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PHOTOGRAPHIE - Corinne Mariaud, ou la résistance souriante

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Écrit par Bertrand Fouquoire
Publié le 18 mai 2016, mis à jour le 18 mai 2016

Machos et Sufragettes s'abstenir. La technique et l'inspiration de la photographe Corinne Mariaud, dont le travail fait l'objet d'une exposition du 26 mai au 25 juin à l'Alliance Française, font la part belle à l'humour qui dérange. Femmes trophées, femmes provocantes ou femmes souriantes, toutes ont en commun d'être jeunes, belles et magnifiquement photographiées. Mais le message est à rebours des apparences. Vous souriez j'en suis fort aise, et bien repensez-y maintenant. 

Entretien avec Corinne Mariaud

De quoi cette exposition I TRY SO HARD  parle-t-elle ?  

Corinne Mariaud ? Cette exposition présente des éléments appartenant à 3 séries : I try so hard, Trophées et Climax. Dans I try so hard, j'ai demandé aux jeunes femmes avec lesquelles je travaillais de sourire et de tenir ce sourire pendant 2 mn. Je les ai filmées. J'ai travaillé sur l'idée du sourire comme un masque. Il y a l'idée de garder l'équilibre. Concrètement, il y a 3 écrans qui présentent les femmes souriant. Les images sont encadrées comme s'il s'agissait de portraits. Il y a aussi une série de 12 photos par groupes de 3. J'ai fait avec chaque jeune femme 3 photos différentes, dans lesquelles elles reproduisent le même sourire. Elles changent de maquillage et de vêtements et deviennent différentes. Mais ce que je m'attache chaque fois à saisir c'est ce qui reste permanent malgré ces différences.

Qu'est-ce qu'exprime ce sourire ?

- Le sourire renvoie à plusieurs sujets. Il y a l'idée de la femme qu'on réduit à son apparence. Quand les modèles tiennent le sourire, c'est violent. Le sourire est une tension.  Il contient l'expression d'une résistance, qui vaut aussi pour le monde du travail et pour tous les moments où l'on reste en équilibre entre vulnérabilité et puissance.

Et les autres séries ?

- La série Climax expose le corps de femmes dans des pauses un peu provocantes. La femme s'exhibe. Mais on ne voit pas son visage. Le spectateur est exclu. La femme se réapproprie son corps.

Le troisième élément, c'est la série Trophées dans laquelle je surfe sur les clichés. « Trophées » ne renvoie pas à l'idée de la collection. Quand on voit une biche en trophée, on voit quelque chose de beau. Mais c'est aussi violent, parce que la tête est coupée. C'est le paradoxe des chasseurs qui disent aimer les animaux et les tuent. D'une certaine manière, les trophées sont une glorification de la violence. La femme y est représentée hors d'état de nuire. Quand on regarde les trophées, on commence par sourire. Et puis on ressent un certain malaise. Parmi les trophées, il y en a une qui réagit et résiste.

Comment les jeunes femmes que vous photographiez ont-elles réagi?

- Les photos que je réalise ne sont pas le résultat d'un trucage sur photoshop, mais d'une mise en scène au moment de la photographie. Pour la série trophées, Les modèles devaient passer leur tête par un trou. La plupart comprenaient très bien la démarche. En tant que modèles elles retrouvaient sans doute dans cette mise en scène un écho de leur propre questionnement.

Et les féministes ?

- En France, certaines féministes de la grande époque des combats féministes n'ont pas du tout apprécié mon travail. Elles sont allées jusqu'à m'agresser. D'une manière générale, cette génération de féministes ne veut pas qu'on touche au corps de la femme. Elles détestent qu'on coupe la tête des femmes. Les plus jeunes, au contraire, sont plus réceptives à mon travail et à l'humour que j'y mets.

Est-il arrivé qu'on vous achète une photo pour des raisons exactement inverses à celles qui vous ont inspirée ?

- Cela arrive. Aux Etats Unis, un homme a acheté plusieurs tableaux de la série Trophées  en me disant: "c'est pour mon frère qui est un tombeur".

Quelle importance représente le moment de l'exposition pour une photographe ?

- Quand on expose son travail, il ne vous appartient plus. L'exposition est un moment très important. C'est une scénographie. Quand les photos ne trouvent pas le moyen d'être exposées et restent dans le tiroir, il y a quelque chose de bloquant.  Pour moi, les expositions sont des moments difficiles parce que je ne veux pas m'exposer moi. A l'opposé, l'exposition a un coté libérateur, parce qu'il faut que les images soient vues et parce que le photographe a besoin de reconnaissance. Cela redonne de l'énergie.


