Xi’an, Henan, Shenzhen, Tianjin… La stratégie « zéro-Covid » mise en place par les autorités chinoises n’a jamais été aussi menacée qu’en ce début d’année 2022, à quelques semaines de la grande migration du Nouvel An chinois (1er février) et des Jeux olympiques d’hiver (4 au 20 février).
Si elle a déjà prouvé son efficacité durant les deux dernières années (la Chine ne recense en moyenne que quelques dizaines de cas de transmission par jour), elle est aujourd’hui mise à mal par l’arrivée de variants plus contagieux, comme le Delta et l’Omicron, et qui échappent aux vaccins « inactivés », comme ceux que la Chine produit.
Le cas de Xi’an, capitale provinciale du Shaanxi, en proie au variant Delta depuis décembre, vient illustrer les limites de cette stratégie basée sur des campagnes massives de dépistage, un traçage méticuleux des cas contacts, le recours au confinement centralisé, la fermeture des frontières et la suppression quasi totale des vols internationaux. En un mois, les autorités locales ont multiplié les erreurs en matière de gestion sanitaire et se sont mis à dos une bonne partie de ses 13 millions d’habitants.
Il y a d’abord eu les problèmes d’approvisionnement alimentaire, causés par le manque de main-d’œuvre (elle aussi sujet à confinement). Puis il y a eu le crash à deux reprises du système informatique générant le code QR de santé, nécessaire pour accéder aux hôpitaux ou encore se faire dépister. Ensuite il a eu la relocalisation forcée de 42 000 habitants dans des centres de quarantaine « délabrés » aux abords de la ville. Enfin, il y a eu les difficultés d’accès aux soins pour les personnes malades, poussant les habitants à dénoncer cette priorité donnée à l’éradication du virus au détriment de leur propre santé. Le cas de deux femmes enceintes ayant perdu leur bébé faute d’avoir été en mesure de présenter aux hôpitaux un test PCR valide, a profondément choqué l’opinion et conduit la vice-première ministre Sun Chunlan à exprimer « de profonds remords ».
Alors que le foyer épidémique de Xi’an, « le plus sérieux depuis le confinement de Wuhan », serait finalement sous contrôle après trois semaines de confinement, le fait que la situation soit sous certains points tout aussi sévère que celle observée à Wuhan début 2020, mérite réflexion. Punir systématiquement les personnes en charge en cas de défaillance ne rendra pas le virus moins transmissible. Dans la plupart des cas, les travailleurs ne font qu’appliquer des directives venues d’en haut. Or, ces dernières n’ont qu’une faible tolérance pour les cas particuliers et les imprévus… C’est la raison pour laquelle certains blogueurs estiment que c’est la responsabilité de ceux qui formulent ce protocole sanitaire strict qui devrait être engagée. Comme dit le dicton : « un général incompétent peut décimer trois armées » (一将无能,累死三军). Comme souvent, ces critiques visent essentiellement les dirigeants locaux et ne constituent pas une véritable remise en cause de la stratégie « zéro Covid » de Pékin.
Zeng Guang, ancien épidémiologiste en chef du CDC chinois, espère tout de même que le cas de Xi’an puisse servir d’exemple. « Ce qu’il s’est passé à Xi’an pourrait très bien arriver à d’autres villes », a-t-il prévenu.
De fait, la découverte de deux cas d’Omicron dans une école de Tianjin le 9 janvier, sans lien avec le premier cas importé du pays, va également mettre à rude épreuve la réactivité des autorités municipales. Un dépistage des 14 millions d’habitants a déjà été ordonné.
Au-delà de ces percées dans le bouclier épidémique chinois, certains analystes prédisent que la Chine pourrait bientôt arriver à un point d’inflexion : les bénéfices apportés par la stratégie « zéro Covid » s’amenuisent au fur et à mesure que les coûts économiques augmentent. Les signes ne trompent pas : la consommation intérieure peine à décoller, la situation fiscale se détériore, la croissance du PIB ralentit (environ de 5% en 2022 contre 7% avant la pandémie).
D’après le cabinet de conseil en risques politiques Eurasia Group, basé à New York, « la Chine aura de plus en plus de mal à contenir les infections, les foyers seront plus importants, et les mesures mises en place seront plus strictes. Cela va en retour générer de plus fortes perturbations économiques, nécessiter davantage d’intervention de l’État, et alimenter un certain mécontentement au sein de la population, qui se retrouvera en porte-à-faux avec le mantra triomphaliste des médias officiels ».
Sans aller jusqu’à remettre en cause sa stratégie de lutte contre la Covid-19, le gouvernement central semble néanmoins conscient des difficultés économiques qu’elle engendre. Lors de la conférence annuelle sur le travail économique en décembre, les décideurs ont déclaré que la Chine va trouver « un meilleur équilibre entre les mesures sanitaires et le développement économique ». Mais dans quelle mesure Pékin va-t-il procéder à des ajustements ? Et quand ? Rien n’est à attendre avant les Jeux olympiques d’hiver en février, et le XXème Congrès du Parti à l’automne… Mais après ces échéances politiques, tous les espoirs sont permis.