Emmanuel Macron a déclaré vouloir inscrire la baguette de pain au patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO en janvier 2018 à l’instar des Napolitains qui ont réussi à classer leurs célèbres pizzas un an plus tôt. Ce serait sanctifier cette spécialité française, avatar le plus emblématique de ce qui fut pendant des siècles la base de l’alimentation française : le pain. Guillaume Rué de Bernadac d’en revoir l’histoire et les règles ; vous avez du pain sur la planche !
D’où vient le pain ?
Egypte
On attribue l’invention du pain aux Egyptiens en 3000 avant JC. En effet en Egypte ancienne, on trouve déjà l’ancêtre de notre pain quotidien à base d’eau, de farine, de sel et de levain. On suppose que l’invention du pain fut un accident, c’est en mélangeant du grain écrasé ou bien moulu avec de l’eau du Nil, qui est particulièrement riche en limons qui renferment des agents de fermentation et en laissant cette bouillie de farine et d’eau salée à l’air qu’elle s’est mise à fermenter pour ensuite la faire cuire au four que les Egyptiens ont fabriqué le pain.
Un boulanger égyptien fabricant son pain, Musée royal de l’Ontario
Grèce
Si les Egyptiens sont les inventeurs du pain, ce sont les Grecs qui développent le métier de boulanger et confectionnent plus de 70 variétés de pain. Ils vont par la suite faire partager leur goût et leur science du pain aux Romains : en 168 avant JC, de nombreux artisans grecs, meuniers et boulangers s’installent à Rome. Les pâtons de pain étaient alors généralement cuits dans un four en argile (ἰπνός / ipnos) surélevé par des pieds. Une autre technique plus rustique de cuisson consistait à déposer des charbons ardents sur le sol en terre et de les recouvrir avec un couvercle en cloche, quand le sol était suffisamment chaud, les charbons étaient poussés sur le côté et les pâtons déposés et le couvercle remis en place sous les charbons.
Four grec datant du XVIIème siècle avant JC
Les Grecs sont aussi à l’origine de l’invention du four moderne en pierre ou en brique qui apparaît à l’époque romaine : chauffé de l’intérieur et accessible par une ouverture frontale.
Une femme cuisant son pain durant les Fornacalia, une fête en l’honneur de Fornax déesse romaine des fours, Helen Allingham
Le pain au Moyen-Âge chrétien
Sous l’impulsion de l’Église, le pain acquiert une place centrale dans l’alimentation de l’Europe occidentale, et particulièrement en France. En 1305 Philippe le Bel voit la nécessité de légiférer : la profession de boulanger est surveillée, la qualité, le prix, le poids du pain est encadré, il devient interdit de vendre du pain rassis, brûlé, trop petit ou dévoré par les rats – chose alors courante. Si les riches se voient accorder le pain blanc de froment, les pauvres se voient échoir le pain noir, risquant de leur infliger le « mal des ardents », maladie causant une dégénération des membres provoquée par l’ergot de seigle.
Le mal des ardents, Matthias Grünewald
Le pain au cœur de la Révolution
Les famines de l’Ancien Régime, souvent causées par une envolée du prix du blé et donc du pain, provoquent régulièrement des émeutes. D’avril à mai 1775 la France subit la « Guerre des Farines » du fait des mauvaises récoltes des étés 1773 et 1774. Les spéculateurs font monter le prix du blé en stockant de grandes quantités dans les entrepôts, les boulangeries sont vides et le peuple a faim, c’est le moment où Marie-Antoinette est accusée (injustement !) d’avoir proféré cette célèbre phrase : « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche ! ». La colère gronde, il faut agir. Louis XVI ordonne aux négociants en grains de vendre leurs stocks à un prix abordable pour la population, il s’en trouvera affublé du surnom de « Boulanger » qui lui collera jusqu’à la Révolution.
Portrait de Marie Antoinette
Le 5 octobre 1789, une foule de Parisiens se réunit dans les jardins du Palais-Royal quand ils entendent parler d’un banquet avec profusion de nourriture donné au régiment de Flandres, alors que l’insécurité rend difficile l’acheminement des grains à Paris. La rumeur veut alors que le Roi retiendrait des stocks de pain à Versailles pour affamer Paris avant de faire marcher la troupe qu’il vient de réunir et grassement nourrir ! Une foule constituée essentiellement de femmes vont alors en direction de Versailles en criant « Du pain ! » et promettent de ramener « Le Boulanger, la Boulangère, et le Petit-Mitron » à Paris.
