

Les Singapouriens de souche se plaignant du trop grand nombre d'étrangers dans la ville, le gouvernement a décidé d'abaisser les quotas d'immigrés autorisés à travailler dans certaines entreprises. Dans le collimateur, les centaines de milliers d'ouvriers originaires notamment d'Inde, du Bengladesh et de Chine, ainsi que les maids venues des Philippines ou d'Indonésie. Seulement? qui va s'épuiser sur les chantiers ou dans les foyers à leur place ?
Sans doute échaudé par sa victoire en demi-teinte lors des dernières élections, le People's Action Party a décidé de s'attaquer à un des problèmes régulièrement dénoncés par la population : la présence trop importante d'étrangers, notamment dans les transports en commun. Actuellement, plus d'un tiers des 5,2 millions d'habitants sont nés en dehors de la Cité-Etat. Dans le cadre du budget 2012, le ministre des Finances, Tharman Shanmugaratnam, a donc annoncé qu'à partir du 1er juillet, les entreprises des secteurs manufacturiers et des services devront réduire de 5% la proportion d'étrangers officiant dans leurs équipes. Désormais, chaque PME de l'industrie manufacturière ne pourra plus embaucher que 60% d'immigrés maximum, et les services 45%. Près de neuf mille entreprises seraient concernées par cette réforme. Celles qui dépassent actuellement ces seuils ont jusqu'en juin 2014 pour se mettre en conformité avec la loi. Pour l'heure, les quotas en vigueur dans le BTP et la Marine restent inchangés. "Une injection continue et rapide d'étrangers affectera inévitablement le caractère singapourien de notre société (?) Notre dépendance accrue à leur égard n'est pas tenable", a conclu le ministre des Finances.
Exit les étrangers, vive les seniors !
Différentes mesures visant à freiner l'installation de jeunes diplômés ou de cadres venus d'ailleurs ont déjà été prises ces derniers mois. Il faut dire que l'an dernier, sur les cent vingt mille nouveaux emplois créés, près des deux-tiers ont été pourvus par des étrangers, notamment originaires de Chine, d'Inde et des Philippines. Dès lors, les autorités veulent encourager les patrons de petites et moyennes entreprises à embaucher des locaux, à les former et à les payer correctement : à partir de septembre, les structures qui feront travailler des Singapouriens de plus de cinquante ans recevront des aides spécifiques, et celles qui investiront dans la formation du personnel bénéficieront d'avantages fiscaux. Objectif : augmenter la productivité des Singapouriens. "Actuellement, il faut ici dix employés pour produire un million de dollars, là où les Américains n'ont besoin que de sept personnes, et les Suisses six", a souligné le ministre des Finances lors de son discours au Parlement.
"Qui va nettoyer nos toilettes, garder nos immeubles et construire nos maisons ?"
Mais cette volonté de restructurer en profondeur l'économie de Singapour bute contre de nombreux obstacles. Depuis vingt ans, le développement de la Cité-Etat repose en grande partie sur cette main d'?uvre à bas coût : un ouvrier gagne en moyenne 2,50SGD$ de l'heure ! Corvéables à merci, mal payés, parfois même non rémunérés pendant plusieurs mois, comme l'a illustré la grève récente d'une centaine d'ouvriers à Tampines, ces cols bleus étrangers font désormais partie des rouages du pays. Les Singapouriens risquent fort de bouder ces jobs éreintants et mal payés, d'autant plus que le taux de chômage dépasse à peine les 2%. Comme l'explique un internaute sur le forum du site Today Online :"Nous pourrions embaucher moins de maids en faisant les corvées nous-mêmes. Nous pourrions déjeuner au bureau au lieu de manger au food-court. Nous pourrions aussi convaincre nos amis et nos proches de devenir chauffeurs de bus ou nounous. Mais est-ce vraiment cela que nous voulons ?". Et comment vont faire les directeurs de petites et moyennes entreprises, s'ils ne trouvent pas de locaux à embaucher ? Le patron d'un stand de food-court explique sur un autre forum que "les locaux semblent bouder les offres que je propose. Pour chaque Singapourien qui fait la fine bouche face à un poste payé entre 800$ et 1.400$, je vois beaucoup d'étrangers qui font la queue. Mais si les locaux ne veulent pas de ces emplois, et si je ne peux plus embaucher d'étrangers, qui va nous servir à table, nettoyer nos toilettes, garder nos immeubles et construire nos maisons ? ".
Laure de Charette - asienews (www.lepetitjournal.com-Singapour) lundi 27 février 2012

















