "Singapore is british again". Le bâtiment de ligne français Richelieu, qui fait partie du convoi de libération, n'arrive quant à lui que le 11 septembre. Le 12 septembre 1945, l'Amiral Mountbatten et les représentants des alliés reçoivent la capitulation japonaise dans le Municipal Hall, dix jours après la reddition sans condition sur le SS Missouri à Tokyo. Les représentants des Pays-bas, des Etats-Unis, de l'Australie, de la Chine? participent à cette cérémonie. C'est le Général Leclerc, le libérateur de Paris, qui représente le Gouvernement Provisoire de la République Française. La Seconde Guerre Mondiale est terminée, une nouvelle page va commencer pour Singapour qui obtient un nouveau statut au sein de l'Empire britannique.
Maxime Pilon (www.lepetitjournal.com-Singapour) vendredi 6 mai 2011
(A partir de recherches faites pour le livre The French in Singapore, par Maxime Pilon et Danièle Weiler)