Deux ans après Naked Memories, Hélène Le Chatelier continue son exploration du corps humain comme réceptacle de la mémoire dans sa nouvelle exposition, Beyond the surface : le corps, portant les empreintes diffuses de nos souvenirs et émotions, devient la carte d'un territoire à explorer. Peintures en noir et blanc, sculptures et installations d'art contemporain à découvrir jusqu'au 24 juin à la galerie Intersections.
www.lepetitjournal.com/singapour - La série éponyme de cette nouvelle exposition, Beyond the surface, semble être pleinement dans la continuité de Naked Memories, présentée en 2014 ?
Hélène le Chatelier ? J'ai poursuivi mon travail sur le corps comme réceptacle de la mémoire, sur cette idée que toutes les choses que l'on vit, que l'on ressent, laissent des traces en nous. Cette réflexion m'a progressivement entraînée vers l'idée de la cartographie du corps, de voir le corps comme un paysage, un territoire à explorer. Je me suis penchée sur les questions de l'intimité et l'identité, sur ce qu'il y a « sous la surface ». Dans cette quête de la connaissance de l'autre ou de soi-même, on se rend compte qu'il y a toujours quelque chose qui nous échappe. C'est un voyage infini.
Les nus de cette série, Beyond the surface, sont ainsi moins tangibles que dans Naked Memories ; il y a un côté très géographique. Lorsqu'on est près des peintures, on voit des paysages, des archipels, des continents, ... par moment on a l'impression d'empreintes de peau, et quand on s'éloigne et que l'on change de regard sur l'?uvre, on s'aperçoit que ça représente un corps. J'aime jouer sur les changements d'échelle, sur les correspondances entre le microcosme et le macrocosme, et avoir différents niveaux de lecture.
La deuxième série de peintures de l'exposition, Internal landscapes, représente des paysages. Quel est le lien entre ces séries ?
- Cette double lecture du corps portant l'empreinte de nos souvenirs, de nos émotions et comme un paysage à parcourir m'a naturellement emportée vers l'idée de paysages intérieurs. Internal landscapes interroge sur ce qui est perceptible ou non, ce que l'on porte inconsciemment en nous, qui nourrit notre manière d'être et qui transparaît dans notre rapport à l'autre et dans notre intimité. Ces paysages intérieurs sont comme des instantanés d'émotions, une représentation de soi, figée un court instant avant que le temps et le mouvement ne l'emportent.Quelle technique utilisez-vous ?
- Je travaille essentiellement à l'encre de Chine sur papier. Pour cette exposition, j'ai également utilisé de l'acrylique, et pour la première fois j'ai travaillé sur toile pour les paysages circulaires.
J'ai été formée notamment à la fresque (ndlr, a fresco, technique de la renaissance italienne) et il y a énormément de similitudes entre les deux techniques : à fresque comme à l'encre, on a un temps très réduit pour intervenir, on ne peut pas corriger ni effacer, il faut que le premier geste soit le bon. Ça nécessite à la fois un travail préparatoire important pour maîtriser ce qu'on fait, et une rapidité d'exécution. Le test est très important. Il y a une vraie prise de risque au moment de la réalisation, qui me convient bien.
Le papier est mon support de prédilection, j'aime sa texture, son grain et sa fragilité. Je travaille au sol, avec des couches de papier successives qui recouvrent le support final. L'encre s'imprègne et traverse les couches successives que je retire ensuite pour donner le résultat final sur l'?uvre, par dévoilement progressif.
L'acrylique me permet de jouer sur les textures, d'obtenir des reflets et des effets de matière différents. Notamment, les effets voilés, blanchis ou noircis, qu'on peut observer sur les nus sont éxécutés à l'acrylique. Sur les toiles, j'ai utilisé beaucoup de couche d'apprêt pour préparer mon support avant d'appliquer le papier puis l'encre. Cela rajoute de la texture et du relief aux paysages.
Il y a dans vos peintures une certaine harmonie et une sensibilité qui font penser à la peinture chinoise. De quelle manière l'Asie influence-t-elle votre travail ?
- Comme je l'évoquais, j'ai toujours utilisé l'encre de Chine et le papier, avant même d'avoir vécu ou voyagé en Asie, et avec une formation très occidentale, sans connaissance particulière de l'art asiatique.
