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HISTOIRE - Connaissez-vous le "Al Capone" chinois ?

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Écrit par David Maurizot
Publié le 9 juin 2019, mis à jour le 30 août 2024

Du Yuesheng ? Ce nom vous dit-il quelque chose ? Non ? Pourtant Al Capone fait pâle figure à ses côtés. Du Yuesheng est tout simplement le plus grand gangster de tous les temps.

Né dans le dénuement le plus total en 1888 dans un petit village de Pudong, il perd toute sa famille durant son enfance : sa mère puis son père décèdent à quelques années d’intervalle, sa sœur est vendue. Il doit sa survie aux vols et aux rapines. Il oscille entre petits boulots. On le méprise. On le maltraite. On stigmatise ce gamin aux oreilles décollées qui parle shanghaien comme un paysan. Mais lui, dans son for intérieur le sait : il se vengera. Il se hissera au sommet de la société. Peu importe s’il commence bien plus bas que d’autres, il grimpera un à un les échelons – méthodiquement et sans aucun scrupule. Il sera de ceux devant lesquels on s’incline. Il ne sera pas un "petit". Il sera respecté !

Voici l’histoire de sa vie : peuplée de jeux d’argent, de trafic d’opium, de prostituées, d’enlèvements, de meurtres, mais aussi d’accords inavouables avec les autorités françaises et de massacres politiques. Une histoire à ne pas raconter aux enfants … sous peine de cauchemars assurés. 

 

Un voyou ambitieux

 

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Du Yuesheng vers 25 ans

Dans Shanghai, cette ville du vice aux innombrables bordels et fumeries d’opium, c’est tout naturellement que Du Yuesheng devient dès son enfance un pion du "milieu". A 16 ans, garde du corps pour une maison close de la Concession, la "Bande Verte" le repère. La Bande est l’une des triades les plus puissantes de Shanghai. Il est "initié" et jure fidélité à ce qui va devenir sa vraie famille. Il se battra pour elle toute sa vie.

Il met à contribution les 400 coups appris dans sa jeunesse et monte ainsi rapidement dans sa hiérarchie. Jusqu’au jour où on le présente à Huang Jinrong : Huang est le détective chinois le plus haut gradé de la police de la Concession. Agent crapuleux, lié à la pègre locale et à la Bande Verte, il est indispensable à la police française : son réseau d’indics lui permet de résoudre les affaires criminelles et de maintenir l’ordre dans la Concession. Huang est une pointure. Du va savoir se rendre indispensable et ne va plus le quitter. Il devient son homme de main.

C’est Du qui a la tâche de récupérer les profits des maisons de jeu et des fumeries d’opium sous l’autorité de Huang. C’est lui qui va chercher, à coups d’intimidations, d’enlèvements, de séquestrations, les dettes dues au maître. A un tel poste, ses profits personnels sont immenses : Du ne se déplace plus sans ses gardes du corps russes et ne fréquente plus que les établissements les plus réputés de Shanghai. Il commence à se faire construire de grandioses villas dans la Concession. Il collectionne les femmes. Il a enfin pris revanche sur son enfance.

Mais, son ambition n’est toutefois pas encore rassasiée : la richesse ne suffit pas, il veut plus. Ainsi, alors que la Concession française connait d’importantes difficultés financières, il se fait architecte avec Huang et un troisième larron nommé Zhang Xiaolin, d’un accord secret et ô combien audacieux avec la municipalité française : la Bande Verte se voit octroyer le monopole du trafic d’opium sur tout le territoire de la Concession et en échange, les autorités françaises percevront une taxe sur les ventes de la drogue. Dans une Concession où la police française n’a pas assez de moyens pour faire régner l’ordre, le deal permettra également d’avoir la paix : la Bande Verte ayant ainsi la mainmise sur tout le milieu, elle sera responsable de la bonne tenue de l’ordre public !!! Le tout est bien évidemment conclu dans la plus grande discrétion… mais le loup est entré dans la bergerie et monnaiera cher son influence.

En attendant Du utilise l’accord à son profit et satisfait sa soif de respectabilité : il est l’un des rares Chinois à être admis au Conseil municipal de la Concession française. Le voilà devenu notable !

