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HISTOIRE – Quand Louis XIV envoyait ses missionnaires en Chine

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Le Jardin chinois, de François Boucher

« L'Empire de la Chine a été depuis fort longtemps un objet de curiosité pour l’Europe [...] » écrivait le Père jésuite Du Halde au XVIIIème siècle. Et c’est justement pour répondre à cette curiosité que Louis XIV décida d’envoyer, sous couvert de l’Ambassade au Siam, des jésuites français en Chine.

 

La genèse du projet - 1681-1683

La guerre de Hollande (1672-1678) a fait de Louis XIV un monarque incontesté et incontournable sur la scène européenne. Pourtant, il y a bien une partie du monde où la France brille par son absence : l’Asie. En effet, toutes les grandes puissances européennes ont, au XVIIème siècle leur "quartier" ou comptoirs en Asie et en Chine, Macao pour les Portugais depuis le milieu du XVIème siècle, Malacca pour les Hollandais et les britanniques commercent dans différentes régions de l’océan indien. La voie semble donc bouchée pour la France de Louis XIV en quête de pouvoir en Extrême-orient.

Pourtant, c’est entre 1681 et 1683 qu’un projet d’envoyer des missionnaires en Inde et en Chine prend forme à l’initiative de Colbert et du Père Jean de Fontaney. Mais ce projet se heurte inévitablement, dans un premier temps, au Padroado, qui en vertu du traité de Tordesillas donne au Portugal le contrôle des mers en Orient et le monopôle de l’envoi de missionnaires en Chine. Or, ce privilège est progressivement battu en brèche par les Hollandais et les Britanniques qui viennent commercer avec la Chine au cours de la deuxième moitié du XVIIIème siècle. C’est donc sur cette toile de fond que survient deux événements favorables au transport de missionnaires français en Asie : le retour du père Couplet et l’ambassade du Siam.

Le 15 septembre 1684, Louis XIV reçoit à Versailles le Père Couplet mandaté par le Père Ferdinant Verbiest, resté en Chine et président du Bureau d’astronomie, afin d’obtenir du roi français l’envoi de nouveaux missionnaires. En effet, le Père Ferdinant Verbiest tient, par cet envoi, à assurer la pérennité de la mission en Chine qui est alors vieillissante.

Au même moment, arrive en France l’ambassade du roi de Siam, Phra Naraï, qui suscite bien la curiosité de la cour tant ces ambassadeurs ne passent pas inaperçus. Cette ambassade est une véritable une opportunité à ne surtout pas manquer pour acheminer les missionnaires en Chine car elle résout de fait le problème du transport. En quelque mois l’ambassade est mise sur pied et placée sous la direction du hevalier de Chaumont (1640-1710), désigné capitaine du vaisseau l’Oiseau, qui quitte le port de Brest le 3 mars 1685 avec pour direction le royaume de Siam.

Ainsi, ces deux événements sont déterminants pour convaincre Louis XIV d’autoriser cette expédition.

 

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Le départ et les missionnaires

Sur ce vaisseau prennent place plusieurs missionnaires. Le premier d’entre eux et le premier choisi est le Père de Fontaney (1643-1710). Avant sa nomination, il était alors Régent de mathématique au collège de Clermont, le plus réputé de l’époque (aujourd’hui actuel lycée Louis Le Grand). Par ses diverses publications antérieures, il était reconnu et respecté par ses pères dans le domaine scientifique et en particulier en astronomie. Grâce à sa renommée, il s’occupe personnellement de choisir les autres missionnaires qui l’accompagneront. Dans un premier temps sont choisis trois autres missionnaires avant que le nombre total et final ne soit définitivement porté à six. La mission se composait donc du Père de Fontaney, de Joachim Bouvet (1656-1730), de Louis Le Comte (1655-1728), de Jean-François Gerbillon (1654-1707), Claude Visdelou (1656-1737), et de Guy Tachard (1651-1712) qui ne prendra jamais la direction de Pékin, contrairement à ses camarades ; car après son arrivée au Siam, il dut rentrer en France.

 

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Joachim Bouvet
 

En plus des missionnaires, le bateau transporte de nombreux objets, certains destinés à la cour de Phra Naraï et d’autres pour la cour mandchoue. La majorité des objets pour Pékin sont des objets scientifiques destinés à faire rayonner la France comme une nation de science et d’art. D’après les inventaires et la liste constitués par Guy Tachard et par Joachim Bouvet, la cargaison contenait notamment deux machines inventées par le danois Ole Römer, mais aussi des pendules à seconde ou à répétition, un cadran équinoxial, des baromètres, des miroirs ardents, ou encore une horloge sur un plan incliné. En outre, Louis XIV avait également fait embarquer des cadeaux personnels pour l’Empereur Kangxi.

 

Arrivée des missionnaires et leur travail

Le vaisseau, après plusieurs mois de voyage, parvient au royaume de Siam sans encombres le 22 septembre 1685. Conformément à ce qui avait été planifié en France avant le départ, les missionnaires français doivent rejoindre pékin et la cour impériale par leurs propres moyens. Ils font une première tentative le 10 juillet 1686 dont l’échec entraîne le report d’un an le départ vers la Chine. La deuxième entreprise est bien plus fructueuse car ils parviennent à arriver à Ningbo le 23 novembre 1687. A partir de cette ville, ils empruntent alors le canal impérial et passent notamment par Hangzhou pour rallier Pékin où ils arrivent le 7 février 1688.

 

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Le grand canal
 

Kangxi reçoit favorablement les missionnaires ainsi que les objets scientifiques et artistiques qui sont apportés. Il placera par ailleurs les deux machines permettant d’observer les éclipses du soleil et de la lune des deux côtés de son trône ; signe que Joachim Bouvet ne manque pas de rapporter dans Portrait historique de l’Empereur de la Chine présenté au roi comme un symbole fort de distinction et de considération.

 

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L'Empereur Kangxi
 

Une fois que le groupe arrive à Pékin, Kangxi souhaite garder auprès de lui le Père Bouvet et le Père Gerbillon afin qu'ils lui apprennent les sciences européennes et en particulier les mathématiques. Les autres missionnaires sont autorisés par l’empereur à se disperser dans le reste de la Chine pour mener à bien leurs diverses missions. Le Père de Visdelou prend la direction de Shanghai, le père Louis Le Comte celle de Xi’an et de ses alentours.

In fine, l’arrivée de ses missionnaires à la cour impériale assure une excellente vitrine pour les savoirs et les arts français. Considérés officiellement comme des scientifiques, ils n’en restent pas moins des ambassadeurs culturels officieux, les fers de lance de la politique française dans cette région du monde avant l’arrivée des premiers marchands français en 1698. L’ambassade n’avait donc pas pour seul et unique but de répondre à Phra Naraï car le Roi Soleil voyait plus loin : Pékin où régnait le "Louis XIV d’Extrême-orient".

 

Pour compléter et aller plus loin :

- Iandry-Deron (Isabelle), Les Mathématiciens envoyés en Chine par Louis XIV en 1685 dans Archive for History of Exact Sciences, t. 55, n. 5, p. 423-463.

- Van Der Cruysse (Dirk), Louis XIV et le Siam, Paris, Fayard, 1991.

 

Maïlys Jean pour Le Petit Journal Shanghai

 

Le Petit Journal Shanghai
Publié le 24 mars 2019, mis à jour le 24 mars 2019

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