La Chine paie sa croissance au prix fort, en sommeil perdu. Ils sont 534 millions à mal dormir, 38% de la population, soit 11% de plus que le niveau mondial, selon l’OMS. C’est le signe du stress, syndrome des temps chinois modernes. L’insomnie gagne surtout dans la jeunesse. À Pékin, Guo Xiheng, chef du département des troubles du sommeil à l’hôpital Chaoyang, a 30% de ses patients de moins de 30 ans, effectif triple de 10 ans plus tôt.
Nés après 1990, ces insomniaques sont étudiants, conducteurs de VTC, informaticiens ou commerciaux. Comme cause à leurs nuits blanches, 70% accusent la pression au travail, la peur de le perdre, le besoin de rester compétitif face au spectre du chômage. 47% évoquent aussi les pressions de la famille, de l’entourage.
Une autre raison est le smartphone, omniprésent, brouillant la frontière entre travail et vie privée, entre jour et nuit. Publié par China Daily, le sondage Index de qualité du sommeil en Chine 2018 dévoile que 28,7% des moins de 30 ans pianotent au lit sur leur portable, surfant sur Weibo ou WeChat. 13,6% regardent la TV, 11,6% discutent avec leur amis, 9,9% jouent. Pointée du doigt, la lumière bleue de l’écran perturbe la production de l’hormone du sommeil (la mélatonine), retardant de 30 minutes l’endormissement pour 46,4%, de plus d’une demi-heure pour 30% d’autres.
En Chine, 68% des moins de 30 ans estiment manquer de sommeil. Ils le paient en manque de concentration, sautes d’humeur, ou de perte de mémoire à court terme… Mais seuls 2% d’entre eux acceptent de consulter des spécialistes, en tout état de cause en nombre insuffisant. Selon un rapport Ipsos de 2018, seuls 220 hôpitaux chinois disposent d’un département dédié aux troubles du sommeil — signe d’une société qui n’a pas encore pleinement pris conscience de l’ampleur du problème du stress, tant sous l’angle de la baisse de productivité, que sous celui du bonheur individuel.