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HISTOIRE - Des porcelaines chinoises rescapées d’une bataille navale

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La scénographie des objets du San Diego au Musée Guimet © Maïlys Jean
Écrit par Le Petit Journal Shanghai
Publié le 5 mai 2019, mis à jour le 6 mai 2019

La mondialisation telle que nous la connaissons au XXème et XXIème siècle n’a de nouveau que son intensité car les territoires de part le monde ont entretenu des relations et des échanges surtout depuis l’époque moderne avec le développement des techniques de navigation.

Les grands explorateurs ibériques tels que Vasco de Gama ou encore Magellan vont donner une large supériorité aux puissances ibériques sur les mers au XVIème siècle.

L’Espagne et le Portugal sont dès le XVIème siècle très friandes des porcelaines chinoises tant et si bien que des porcelaines bleues et blanches trônent sur les tables de Charles Quint et de Philippe II. Mais les Pays-Bas et l’Angleterre ne sont pas en reste car ils lancent leurs premiers navires vers les côtes chinoises et d’Asie du sud-est.

De cette mondialisation, une cargaison de porcelaine bleue et blanche, qui avait pour destination les maisons de commerces madrilènes, nous est parvenue malgré une bataille navale entre galions espagnols et navires hollandais.

 

Le tournant de l’an 1600 : 14 décembre 1600 et la bataille navale à quelques kilomètres de Manille

Depuis la montée en puissance des Pays-Bas comme puissance navale, l’affrontement est devenu inéluctable entre les représentants respectifs de l’Espagne et des Pays-Bas, Antonio de Morga et Olivier de Noort. Dans une situation politique et militaire tendue, sur fond de pillage de pirates japonais et révoltes constantes des Moros à l’autorité espagnole sur cette île, Antonio de Morga est nommé lieutenant général auprès du gouverneur des Philippines le 18 août 1593.

 

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Portrait d’Antonio de Morga, le seul qui nous soit parvenu et vraisemblablement réalisé au XIXème siècle

 

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Portrait d’Olivier de Noort, frontispice d’une édition tardive du Description du pénible voyage [...]

 

Olivier de Noort entreprend lui un tour du monde périlleux qui l’amène jusqu’au détroit de San Bernardino, une des portes d’entrées dans les Philippines. L’intrusion étrangère est jugée très dangereuse dans la mesure où Manille est laissée sans défense. Le San Diego, vaisseau marchand de trois cent tonneaux qui mouille au port, est alors réquisitionné par Antonio de Morga qui en prend le commandement en tant qu’amiral. Le navire est alors chargé de 14 canons et sa cargaison n’est pas déchargée. Au matin du 14 décembre 1600, le San Diego quitte la baie de Manille pour croiser les navires hollandais et engager le combat. Après six heures de combat et un abordage pleine voile, le San Diego coule à pic à plus d’un kilomètre de l’île Fortune, emmenant par le fond près de 350 hommes armés et toute la cargaison.

 

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Gravure de la série Le Combat naval entre Antonio de Morga et Olivier de Noort réalisé par Théodore de Bry pour l’ouvrage Description du pénible voyage fait entour de l’univers ou Globe terrestre [...] d’Olivier de Noort. (reproduite à la page 61 du livre Le San Diego: un trésor sous la mer.)
 

Néanmoins, la bataille apparaît bien moins opiniâtre grâce aux documents d’archives et aux témoignages qu’ils contiennent. L’incompétence maritime de l’amiral, mais également la faiblesse de la coque non préparée pour encaisser les tirs de son artillerie et la mauvaise organisation de la cargaison dans les cales du navire, ont entraîné une voie d’eau irréparable. L’épave gît par plus de cinquante mètres de profondeur avec l’ensemble de sa cargaison, près de 5.262 objets entiers ou fragmentaires. Outre des jarres de Birmanie, du Siam, et du Mexique, la cargaison contenait surtout des jarres et douze cent pièces de porcelaines chinoises (bouteilles, bols, assiettes, aiguières, plats, et diverses boites). Elles avaient été achetés auprès des marchands chinois présents à Manille. Tous ces objets étaient réservés pour les arts de la table, aussi bien pour la table de l’état-major que pour les tables européennes car les assiettes représentent les deux-tiers du chargement de porcelaine. Malgré les péripéties du voyage et de la bataille , de nombreuses pièces restent intactes. Les bouteilles sont un ensemble parfaitement bien conservé et un témoin de la richesse de l’artisanat de Jingdezhen (景德镇市).

Les porcelaines chinoises ont une histoire vieille de plusieurs siècles et ont fait la renommée de ce pays jusqu’à ce que leur secret ne soit révélé. Le père François Xavier d’Entrecolles, dans ses lettres du 1er septembre 1712 et du 25 janvier 1722, a ainsi délivré le secret de fabrication de cet objet qui a enivré l’Europe pendant près de trois siècles. La porcelaine est une déclinaison de la terre cuite avec une cuisson bien plus élevée. La matière première, le kaolin, argile que l’on trouve non loin de Jingdezhen, constitue la base de la préparation. Une fois la céramique formée, elle est ensuite placée dans un four, le plus fréquent est dit « four dragon », qui peut atteindre et dépasser les 1000 degrés.

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Une des pièces de la cargaison, Musée Guimet, Paris

 

Cependant, la porcelaine dite « bleue et blanche » contenue dans les cales du navire n’ont pas été créées ex nihilo par les artisans chinois. Il a fallu plusieurs siècles de pratiques, d’innovations empiriques et de rencontres culturelles pour arriver à ce type d’objets. Avant son apparition formelle et son développement sous les dynastie Yuan (1279-1368) et Ming (1368-1644), la Chine produisait déjà quantité de céramiques, telles que les qingbai, porcelaines à la teinte verte qui ont été largement échangées sous les Song (960-1279).

Près de quatre siècles après cette rencontre tumultueuse, la cargaison du San Diego révèle aux chercheurs et aux archéologues (ici l’archéologue français Franck Goddio) la finesse et la maîtrise de ce savoir-faire technique et artistique. Que ce soit à cause de batailles navales ou des disparitions en mer, les porcelaines chinoises tapissent aujourd’hui le fond de nombreuses mers et océans.

Enfin, une partie de la cargaison est aujourd’hui observable au Musée Guimet des Arts asiatiques à Paris.

Sources : Le San Diego : un trésor sous la mer, éd. Dominique Carré et Albert Giordan, Paris, Association française d’action artistique, 1994. p. 46; p. 50 ; p. 24


Pour aller plus loin :

- Le San Diego : un trésor sous la mer, éd. Dominique Carré et Albert Giordan, Paris, Association française d’action artistique, 1994.
- Franck Goddio, Le mystère du San Diego: histoire et découverte d’un trésor englouti en mer de
Chine
, Paris, 1994.
- Robert Finlay, The Pilgrim Art: The Culture of Porcelain in World History, Berkeley, University
of California Press, 2010.
- Serge Gruzinski, Les quatre parties du monde, histoire d’une mondialisation, La Martinière, 2004

 

Maïlys Jean pour Le Petit Journal Shanghai

 

Le Petit Journal Shanghai
Publié le 5 mai 2019, mis à jour le 6 mai 2019

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