Après 20 ans sans peindre, j'ai repris mes pinceaux ici, à Singapour, en 2013 pour Naked Memories, exactement là où je les avais laissés lorsque je vivais à Paris. Cette réflexion n'est donc pas née d'une influence asiatique, mais le fait de vivre en Asie et d'avoir repris la peinture ici a certainement influencé mon travail.
Je n'en avais pas forcément conscience au départ, mais ma réflexion a mûri entre temps et s'est forcément nourrie d'influences asiatiques. Cette relation au nu et le travail sur le corps est un sujet très occidental, mais en revanche le fait de l'aborder sous l'angle d'un paysage ou d'un territoire, est très asiatique.
Il y a une vraie résonance entre Asie et Occident dans mes ?uvres, que je revendique complètement!
Quel rapport à l'écriture entretenez-vous depuis votre dernier roman ?
- L'écriture est un moyen d'expression très important pour moi aussi, et je continue à écrire dès que j'en ai le temps.
Peindre est pour moi beaucoup plus exaltant et représente ainsi à mes yeux une prise de risque plus importante que l'écriture. Il y a quelque chose de très souterrain, intime et moins maîtrisé qui s'exprime avec la peinture ou la sculpture, contrairement à l'écriture où l'on maitrise parfaitement la signification des mots que l'on couche sur le papier.
L'exposition présente également des sculptures ...
- Il y a un aller retour assez constant entre peinture et sculpture dans mon travail. La sculpture est une manière d'étudier le corps, d'observer et de ressentir les choses avant de peinture.Les sculptures présentées sont faites de terre puis recouvertes de couches successives de papier journal. Les journaux, les nouvelles quotidiennes, ça fait partie de notre mémoire collective et les utiliser dans mes sculptures est une manière de dire que toute cette mémoire collective nous constitue et nous donne forme. Les journaux sont ensuite peints à l'encre de chine, comme un vernis, une carapace.
Chaque sculpture contient également un des écrits collectés durant un atelier que j'ai animé à l'Alliance Française il y a quelques années sur le thème du corps et de la mémoire. Je ne dévoile pas ce que contiennent ces écrits. Cela restera un secret, de la même manière que lorsqu'on rencontre quelqu'un, même si l'on devient très intime, il y a toujours une part de mystère, quelque chose qu'on ignore de l'autre.
... et des installations d'art contemporain ?
- J'ai voulu présenter dans cette exposition quelques pièces plus conceptuelles au côté de medias plus traditionnels, pour familiariser les visiteurs avec l'art contemporain.
Par exemple, l'installation présentant un casque anti-bruits et des miroirs qui se font face et reflètent ainsi votre image à l'infini, est une invitation à l'introspection. Dans ce monde en agitation permanente, cette installation invite à faire une pause, en silence, pour s'interroger sur moi-même et écouter ce qui est enfoui en nous, nos paysages intérieurs.
Une autre sculpture, plus conceptuelle ainsi que trois installations vidéos sont également présentées. Elles abordent les thèmes du mouvement, de l'intimité et l'introspection, et de l'infiniment petit et l'infiniment grand qui ne forment qu'un tout. Elles ont été rendues possibles par ma collaboration avec Syv Bruzeau, danseuse de Butoh, et Virgile Viasnoff, directeur du Mecanobiology Institute à Singapour. Je suis très chanceuse d'avoir pu collaborer avec eux, m'inspirer de leurs pratiques et expériences respectives.
Propos recueillis par Cécile Brosolo, www.lepetitjournal.com/singapour , le Mardi 06 juin 2017
L'exposition Beyond the surface par Hélène Le Chatelier est présentée par la galerie Intersections jusqu'au 24 juin.
Artist talk avec Hélène le Chatelier, le lundi 12 juin à la galerie Intersections, de 20h à 21h.
Toutes photos :
Crédit Anne Valluy
Art photos courtesy of the Artist, Hélène le Chatelier
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HELENE LE CHATELIER - La peinture et l'écriture sont complémentaires
ARTS PLASTIQUES - Les dessous d'une création à quatre mains