Édition internationale

WANG SHU - Une architecture à contre-courant des pratiques chinoises

Écrit par Le Petit Journal Shanghai
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 2 juillet 2016

Par Pascale Brites

Lauréat du prix Pritzker en 2012, Wang Shu est un des plus célèbres architectes de Chine. Auteur du nouveau campus de l'Université d'Art de Hangzhou et du musée d'Histoire de Ningbo, il dirige avec sa femme l'agence Amateur Architecture Studio. Nous l'avons retrouvé à Hangzhou et nous avons parcouru ensemble la voie piétonne de Zhongshan Lu, une autre de ses réalisations qui mêle aménagements modernes et bâtiments historiques.

Lepetitjounal.com : Vous êtes connus pour votre style proche des traditions chinoises et l'usage des matériaux recyclés. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi cette démarche ?
Wang Shu : En Chine, les gens détruisent beaucoup. Ils n'ont que peu de considération pour leur histoire et sacrifient leur patrimoine architectural pour gagner de l'argent. Ça me rend triste de voir ça. Parce qu'au-delà des bâtiments, il y a aussi dans la culture et les traditions chinoises un profond respect pour la nature que les gens oublient aussi. Dans les années 2000, j'ai donc commencé à utiliser des matériaux recyclés pour mes réalisations car j'avais pris conscience de la quantité de déchets qu'on créait en détruisant d'anciens bâtiments. Les gens n'étaient pas d'accord avec ma méthode et on m'a accusé de traîtrise. Mais je ne néglige pas la modernité, en respectant les traditions. Je n'utilise pas que le bois et les matériaux recyclés, je fais souvent usage de techniques et de matériaux modernes. Je crois que les deux peuvent parfaitement cohabiter.

Dès le début de votre carrière vous avez fait le choix d'être indépendant tandis que votre femme Lu Wenyu a travaillé comme architecte pour le gouvernement. Pourquoi ce choix ?
Ma femme a effectivement travaillé pour un grand institut national pendant des années et collaboré à de gigantesques projets. En 1997, nous avons créé ensemble notre studio Amateur Architecture mais elle n'est venue me rejoindre à plein temps qu'en 2003. Moi, j'ai toujours voulu être indépendant. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de règles. Il y en a d'ailleurs énormément en Chine. Mais si les gens me forcent à réaliser quelque chose, j'ai cette possibilité de refuser les projets. Ce que je fais parfois, car le plus important pour moi, c'est de conserver ma liberté.

Vous parlez des règles strictes qui existent en Chine. Pourtant, vous n'avez jamais cherché à réaliser de construction en dehors de votre pays?
J'ai eu l'occasion de travailler sur un projet à l'étranger. C'était il y a deux ans en Autriche où j'ai réalisé un arrêt de bus. Une toute petite construction de 6m2 seulement ! Je suis intéressé par les projets qui se font à l'étranger mais je n'ai pas le temps d'y participer. Il y a déjà tant à faire en Chine que ça m'occupe en permanence.

Vous avez fait vos études en Chine et vos réalisations sont marquées par ce parcours. Enseignait-on à votre époque l'architecture moderne ou étrangère aux étudiants chinois ?
J'ai fait toutes mes études en Chine et la première fois que j'ai quitté le pays, c'était pour une exposition à Berlin en 2000. Mais j'ai eu la chance d'aller à l'université dans les années 80, lorsque la Chine s'est ouverte sur le monde. J'ai donc été influencé par ce qui se faisait dans d'autres pays. Mais pas seulement en architecture. J'ai eu accès à beaucoup de livres et de films étrangers et c'est dans tout cela que je puise mon inspiration.

Que pensez-vous du travail des architectes étrangers qui remportent des projets et réalisent des constructions en Chine ?
Je pense que d'un point de vue architectural, beaucoup de projets réalisés par des étrangers en Chine sont très intéressants. C'est enrichissant de voir les influences de différentes cultures dans nos bâtiments modernes. Mais tout le monde n'obtient pas le résultat escompté. L'architecte, ce n'est pas uniquement la personne qui présente le concept à la base d'une construction. Il y a toute la réalisation qui suit et qui peut durer des années. Par exemple, pour le projet de cette rue Zhongshan à Hangzhou, j'ai commencé à rédiger des articles et parler de mes idées en 2000. En 2007, on m'a confié le projet. Il m'avait fallu un an pour dessiner les plans et deux ans et demi ont encore été nécessaires pour finaliser les travaux. Pour mener à bien un projet en Chine, il faut être capable d'en suivre toutes les étapes. Car pour des raisons commerciales, on construit trop vite ici. Donc même si le concept de design initial est intéressant, si on ne suit pas de près la réalisation, il est très difficile de conserver la qualité qu'on a imaginée. J'ai des amis architectes étrangers qui me demandent des conseils sur des projets en Chine. Et c'est toujours ce que je leur réponds. Si tu veux construire en Chine, il faut que tu viennes en Chine.

En 2012, vous avez été le premier chinois à recevoir le prix Pritzker, considéré comme le « prix Nobel d'architecture ». Ce prix a-t-il changé votre manière de travailler ou la vision que d'autres ont de votre travail ?
J'aimerais dire que cela ne change rien. Mais en pratique, il y a bien entendu des répercussions. La première, c'est que je suis plus reconnu dans mon travail. Mon avis a plus d'importance et les occasions d'échanger avec mes pairs sont nombreuses. D'un autre côté, les yeux sont beaucoup plus tournés vers moi qu'auparavant. On attend de moi de conserver le niveau de mes précédentes réalisations et j'ai en ce sens une pression plus importante.

Comment percevez-vous l'évolution de la Chine dans ses démolitions et ses constructions ?
À mon avis, la Chine est un des peuples les plus complexes du monde. Nous avons une capacité d'adaptation et de réaction très importante. La Chine est capable de faire les choses très vite et c'est aussi le cas de son développement économique. Je pense que le gouvernement a pris conscience de la nécessité de conserver des bâtiments historiques et traditionnels. Les choses ont d'ailleurs beaucoup évolué depuis trois ou cinq ans et on ne détruit plus forcément de manière systématique. Mais d'un autre côté, il y a ici cette pression folle sur le développement économique. Il y a tellement d'argent à gagner dans la construction immobilière qu'il faut trouver l'équilibre.

Pascale Brites lepetitjournal.com/shanghai Jeudi 30 juin 2016

Le Petit Journal Shanghai
Publié le 29 juin 2016, mis à jour le 2 juillet 2016
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