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FRENCH TOUCH - L'étonnante histoire de la fourchette

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Paul Chabas, Le coin de table, 1904. Tourcoing, Musée des Beaux-Arts
Écrit par Guillaume Rué de Bernadac
Publié le 8 avril 2018, mis à jour le 27 mars 2024

D’où vient notre fourchette de table ? Ce couvert nous est tellement familier qu’on a oublié qu’il n’a pas été toujours présent à notre table et qu’il a initialement rencontré une résistance farouche de l’Eglise et des pays d’Europe du Nord. Guillaume Rué de Bernadac vous propose de s’en souvenir.

Fourchette dents vers la nappe ou vers le ciel, comment la placez-vous ? Style français ou anglais, oui, place des armoiries, aussi, mais tout cela est en fait l’aboutissement d’une histoire faite de sacrilèges et d’interdits.

On trouve des formes de fourchettes depuis l’Egypte antique, leur présence a été attestée dans plusieurs tombeaux. Elle possède alors seulement deux dents, et est utilisée pour piquer les fruits confits, probablement servis dans de petits pots, et les porter à sa bouche.

 

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Fourchette égyptienne antique

Les nombreux contacts qu’entretiennent les Egyptiens avec les Grecs lui font traverser la Méditerranée. Son usage se répand tant dans les cercles aristocratiques de l’Empire Byzantin qu’en 1056 quand Théodora Doukas, fille de l’Empereur, est mariée au Doge de Venise, Domenico Selvo, et elle est écœurée de voir les Italiens manger avec leurs doigts ! Refusant cette pratique qu’elle juge digne des barbares elle impose l’utilisation de la fourchette à Venise, ce qui provoque un grand scandale. L’Eglise est vent debout contre cet instrument similaire à la fourche du diable qui nie l’action de porter les aliments à la bouche de sa main, tel le Christ. Et de là à voir dans la mort prématurée par la peste de la princesse un châtiment divin bien mérité il n’y a qu’un petit pas que le cardinal-évêque Pierre Damien n’a pas de scrupule à franchir. Malheur à ceux qui adopteront cet instrument diabolique !

Il se trouve cependant plusieurs familles pour en apprécier l’utilité : on s’en sert pour entortiller les pâtes et les porter à sa bouche. L’usage se répand peu à peu en Italie du nord, les Médicis l’adoptent notamment à Florence et Catherine de Médicis l’introduit ensuite en France lors de son mariage en 1533 avec le fils du roi François 1er, le futur Henri II. Mais comme il faut sûrement ménager les scrupules religieux d’un cousin ou d’une tante pieuse, la fourchette est placée dents à même la nappe, partie bombée vers le haut, pour contenir l’esprit du mal. Ainsi, les armoiries des propriétaires sont frappées sur sa face extérieure.

 

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La mariage de Catherine de Medicis et d’Henri, duc d’Orléans, Chimenti da Empoli, Jacopo

La fourchette est progressivement acceptée en France par les élites aristocratiques et bourgeoises à partir du XVIème siècle. Et si Louis XIV persiste personnellement à manger avec les mains, nombres de courtisans à Versailles délaissent progressivement ces manières de plus en plus considérées comme peu civilisées. Son petit-fils le Duc de Bourgogne en apprend d’ailleurs le maniement dès son plus jeune âge, ce qui provoque un certain agacement de la part du Roi, se voyant quelque peu ridiculisé.

De religieuse, la résistance à la fourchette devient culturelle en Europe du Nord. Elle y est jugée comme une « affection italienne peu virile et d’une sophistication excessive ». Un homme, un vrai, ne doit pas en utiliser ! Aussi, l’Angleterre, les pays Allemands et Scandinaves en dédaignent globalement l’usage avant la seconde moitié du XVIIIème siècle, même si elle y a été attestée avant. Résiliente, la fourchette finit par vaincre une nouvelle fois les résistances : les Anglais l’adoptent, mais comme il leur est alors souvent commun de déjeuner ou dîner sans nappe sur des tables en bois massif ils la placent les dents vers le haut, et les armoiries sur la face intérieure pour ceux les souhaitant affichées.

 

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Visite de la reine Victoria à Paris en 1855, Eugène Lami (1800-1890), Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon © RMN (Château de Versailles) / Gérard Blot / Hervé Lewandowski

Et la tendance vers plus de "civilisation" et de sophistication se poursuit. On finit par complètement répugner à toucher les aliments au XIXème siècle, même les fruits se voient dégustés au moyen d’un couteau et d’une fourchette ! En outre, il s’agit désormais pour les nouvelles classes riches de la bourgeoisie de gagner en respectabilité et de se distinguer, notamment par des manières à table plus codifiées et complexes. Les orfèvres s’en donnent à cœur joie pour créer presque un couvert pour chaque aliment : pas moins de 500 types de fourchettes répertoriés dans les livres d’époque ! La fourchette triomphe.

 

Justement, sauriez-vous reconnaître quelques un des spécimens de fourchettes qui sont parvenus jusqu’à nous ?

 

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On commence avec celle-là comme référence par rapport aux prochaines : il s’agit évidemment de la fourchette de table, celle pour votre plat principal.

 

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Maintenant, vous diriez que celle-ci au-dessus avec des encoches sur les côtés est pour :

1)      Les entrées

2)      Les poissons

3)      Les desserts

 

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On passe à ce spécimen à 3 dents, selon vous c’est pour :

1)      Les huîtres

2)      Les poissons

3)      Les gâteaux

 

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Passons à celle-ci, toujours trois dents mais plus ronde. Elle sert à déguster :

1)      Les huîtres

2)      Les pâtisseries

3)      Les fruits

 

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Finalement, cet étrange spécimen est pour :

1)      Les fruits

2)      Les escargots

3)      Le homard

 

Pour ce qui est de ses différents usages, je vous propose de les découvrir dans un prochain article !

Réponses : A2, B3, C1, D2

bernardac
Publié le 8 avril 2018, mis à jour le 27 mars 2024

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