 

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Du Yuesheng à droite, avec à gauche Zhang Xiaolin et au centre Huang Jinrong

 

L’empereur du Milieu

L’ascension de Du va connaitre un important coup d’accélérateur quand Huang Jinrong, probablement grisé par son pouvoir, se tire une balle dans le pied : il s’est mis dans de beaux draps en passant à tabac le fils du "seigneur de la guerre" qui règne alors sur la partie chinoise de Shanghai. L’outrage à ce haut personnage militaire est une grave erreur. L’opportunité pour Du Yuesheng est trop belle : il saisit au vol la balle et va user de toute sa diplomatie, son argent, et son pouvoir pour faire libérer Huang. Voici l’élève qui vient au secours du maître – et le dépasse. Huang est obligé de démissionner de son poste d’inspecteur de la police française, et laisse Du devenir le maître incontestable de la Bande Verte.

Puis, en 1927, la politique chinoise s’invite au menu de Du. Chiang Kaï-shek qui a pris la tête du Parti nationaliste chinois à la mort de Sun Yat-Sen a lancé depuis Canton une expédition militaire pour reprendre le pouvoir aux multiples "seigneurs de la guerre" locaux et réunifier la Chine autour d’un seul pouvoir central. C’est ce qu’on appelle "l’Expédition du Nord". Celle-ci est réalisée en alliance avec le Parti communiste chinois… et quelques experts soviétiques. En avril 1927, les troupes de Chiang se rapprochent rapidement de Shanghai – dont la "population prolétarienne" est la plus importante de Chine et qui est le lieu de naissance du Parti communiste chinois. Il ne va pas sans dire que la ville attend impatiemment ses "libérateurs". Or, Chiang veut se défaire de ses encombrants alliés communistes. Et il se trouve que, dans les heures sombres de sa jeunesse, il a fricoté avec la Bande Verte à Shanghai…

Du se mue alors en homme politique et passe un accord avec Chiang. Quand l’insurrection communiste se déclenche, il ordonne à ses hommes d’éliminer les insurgés. Des armes sont distribuées. Les exécutions se déroulent durant plusieurs jours. Les polices des concessions internationales et française ferment les yeux : il faut liquider la "menace bolchévique". Les troupes de Chiang assistent les gangsters et finissent méthodiquement le travail. Dans un deal tacite entre les Occidentaux, les Nationalistes et la Bande Verte, plusieurs milliers de communistes sont ainsi massacrés. Ce sont les événements décris dans La Condition humaine de Malraux. La direction historique du Parti communiste chinois est décimée : seuls quelques-uns survivront, dont Zhou Enlai qui s’échappera de Shanghai… déguisé en prêtre jésuite. D’un parti d’intellectuels et de prolétariens, le PCC deviendra ainsi un parti de paysans en renaissant depuis des bases à l’intérieur de la Chine : son ADN en est à jamais modifié.

En attendant, Chiang, qui a réussi à réunifier la Chine et a établi son gouvernement à Nankin, récompense le zèle de Du : le voilà promu Président de l’administration en charge de l’éradication de l’opium et propulsé responsable de syndicats ouvriers ! On n’est pas à un paradoxe près… L’emprise de la Bande Verte sur le trafic de drogue est alors sans égal. Du devient également le maître de l’instrumentalisation du mécontentement social dans les Concessions – en organisant des grèves auxquelles il met fin après avoir perçu un généreux pourboire. Il est au sommet de son pouvoir et pousse la mégalomanie jusqu’à faire construire, à Pudong, un immense temple en l’honneur de ses ancêtres. Les festivités pour l’inauguration dureront trois jours et attireront des milliers de personnes – dont moultes célébrités et officiels étrangers venus rendre honneur à l’empereur de la pègre shanghaïenne. Mais Du est en réalité bien plus que ça : il est dans les faits le roi de Shanghai. Rien ne peut plus s’y faire contre lui. Enfin, c’est ce qu’il veut bien croire…

 

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Du Yuesheng (premier à gauche) avec des officiels chinois et occidentaux

 

Le vent tourne

Malheureusement le respect n’est que de façade. Chacun sait d’où vient Du : ce n’est pour beaucoup qu’un brigand sans foi ni loi. Ses grands amis français ne vont pas manquer de le lui rappeler.

