S’il est une artiste qui incarne le lien entre la Chine et la France, c’est bien Jiang Qiong’er. Cette plasticienne franco-chinoise, issue d’une famille d’artistes incarnant tous à leur époque la modernité, ne cesse aujourd'hui de réinventer le dialogue culturel entre les deux pays. Nous l’avons rencontrée à l’occasion de deux événements majeurs de l’anniversaire des 60 ans des relations diplomatiques franco-chinoises se tenant à Shanghai et Hong Kong.
L’art est une histoire de famille
Quand on demande à Jiang Qiong’er de se présenter, elle explique : "J’ai passé mon enfance dans un environnement artistique. Mon grand-père, Jiang Xuanyi, est un des premiers artistes chinois à avoir étudié à l’étranger et à introduire la peinture à l’huile en Chine. Quant à mon père, Xing Tonghe, il est l’architecte du Musée de Shanghai, dont la forme évoque un chaudron rituel de l’âge de bronze, sur la Place du Peuple". Rien d’étonnant donc qu’à partir de deux ans et demi, elle tenait déjà un pinceau. A six ans, elle poursuit ses études d’art auprès de maîtres réputés tels que Cheng Shifa pour la peinture d’encre et Han Tianheng pour la calligraphie.
Lancer au monde une invitation poétique
Son parcours académique la conduit ensuite à l’Université de Tongji, où elle se spécialise en art et design. Une fois son diplôme en poche, Jiang Qiong’er choisit de poursuivre ses études en France à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, où elle vit aujourd’hui. « Je considère que mon rôle est d’apporter une invitation poétique aux autres cultures. Navigant régulièrement entre la France et la Chine, mes deux patries, j’ai co-créé en 2009 avec le groupe Hermès, la marque de luxe chinoise, «Shang Xia», intégrant les savoir-faire et matériaux traditionnels de mon pays d’origine. J’ai depuis travaillé sur la ligne « Bamboo Mood » de Roche-Bobois qui sera bientôt présentée à New-York, pour laquelle c’est la première fois qu’une asiatique conçoit tout une collection.» Citons aussi ses collaborations avec la marque Ferrari et le British Museum.
Faire communiquer les artisans français et chinois
Événement phare de la semaine du design à Shanghai, Jiang Qiong’er a conçu la scénographie de l’exposition « Jeux de mains » du Comité Colbert du 4 au 10 novembre 2024. « J’ai imaginé cette exposition comme un dialogue de savoir-faire entre artisans français des maisons du Comité Colbert et artisans chinois d’exception en réunissant 17 maisons de luxe françaises. Invités à participer et découvrir les métiers artisanaux au service du luxe, les visiteurs ont pu participer aux ateliers sous la houlette des experts français et chinois. Les échanges culturels ont permis à tous d’en apprendre plus sur les savoir-faire respectifs. C’est une conversation à la fois poétique et gestuelle. », explique-t-elle.
Le dialogue est-ouest grâce à la nature
Pour la première exposition exclusive à Hong Kong de Maison&Objet du 5 au 7 décembre 2024, Jiang Qiong’er a conçu l’espace « Muse, Nature ». Jiang Qiong’er explique : « J’ai sélectionné 12 maîtres artisans français des « Lauréats de l'Intelligence de la Main® » de la Fondation Bettencourt Schueller, aux côtés de 10 artisans chinois, pour proposer une nouvelle fois un échange de traditions, de techniques et de matériaux. Je me suis inspirée de la nature car c’est la meilleure poésie qui soit. Je cherche à créer des émotions et matérialiser le temps, deux notions en principe invisibles. Je crois que l’art transcende les cultures et permet de communiquer quand les autres moyens sont épuisés.»
Le Musée Guimet aux couleurs de la Chine
Depuis avril 2024 et jusqu’à fin février 2025, Jiang Qionq’er présente un projet d’envergure au Musée Guimet. Avec "Gardiens du Temps", le public est invité à cheminer à travers plusieurs espaces emblématiques et réinventés. Ainsi la façade du bâtiment est-elle entièrement recouverte d’un voile de tulle rouge, couleur de la Chine. Douze créatures mythiques, inspirées de créatures légendaires chinoises lui donnent aussi vie à toutes les heures de la journée. De même, la bibliothèque historique du 1er étage est le lieu d’une installation visuelle et sonore, le toit, la rotonde et le dôme offrant également des espaces personnalisés inspirés de la culture chinoise. « Une exposition est comme un vaisseau énergétique où l’on transmet et l’on reçoit.», aime à rappeler Jiang Qiong’er. En cette période d’incertitudes et de changements, c’est peut-être ce dont nous avons le plus besoin.