Paul French, auteur à succès sur la Chine, vient de terminer un roman historique intitulé "Her Lotus Year", consacré à l’expérience chinoise de Wallis Simpson, la future duchesse de Windsor. Au-delà des images sulfureuses attachées à l’amante du roi d’Angleterre Edouard VIII qui choisira d'abdiquer pour vivre pleinement leur idylle, Paul French a découvert un personnage fascinant dont la seule année passée en Chine a eu une importance capitale sur le reste de son existence. Nous l’avons rencontré pour en apprendre plus. Voyage aux côtés d'une femme moderne dans l’Empire du Milieu
Des ragots sur la future Duchesse de Windsor
Vous souhaitiez depuis longtemps sur Wallis Simpson. Dites-nous pourquoi.
Du fait des ragots libidineux sur son séjour en Chine entre 1924 et 1925, Wallis Simpson est liée de façon permanente à Shanghai. Quand j’habitais à Shanghai, on me posait régulièrement des questions sur la fameuse « pince de Shanghai » (je vous laisse réfléchir là dessus), censée avoir été apprise par la duchesse dans les maisons de passe de la ville. Tout cela ressemblait à des rumeurs et je savais qu’en 1936, face au désir du roi Édouard VIII d’épouser l’Américaine deux fois divorcée Wallis Simpson, le gouvernement britannique et les services secrets ont inventé tout un tas d’histoires sur son séjour en Chine. On lui prête la fréquentation d’un bordel, le trafic d’opium, la pratique des paris frauduleux, le fait de poser nue pour de l’argent, des relations avec des hommes mariés, un avortement… la liste est sans fin. Bien sûr, dans les années 1930, l’opinion européenne était divisée sur la Chine. D’un côté, c’était un lieu de débauche et de corruption morale où aucune femme blanche ne devait voyager sans être accompagnée (voir les films de Fu Manchu !), et de l’autre, l’Europe adorait le style chinois et les chinoiseries. Toute cette histoire méritait d’être approfondie…
Wallis est tombée amoureuse de la Chine
La future duchesse de Windsor a été toute sa vie influencée par son expérience de la Chine. Racontez-nous comment.
Wallis Simpson n’avait jamais prévu d’aller en Chine. Elle a suivi son mari, un officier de marine américain en poste à Hong Kong. Je ne pense pas qu’elle ait pensé une seule seconde à la Chine avant d’arriver à Hong Kong en septembre 1924. C’est plus tard, vers Noël 1924, lorsqu’elle est arrivée à Pékin, qu’elle est tombée amoureuse de la Chine. Ce n’était pas le monde privilégié du Hong Kong colonial ou l’ambiance internationale de Shanghai qui l’attiraient, mais plutôt l’ancienne capitale, les hutongs et les traditions de la « vraie » Chine. Elle a développé un amour pour la soie et le jade, les styles vestimentaires chinois, comme les cheongsams qu’elle a porté toute sa vie et sa coiffure chignon noir de jais emblématique. Regardez une photo d’elle 30 ou 40 ans plus tard, maintenant duchesse, vivant en exil avec le duc dans la villa Windsor au bois de Boulogne et vous retrouverez ces éléments : ses robes, ses cheveux, assise devant un paravent chinois, à côté d’une armoire chinoise et, bien sûr, les carlins chinois qu’elle et le duc ont toujours eus. La Chine a été une année de sa vie, mais l’esthétique et le style ne l’ont jamais quittée. Elle est d’ailleurs considérée comme l’une des femmes de goût les plus élégantes et les plus à la mode au monde.
Elle fuyait un mari violent
La véritable histoire de Wallis est dans une certaine mesure plus intéressante que les légendes attachées à son expérience chinoise. Comment ?
Tout le monde a une opinion sur Wallis Simpson, en particulier au Royaume-Uni où elle reste un sujet régulier de ragots sur son séjour en Chine dans les journaux à scandale. Eh bien, l’histoire que la plupart des gens connaissent (jusqu’à maintenant si vous achetez le livre !) s’avère au final être la complète création des services secrets britanniques. La véritable histoire devrait changer le point de vue souvent porté sur Wallis Simpson. Elle a suivi son mari marin à Hong Kong, mais il était alcoolique et violent, alors elle l’a abandonné et s’est enfuie à Shanghai pour demander le divorce. Elle n’a pas pu obtenir de divorce et n’est restée qu’une quinzaine de jours avant de déménager à Pékin, où elle est restée de décembre 1924 à l’été 1925. Peu de gens savent que Wallis était une femme maltraitée, battue par son mari et forcée de fuir.
