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SHANGHAI INTERVIEW - Javier Gimeno, Saint-Gobain pour mission, la Chine par passion

Écrit par Le Petit Journal Shanghai
Publié le 16 avril 2017, mis à jour le 17 avril 2017

Par Delphine Gourgues

Après vous avoir présenté le portrait de plusieurs Français de Shanghai, nous vous proposons aujourd'hui l'interview de Javier Gimeno, Espagnol francophone de longue date, qui est reconnu au sein de la communauté française des affaires. À la tête du groupe Saint-Gobain en Chine et sur la zone Asie-Pacifique, et fraîchement réélu président de la CCIFC (Chambre de Commerce et d'Industrie France Chine, qui fête cette année ses 25 ans), Javier Gimeno nous a reçus dans ses bureaux de Shanghai et nous a donné sa vision de la Chine et de la présence française dans l'Empire du Milieu. Un point de vue à la fois optimiste et ambitieux, à la mesure du personnage ! 

 

 

 

Lepetitjournal.com : le groupe Saint-Gobain a fêté ses 350 ans en 2015 (relire notre brève). Pouvez-vous rappeler à nos lecteurs ce qu'il représente aujourd'hui dans le monde et quelle est sa stratégie globale ?

Javier Gimeno : Saint-Gobain, c'est une très longue histoire ! Avec un chiffre d'affaires de 39,1 milliards d'euros en 2016 et présent dans 68 pays, le groupe est traditionnellement connu comme la référence en matériaux et produits de construction. Mais aujourd'hui, c'est bien plus ! Nous nous orientons davantage vers les consommateurs finaux en nous affirmant leader de l'habitat. Nos deux axes stratégiques sont le bien-être par la performance des matériaux (confort acoustique et thermique, qualité de l'air?), et l'amélioration de l'environnement dans le monde (via la réduction de consommation d'énergie, et des procédés de fabrication économes en émissions de CO2). À titre d'exemple, il faut savoir qu'avec une isolation optimale, on peut réduire la consommation d'énergie d'un bâtiment à zéro ! Et nous sommes capables aujourd'hui de créer des maisons à énergie positive.  Mais la route est encore longue dans de nombreux pays?

Le nouveau logo du groupe Saint-Gobain

En Chine justement, comment se positionne Saint-Gobain ?

En Chine, Saint-Gobain c'est environ 1,2 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2016 et 8.500 employés. Je suis arrivé dans l'entreprise en 2010 en tant que responsable du business automobile en Asie (Saint-Gobain Sekurit), puis en 2012, on m'a demandé de prendre la tête de la filiale Saint-Gobain China. Le marché est énorme et la concurrence une des plus féroces dans le monde? Nous sommes face à toutes les grandes sociétés internationales du secteur (Asahi, Knauf, USG BORAL, 3M), aux sociétés d'État très présentes mais aux critères de performance différents des nôtres, et à une multitude de sociétés privées chinoises, qui sont des acteurs très bons et agiles.

Sur ce marché, Saint-Gobain a un positionnement privilégié de qualité et d'innovation. Et le temps joue en notre faveur car ces deux critères sont de plus en plus importants pour les consommateurs chinois. En effet, le développement de la classe moyenne en Chine s'accompagne d'un réel changement des mentalités avec une véritable conscience environnementale et une recherche de bien-être. Notre portefeuille de produits répond très bien à ces besoins et la croissance du groupe en Chine en témoigne avec +8% en 2016. Mais l'économie en Chine évolue toujours à un rythme "spasmodique", il faut savoir résister à ces turbulences et poursuivre sa route.

Javier Gimeno et des membres de ses équipes lors du Gala du Nouvel An Chinois 2017 (23/01/2017)

Que pensez-vous de la situation économique de la Chine aujourd'hui ? Ses points forts et ses faiblesses ?

La Chine est en train d'opérer une transformation fondamentale de son modèle économique, et comme souvent, elle agit de façon efficace et très rapide. On va passer du volume à la qualité et l'innovation. Et le processus est bel et bien en marche, preuve en est la croissance importante du secteur tertiaire depuis quelques années. L'économie va devenir plus saine et équilibrée.

"En Chine, j'ai appris à conduire une voiture à toute vitesse, en gardant toute ma sérénité !"

Cependant, ce pays présente quelques faiblesses, et non des moindres. Tout d'abord, un problème de surcapacité, essentiellement dans le domaine industriel (acier, vitrages?). Ce problème est apparu entre autres en raison des capitaux qui furent longtemps faciles à taux zéro. Il va falloir du temps pour "digérer" ce surplus. Le second souci est l'endettement. Pas celui des ménages, mais celui des entreprises d'État et de l'administration, des provinces. Malgré une forte volonté de faire baisser cette dette, celle-ci continue à augmenter. Mais je reste très confiant, car les besoins sont fondamentaux sont réels et les moyens présents. À titre d'exemple, le taux de motorisation en Chine est de 100 voitures pour 1.000 habitants (il est de 600 en France). L'urbanisation va aussi encore progresser : 50% de la population vit aujourd'hui en zone rurale. À terme, ce sera 70% qui sera en zone urbaine.