Le cortège des femmes du 5 octobre 1789 de Paris à Versailles
Superstitions autour du pain
La superstition la plus célèbre autour du pain reste le pain retourné à table. Le pain ne doit jamais être à l’envers, cela attirerait le diable. En effet sous l’Ancien Régime, le boulanger gardait le pain destiné au bourreau à l’envers pour qu’il soit plus facilement reconnaissable. Le pain retourné fur alors associé au malheur, voire à la mort. Durant la Terreur, les condamnés à mort qui croupissaient dans les geôles de la Convention ne connaissaient pas leur jour d’exécution. Ce n’est seulement que la veille qu’ils sont notifiés par l’apport du pain retourné sur leur carafe d’eau.
En 1794, Joséphine de Beauharnais est emprisonnée dans la prison des Carmes, est terrifiée de voir les cellules autour d’elle se vider et vit dans la hantise de se voir apporter ce fatidique pain retourné. Heureusement pour elle, elle évite l’échafaud et devenu Impératrice des Français après son mariage avec Napoléon 1er elle mettra un point d’honneur à ce que jamais une seule miche ne soit posée à l’envers sous ses yeux.
Portrait de l’Impératrice Joséphine de Beauharnais
La baguette : une passion contemporaine
Aussi iconique que soit la baguette sa tradition ne remonte pas à si long, l’on s’accorde sur le XIXème siècle. Mais personne n’est d’accord sur son origine.
La première version veut que la baguette de pain remonterait à l’époque napoléonienne, où durant les campagnes les boulangers auraient décidé de changer la forme traditionnelle ronde du pain et de l’allonger afin que les soldats puissent les transporter plus facilement dans une poche à l’arrière de leur habit, et non pas dans leur pantalon le long de leur jambe comme cela a pu être avancé, les soldats auraient très gêné pendant leur journée de marche et la baguette aurait sûrement été très endommagée.
La deuxième version fait remonter l’origine à 1830, date qui correspond aussi à l’introduction du pain viennois en France. Ce pain était de forme ovale ou longue et était fabriqué à base de levure de bière et de lait. En 1838, l’officier autrichien August Zang ouvre sa boulangerie à Paris et se spécialise dans la fabrication des petits pains viennois – à l’origine des viennoiseries.
Boulangerie viennoise de Zang en 1909
Ce ne serait qu’au début du XXème siècle à Paris que les boulangers français auraient pris la décision de prendre exemple sur leurs confrères viennois de ne plus façonner de pain rond mais de forme plus allongée afin de réduire le temps de pétrissage et de cuisson. Cette décision aurait été prise suite à la mise en place d’une loi interdisant les boulangers de commencer avant 4h du matin.
On retrouve aussi une troisième version qui remonte à la construction du métro à Paris. Les ouvriers qui venaient d’un peu partout en France avaient tendance à se battre dans les galeries, notamment avec le couteau qu’ils portaient sur eux pour couper le pain qui était encore sous forme de miches rondes. L’ingénieur qui supervisait la construction du métro, Fulgence Bienvenüe aurait alors demandé à un boulanger de fabriquer un pain de forme allongée qui puissent se rompre à la main, évitant ainsi que des armes potentiellement mortelles descendent dans les galeries. De là serait né l’adage selon lequel on ne coupe pas la baguette au couteau mais la rompt à la main. Cette théorie était régulièrement dénoncée comme ayant pour but pour donner une mauvaise image des ouvriers, qui auraient simplement eu besoin d’un pain plus facilement transportable dans les galeries.
Pain et œuf, Paul Cézanne, 1865
Petit rappel des codes de savoir-vivre du pain à table :
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Traditionnellement on n’entame pas son pain avant que le premier plat ne soit servi ni même entre les plats, cela voudrait dire que vous êtes trop affamés pour attendre votre plat. Même si dans la pratique, nombre d’entre nous ne résistent…
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De même, traditionnellement on ne prend plus de pain au dessert ou après, cela indiquerait que vous n’avez pas été assez nourrit.
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On ne sauce jamais en public ses plats avec un morceau de pain : à réserver en comité familial seulement.
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Avoir la fourchette dans la main gauche et un morceau de pain dans la droite pour pousser la nourriture est une méthode très française, mais vue comme « campagnarde », à éviter dans les dîners d’affaires, et plus généralement hors de la sphère familiale.
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Bien sûr, on ne coupe pas le pain avec son propre couteau, mais on le sépare avec les doigts, sans pour autant faire plusieurs petits morceaux : un à la fois seulement.
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Je ne mentionne évidemment pas l’interdiction de tirer sur son quignon avec les dents pour en arracher un morceau !
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Pareillement, on ne fait pas de sandwich à table avec son pain : pas question de le fourrer de beurre (ou d’autre chose), mais on y dépose une noisette de beurre dessus, à étaler si vous souhaitez.
La cène, Joos van Cleve
Et vous, quelle autre règle connaissez-vous sur le pain ? Quelle autre histoire vous a-t-on raconté ? Dites-le-moi dans les commentaires !