Je ne pense pas non plus que les gens se rendent compte à quel point il était dangereux de voyager en Chine en 1924-1925, deux des années les plus chaotiques de l’histoire moderne de la Chine. Pendant qu’elle était là, des batailles entre seigneurs de guerre faisaient rage autour de Shanghai et de Pékin, Hong Kong a connu ses pires grèves ouvrières de son histoire, Guangzhou, où elle s’est arrêtée brièvement, a été le théâtre de combats meurtriers entre factions politiques. Ce fut l’année la plus pluvieuse jamais enregistrée, détruisant les récoltes et provoquant des déplacements ruraux et des famines avec l’inévitable migration vers les villes et la montée du banditisme ainsi que du règne des seigneurs de guerre. La typhoïde et le choléra faisaient rage dans le nord de la Chine. Puyi fut expulsé de la Cité Interdite juste avant l'arrivée de Wallis à Pékin, Sun Yat-sen mourut créant un vide politique supplémentaire en 1925, puis le 30 mai, la police anglaise tira sur les étudiants en grève à Shanghai, provoquant des émeutes anti-européennes dans tout le pays. Nerveuse et effrayée, bien qu'elle soit relativement en sécurité à Pékin, près du quartier des légations, Wallis Simpson décida de retourner en Amérique et de régler sa vie personnelle.
Wallis Simpson était experte en jades
Qu'avez-vous appris sur ce personnage au cours de vos recherches ?
J’ai réalisé combien Wallis Simpson était courageuse, amusante, de bonne compagnie et aventureuse. Elle a vécu dans une belle propriété chinoise avec cour intérieure dans un hutong. Wallis aimait monter à poney le long du Mur des Tartares autour de Pékin au lever du soleil, nager dans la piscine en plein air de l'ambassade américaine, dîner à l'ambassade d'Italie et jouer au tennis à l'ambassade britannique. Elle a trouvé un moyen de financer sa vie alors qu'elle était séparée de son premier mari, en achetant et en vendant du jade sur les marchés matinaux de Pékin et dans les boutiques de curiosités autour de Qianmen. Elle fréquentait les courses de chevaux à l’hippodrome, juste à l'extérieur de la ville, et passait les week-ends dans les Xiang Shan à camper dans de vieux temples déserts ou à Qinhuangdao où la Grande Muraille rencontre l’océan. Son année en Chine donne un aperçu détaillé de cette année folle dans l'histoire de ce pays et de ce que c'était que d'être membre de la petite (un millier de personnes au plus) « colonie étrangère » à Pékin à cette époque, ainsi que de voir Shanghai, peu avant qu'elle ne devienne une ville de boîtes de nuit et de jazz, et à quel point Hong Kong colonial pouvait être étouffant et souvent ennuyeux.
Un parcours qui peut inspirer aujourd'hui
Pourquoi ce livre est-il à lire absolument et quel sens le parcours de vie de Wallis peut-il encore avoir pour les femmes d'aujourd'hui ?
La leçon de cette expérience pour quiconque visite ou envisage de séjourner en Chine, c’est qu’il faut se lancer à corps perdu, essayer tout ce qui vous est proposé, aller partout où vous pouvez et profiter du voyage. L’autre leçon est de chercher son indépendance, se tenir prêt pour l’aventure et bien sûr de quitter immédiatement un mari violent. Même si ce n’est pas forcément aisé en 2025, en 1924, c'était loin de tomber son le sens. Wallis Simpson a fait face à la censure de sa famille à Baltimore, à la pression de société coloniale à Hong Kong et plus tard à tous les on-dit sur le fait d'être une femme blanche célibataire à Chine. Mais lorsqu'elle est arrivée dans la ville cosmopolite de Shanghai, puis dans la colonie étrangère sophistiquée de Pékin, elle a, comme on dit aujourd'hui, « trouvé sa tribu ». Au moins pour un an.
Aurez-vous l'occasion de présenter votre livre en Chine ?
Je serai à Hong Kong début mars 2025 pour le Hong Kong International Literary Festival, le 8 mars à Soho House sur Des Voeux Road dans un échange avec Michelle Garnaut dont beaucoup connaissent les restaurants à Hong Kong, Shanghai et Pékin. C’est aussi l'une des rares femmes qui peuvent rivaliser avec Wallis Simpson en matière de style ! Ce sera amusant. Je serai ensuite à Pékin pour participer à quelques événements, notamment pour prendre la parole le 22 mars à l'assemblée générale annuelle de la Royal Asiatic Society de Pékin, qui est moins un événement d'affaires qu'un événement consacré aux vins, aux potins, à la Chine et aux livres. Je serai ensuite au Festival littéraire de Macao fin mars et enfin de retour à Hong Kong au Bookazine Social à Tai Kwun sur Hollywood Road. Alors à bientôt j’espère.