Côté points forts, les autorités vont continuer à chercher à attirer les investisseurs étrangers. Même si les contrôles se font plus stricts ces derniers temps pour le respect des réglementations. Les comportements sont en train d'évoluer. À moyen et long terme, on peut être optimiste et le groupe Saint-Gobain a la volonté d'accélérer son développement dans la région : l'objectif est de doubler le chiffre d'affaires en Asie du Sud-Est en 5 ans, et de l'augmenter de 50% en Chine d'ici 3 à 5 ans !

En tant que président de la CCIFC, que pensez-vous de la présence économique de la France en Chine ?

La France est depuis longtemps un partenaire clef de la Chine. Nous avons des rapports de confiance et d'amitié, soudés par de nombreuses valeurs communes. Il reste que la vision que les Chinois ont de la France est incomplète. À l'image de luxe, de romantisme, de pays du tourisme et de la gastronomie, manquent les aspects de technologie, innovation et productivité. La CCIFC doit donc mieux expliquer ce qu'est la France en réalité. Côté flux économiques, ils sont très déficitaires pour la France et la tendance ne s'améliore pas vraiment ces dernières années. Il faut donc faire de la France un terrain d'investissements privilégié et se vendre mieux. Ce qui implique une réforme de fond indispensable du côté français !

Javier Gimeno, lors des élections de la CCIFC à Shanghai, entouré des membres élus, ainsi que d'Axel Cruau, consul général de France à Shanghai et de Thierry Mariani, député des Français de l'Etranger (08/03/2017)

La CCIFC aujourd'hui c'est plus de 1.600 adhérents. Lors de mon premier mandat, j'ai pu réaliser les objectifs suivants : mettre en ordre l'équilibre financier de l'institution et modifier l'organisation au niveau national pour plus de transversalité et d'unité d'action. Pour ce prochain mandat 2017-2019, il nous faut maintenant rebondir et adopter une réelle stratégie de croissance. L'objectif numéro 1 est de devenir la Chambre la plus importante au monde (elle est aujourd'hui en 3ème position) !

Que vous aura appris cette expérience en Chine sur un plan professionnel ?

En Chine, j'ai appris à conduire une voiture à toute vitesse, en gardant toute ma sérénité ! Car oui, tout va très vite, les décisions à prendre sont immenses et il faut bien les expliquer au siège à Paris ! Tout cela m'est possible grâce aux formidables équipes qui m'entourent. Par ailleurs, je crois profondément à la solidité de l'économie chinoise, malgré ses évolutions "spasmodiques", évoquées précédemment. Il faut aimer la Chine et les Chinois, pour qu'ils s'ouvrent à soi. Les relations affectives sont indispensables dans les affaires, elles aident à être plus efficace. Et il faut connaître la langue, au moins pour les relations personnelles, c'est une question de respect et d'empathie.

Inauguration de la 4ème usine Weber de Saint-Gobain à Wuhan (07/04/2016)

Et sur un plan plus personnel/culturel ?

J'adore la Chine ! J'ai des amis chinois, des gens qui comptent.  Et il y a cette énorme diversité du pays, j'en suis toujours étonné. J'essaie aussi de mieux connaître l'histoire chinoise, mais les bonnes traductions ne sont pas faciles à trouver. Je recommande d'ailleurs un ouvrage formidable qui vient de paraître, écrit par Sylvie Bermann (qui fut ambassadrice de France en Chine), "La Chine en eaux profondes" (éditions Stock). Et l'image que je garderai en mémoire le jour où je quitterai ce pays sera le sourire des Chinois ! Cette jeunesse d'esprit, cette confiance immuable dans l'avenir, cette conviction que demain sera meilleur qu'aujourd'hui, nous avons perdu cela en Europe?

Le mot de la fin ?

J'aime beaucoup la France, mes enfants y sont nés, j'ai appris le français avec Saint-Gobain et j'ai toujours vécu dans la communauté d'affaires française. Je suis très honoré d'être président de la CCIFC et à la tête de Saint-Gobain en Chine et Asie-Pacifique, ce sont deux missions exaltantes, qui me permettent de rendre à la France un peu de ce qu'elle me donne !

Pour en savoir plus sur Saint-Gobain en Chine, consulter le site http://www.saint-gobain.com.cn/en/about_china

Crédits photo : Saint-Gobain Chine

Propos recueillis par Delphine Gourgues lepetitjournal.com/shanghai  Lundi 17 avril 2017

Le Petit Journal Shanghai
Publié le 16 avril 2017, mis à jour le 17 avril 2017

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