Multi-entrepreneur hyper-connecté, Frédéric Moraillon, qui vit à Singapour depuis 22 ans, connaît bien l'Asie, ses opportunités et ses exigences. Responsable d' Interfrench à Singapour, il partage aussi volontiers son expertise et ses réseaux avec les nouveaux arrivants. Autant de raisons de revenir avec lui sur son parcours et les raisons de son attachement durable à un pays qui a connu de profondes mutations.
Dans quelles circonstances êtes-vous arrivé en Asie?
Je suis né en France, près de Paris. je suis arrivé à Singapour en 1991 immédiatement après l'université et le service national. J'ai commencé par chercher du travail, puis j'ai fait la connaissance d'un couple de Français avec qui j'ai monté une entreprise exploitant des pins pour le marché français. Cela a duré 3 ans. Pendant cette période, on faisait des petits boulots le jour et travaillait pour notre entreprise le soir. Cela nous plaisait, même si on pouvait travailler jusqu'à 20 heures par jour. On était jeunes et on aimait cela. Tout était beau en Asie. L'Europe traversait une période de crise. J'ai créé beaucoup de sociétés. J'ai connu des hauts et des bas. Ma carrière a été une alternance d'emplois dans de grandes entreprises et de créations d'entreprises. Après quelque années, soit je vendais l'entreprise que j'avais créée, soit je la fermais. Dans les grandes entreprises, Je prenais en charge le développement des services marketing ou ventes. Une fois la mission réalisée, je repartais vers une nouvelle aventure. Je me suis bien adapté à cette alternance. C'est un système qui marche pour moi, en fonction de mes envies et des objectifs que je me fixe.
Qu'est ce qui pousse un jeune homme, au début des années 90, à partir tenter l'aventure en Asie?
J'ai vécu plusieurs mois en Espagne. Je suis ensuite parti faire mes études en Angleterre. Ces expériences m'ont donné le goût de l'international. Après l'Angleterre, je suis retourné en France pour faire mon service militaire comme officier dans l'armée de terre. Mon père étant décédé, je me retrouvais seul avec peu d'attaches en France. J'avais quelques copains d'université qui étaient de la région. C'était l'hiver et le climat tropical de Singapour avait de quoi faire rêver. J'ai pris la décision en plein mois de Janvier de partir. Singapour faisait partie des 4 tigres de l'Asie du Sud Est. Ce dynamisme m'attirait. Sur place, j'ai rencontré un couple de Français avec qui j'ai vécu. De fil en aiguille, nous avons monté une entreprise. Quelques mois plus tard j'ai rencontré ma femme et je suis resté.
20 ans plus tard, vous habitez toujours à Singapour. Qu'est ce qui vous a fait rester?
J'ai rapidement commencé à voyager dans la région. J'ai appris à découvrir les pays de la zone et me suis beaucoup enrichi. Plus je voyageais, plus j'appréciais Singapour : Une ville facile à vivre et stable, qui offre beaucoup d'opportunités. Au début des années 90, Singapour était l'un des rares pays stables en Asie du Sud Est. La Chine se réveillait, alimentant une forte dynamique régionale. Les opportunités professionnelles que j'ai eues m'ont toujours ramené vers Singapour, que ce soit dans le contexte de grande entreprise où mes responsabilités étaient régionales ou comme entrepreneur avec des sociétés dont le marché couvrait l'Asie. Singapour est ainsi devenue une plateforme idéale pour travailler et voyager dans la région. Et puis j'ai rencontré ma femme à Singapour. Elle est Singapourienne et même si elle n'a jamais été opposée à l'idée de vivre ailleurs, sa famille vit ici. Enfin, j'aime Singapour, les gens et le brassage mondial. Je me suis bien adapté sur place et mon cercle social, quoique international, est surtout basé à Singapour.
Quel est le secret d'une vie réussie à Singapour?
Il faudrait commencer par définir ce qu'est une vie réussie. En ce qui me concerne je considère surtout que j'ai encore du temps et des projets. Je suis encore loin de la retraite, et n'envisage d'ailleurs pas d'en prendre une. Le secret, c'est peut être de savoir s'adapter à un système hyper actif, hyper dynamique et de ne jamais s'arrêter. C'est ce que j'aimais dire à ma famille en France, lorsque j'y revenais : l'Asie est très simple, si tu ne travailles pas tu ne manges pas. Donc tu ne peux jamais t'arrêter. Il y a aussi des éléments facilitateurs : que ce soit par intérêt ou par altruisme, tu trouves des gens pour t'aider. Par ailleurs, le gouvernement a mis en place à Singapour une structure pro-business. Si tu aimes l'action, si tu es dynamique, si tu aimes voyager, si tu veux changer le monde, alors tu peux réussir. La région est hyper-dynamique. Tu déjeunes avec des amis et après quelques minutes tu commences à discuter de deux ou trois opportunités de business. Ta mentalité change. Elle devient celle du possible, car il y a toujours quelque chose à faire. J'aime cette manière de penser, où tu es actif et développe des projets. L'autre avantage de Singapour c'est que tout est décloisonné : peu importe tes diplômes ou ton passé, tu peux grimper les échelons rapidement et réussir de grandes choses. Lorsque je suis arrivé sur Singapour, on m'a confié des responsabilités que je n'aurais peut être jamais eu en France au même âge.