Corinne Mariaud dans son studio. Crédit photo Corinne Mariaud
Comment s'est passée votre rencontre avec la photographie ?

- J'ai commencé par dessiner beaucoup. Je continue de le faire. J'ai toujours avec un moi un petit carnet sur lequel je fais des croquis et note des idées.  Après le Bac, J'ai fait une école d'Art et me suis spécialisée dans le graphisme. Puis j'ai travaillé pendant quelques années dans la publicité. Le milieu de la publicité, bien que contenu, est une opportunité extraordinaire pour exprimer sa créativité. C'est en faisant travailler des photographes, comme directeur artistique, que j'ai été sensibilisée à la force du visuel. J'ai adoré cette expérience. Pourtant j'étais insatisfaite. J'avais l'impression d'avoir quelque chose dans le ventre qui ne sortait pas.

J'ai un frère et des amis photographes. Ils m'ont aidé. Mon frère m'a prêté son matériel et j'ai appris en l'utilisant. J'ai beaucoup appris au contact des uns et des autres : des conseils et des techniques que chacun pouvait me transmettre. J'ai fait aussi beaucoup de choses :  du cinéma par exemple, comme assistante de réalisateur, en réalisant plusieurs courts métrages, puis en étant photographe de plateau. Finalement j'ai choisi la photo parce que c'est un medium qui me convient bien.

Comment avez-vous construit votre parcours de photographe, entre photo de publicité ou de reportage, et votre travail artistique ?

- En France on n'aime pas trop les touche à tout. Pourtant, mon expérience m'incite à penser, à l'inverse, que l'on se nourrit énormément des expériences faites dans des univers différents. J'adore le portrait parce qu'il s'agit d'être rapide. J'ai fait beaucoup de portraits d'écrivains et d'artistes dont la personnalité est très inspirante. Ce n'est pas toujours simple de travailler. On ne dispose souvent que d'un laps de temps très court pour faire les photos. Prendre la même photo que tous les autres, ça ne m'intéresse pas. Je veux saisir quelque chose de la personne que je photographie. Même si c'est très rapide, il y a quand même une relation qui se noue entre le photographe et la personne qui est photographiée. J'ai toujours peur de ne pas y parvenir.

?Il y a donc un trac du photographe ?

- Absolument. Est-ce que je vais arriver à faire une bonne photo ? On ne sait pas qui on va rencontrer. Il y a la technique et il y a tout ce qui passe par la relation. La difficulté pour le photographe, c'est qu'il doit parler à la personne qu'il photographie, tout en étant hyper concentré sur la photo. Il faut imaginer la photo qu'on veut faire ; ce qu'on veut prendre. La photographie est toujours un jeu égocentrique. Le photographe parle toujours un peu de lui. Par exemple, j'ai eu l'occasion de photographier Vincent Cassel. D'habitude, le visage qu'il offre aux photographes est toujours dur. J'ai été très heureuse de réussir à capter dans mes photographies quelque chose de très doux. Le photographe joue toujours beaucoup sur sa sensibilité. C'est quelque chose que l'on cultive.

Et sur le plan artistique ?

- Dans mon travail artistique, je suis plutôt interpellée par des sujets universels, tels que la femme dans la société contemporaine. Quand on fait un travail artistique, on utilise les failles. Il y a une part de risque. On va chercher des choses en soi. On s'expose. Quand on commence à réfléchir sur un thème, plus on avance, plus on se rend compte qu'on a encore quelque chose à dire. Souvent, la série ne fait sens que lorsqu'elle est complète.

I try so hard, Corinne Mariaud


Comment le photographe professionnel survit-il et parvient-il à marquer sa différence dans un monde saturé d'images ?

- Aujourd'hui, grâce au digital, n'importe qui est capable, à un moment, de réaliser de très belles images. Il semble aussi que beaucoup de photographes, particulièrement en Asie, travaillent beaucoup leurs photos sur l'ordinateur après la prise de vues. Pourtant, qu'il s'agisse d'un travail d'auteur ou d'un travail commercial, on a encore besoin de professionnels qui connaissent la technique et sachent faire la lumière en studio. Ce qui compte dans la démarche de l'artiste, c'est la problématique sur laquelle il travaille, le sens qu'il donne à ses images. La photographie dans ce cas, c'est un engagement, une écriture.
 

 

 

Site de Corinne Mariaud

Exposition I try so Hard, du 26 mai au 25 juin, à l'Alliance Française, dans le cadre du festival Voilah!

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