En effet, en 1932, à Paris on s’inquiète de la situation politique de la Concession de Shanghai : elle est de fait tributaire du bon vouloir de Du Yuesheng. En outre, l’accord conclu avec la Bande Verte n’est qu’un secret de polichinelle et fait bien mauvais genre pour une puissance coloniale qui se dit investie d’une "mission civilisatrice". L’ordre républicain doit être rétablit.

Dans un premier temps, on interdit sur tout le territoire de la Concession les établissements de jeu et les fumeries d’opium – ce que vont faire les fonctionnaires français en traînant les pieds. Pour accélérer les choses on nomme alors un nouveau Consul et un nouveau chef de la police. Tous deux sont des incorruptibles. On demande ensuite poliment à Du Yuesheng de quitter le Conseil municipal. Il n’est pas peu dire que la hache de guerre n’a pas été subtilement déterrée par les autorités françaises !

En retour, et en l’espace de quelques jours seulement, trois des plus importants personnages de la Concession meurent subitement : l’ancien Consul, le commandant des forces françaises à Shanghai, et un prestigieux avocat d’affaires. Tous impliqués dans les anciens accords avec la Bande Verte. Tous invités par Du à un banquet d’adieu pour leur départ… la vengeance est un plat qui se mange froid. Albert Londres, le fameux journaliste, disparait lui aussi peu de temps après dans l’incendie de son paquebot en revenant de Shanghai : il avait, parait-il, découvert un scandale d’Etat en Chine. Du y est-il pour quelque chose ?

Puis, en 1937, ce sont les Japonais qui donnent le coup de grâce à l’empire de Du : après une longue et sanglante bataille, ils prennent Shanghai, et vont ensuite massacrer la population de Nankin, la capitale de Chiang Kaï-shek – qui est alors contraint de fuir à Wuhan, puis à Chongqing. Alors que dans le milieu certains ont déjà retourné leur veste et cherchent à collaborer avec ces nouveaux maîtres de Shanghai, Du choisit le camp de l’honneur et prend le parti de résister à l’occupant et de soutenir l’effort de guerre. Il est alors un des dirigeants de la Croix-Rouge chinoise et mettra à contribution son réseau pour faire parvenir des armes à la guérilla chinoise. Mais sa position est en réalité intenable : il est obligé de fuir à Hong Kong, puis rejoint le gouvernement de Chiang à Chongqing pendant toute la durée de la guerre. 8 longues années où un nouveau monde va remplacer l’ordre ancien…

 

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Troupes japonaises à l’assaut de Shanghai en 1937

 

La fin d’un monde

A la victoire en 1945, Du retourne à Shanghai et découvre une ville qui n’a plus rien à voir avec celle sur laquelle il avait régné : les concessions n’existent plus. Elles ont été rétrocédées au gouvernement de Chiang. Un ordre nouveau s’est établi dans lequel les nationalistes jugent ne plus rien devoir à la Bande Verte. Du est marginalisé. La Bande est mise au ban. Certains de ses dirigeants sont mêmes arrêtés lors d’une campagne anti-corruption menée par le fils de Chiang.

Puis en 1949, les communistes, après une vaste campagne militaire, s’emparent de Shanghai, et prennent le pouvoir en Chine continentale. Les nationalistes et Chiang s’enfuient à Taiwan. Du, lâché par tous, ne peut que fuir à Hong Kong – dans la sécurité de la colonie britannique. Son maître, Huang Jinrong préfère ne pas quitter "sa ville" et aura le malheur de subir les "campagnes de rectification" de Mao. A plus de 80 ans, certains l’apercevront balayer les rues au pied du Grand Monde, ancien établissement phare de la Bande Verte… Du Yuesheng, lui, meurt à Hong Kong en 1951 – probablement des suites de son addiction à l’opium. Il avait 61 ans. Une de ses femmes fera venir son corps à Taipei et c’est là-bas, si loin de Shanghai, qu’il repose encore aujourd’hui. Son empire du vice, le "Paris de l’Orient" des années 20 et 30, n’est en effet plus qu’un lointain souvenir…

 

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Huang Jinrong dans la rue au pied du Grand Monde à la fin de sa vie

 

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Publié le 9 juin 2019, mis à jour le 30 août 2024

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