Comment Singapour a-t-elle évolué au cours de ces 20 années?
L'environnement urbain s'est considérablement développé. La ville est vraiment différente. Beaucoup de bâtiments ont disparu, remplacés par des tours plus hautes. Il y a 20 ans, il y avait peu de clubs ou de galeries d'art. Le musée était très local. On sortait souvent les uns chez les autres. Il y avait beaucoup plus d'espaces verts et peu de centres commerciaux. Takashimaya, sur Orchard road, venait à peine d'ouvrir. Aujourd'hui, il y a des opportunités d'activité tous les jours. Bars, restaurant et cafés se sont multipliés. Ces changements ont ouvert de nouvelles perspectives aux Singapouriens et aux habitants de Singapour. L'urbanisme et le dynamisme ont fait de Singapour une ville encore plus fascinante.
A l'inverse, qu'est-ce qui n'a pas changé ?
La nourriture. Les Singapouriens sont amoureux de la nourriture. Singapour a toujours été un Food-Hub, ou il est possible de trouver les cuisines du monde entier. Je me souviens qu'en 1996, avec mes amis du travail, chaque déjeuner devait être une expérience culinaire, même s'il fallait parcourir une grande distance et manger en 15 minutes. Cet engouement n'a pas changé depuis et s'est même accru.
Vous animez le réseau interfrench et aidez volontiers les nouveaux arrivants. Quel regard portez-vous sur ceux qui viennent s'installer à Singapour aujourd'hui ?
Ce que j'apprécie, c'est que ces nouveaux arrivants viennent d'horizons divers. Ils sont diplômés ou non. Ils ont fait une grande école ou sont passés par l'université. Ils appartiennent à différentes communautés, que ce soit sur le plan professionnel, social ou religieux. Il n'y a pas un profil type, mais de multiples parcours. Ces Français qui arrivent à Singapour sont plein d'énergie. Il ne s'agit pas d'un brain drain qui frapperait la France. Il s'agit plutôt de personnes qui partent parce qu'elles souhaitent s'en sortir et faire quelque chose de leur vie. Bien sûr, vu de France, c'est dommage, car le pays perd potentiellement des personnes de talent qui pensent que le système français ne peut pas les aider autant que le système asiatique ou singapourien. La réalité est qu'il est en effet plus facile de créer des sociétés ici et de se repositionner en cas d'échec, y compris en réintégrant, comme je l'ai fait plusieurs fois, une grande entreprise. L'environnement est positif. La vie n'est pas écrite, c'est à toi de l'écrire. C'est une grande différence avec la France.
Quel conseil leur donner ?
Ne pas avoir de parti pris ou d'idées préconçues en venant. Même si la vie paraît belle et sympathique, Singapour n'est pas un lieu facile. C'est une ville basée sur le trading, l'argent, le self développement, la réussite et le respect des règles. Il faut se battre, personne ne vous donne de boulot gratuitement car, chaque semaine, des centaines de personnes, venant du monde entier, arrivent à Singapour et vous font concurrence. A cet égard, la situation était plus facile il y a 20 ans. Rien n'est acquis, c est un lieu où on peut s'épanouir mais où il est aussi possible d'échouer douloureusement.
Vous êtes très attaché au réseau
Prospérer en Asie et Singapour dépend des personnes qu'on connaît et qui vous connaisse plus que du diplôme ou des aptitudes. Il est vrai qu'un bon diplôme aide, mais ce sont les bons contacts qui facilitent la vie, surtout si tu es performant dans ton métier.
Comment décrire le Singapourien d'aujourd'hui ?
C'est une question difficile car je ne suis pas Singapourien. Je dirais que le singapourien se caractérise par son ouverture au monde. Je me rappelle qu'il y a des années, je travaillais pour une agence publicitaire. J'étais jeune et je trainais beaucoup avec mes collègues singapouriens du même âge. Ils commençaient tout juste à s'épanouir et à se libérer du sentiment d'être des joueurs de seconde ligue, jugés moins créatifs et cantonnés dans des rôles de support. Le Singapourien d'aujourd'hui, par contraste, joue d'emblée au niveau mondial. Il réalise des choses d'une qualité exceptionnelle. Des Singapouriens en partant de rien se sont hissés à la tête d'entreprises internationales.
Et quelle identité pour les français vivant à Singapour ?
Je suis personnellement très fier d'être français. Beaucoup de français sont comme moi. Cela m'ennuie parfois quand les politiciens abîme ce sentiment de fierté nationale. Je cherche toujours quelque chose à faire avec mes amis pour aider la France. Le français vivant Singapour a souvent, par comparaison avec le français qui n'a jamais quitté la France, un sens plus poussé de son identité française précisément parce qu'étant parti il a compris qu'être français, c'est une manière de voir la vie, de voir le monde.
Pensez-vous retourner un jour en France ?
Pour les vacances, sans doute. Je ne pense pas prendre ma retraite là bas, car je n'ai pas envie de m'arrêter. Peut être passerons nous, ma femme et moi, plus de temps en France, mais je n'envisage pas de couper un jour les ponts avec l'Asie et Singapour.
Propos recueillis par Radouane Hamidi (www.lepetitjournal.com/singapour) jeudi 21 novembre 2013