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En Chine, le retour des cantines publiques

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Écrit par Le Vent de la Chine
Publié le 16 novembre 2022, mis à jour le 18 novembre 2022

Des mots nouveaux s’invitent de plus en plus souvent dans les conversations des familles en Chine : « cuisines alimentaires » ou encore « coopératives de fourniture et vente ». En dépit de la dénomination, il s’agit de services étatiques, en l’occurrence de cantines et de cafétérias collectives.

 

Ces entités avaient fleuri dans les années 60. Elles refont leur apparition depuis 2012, à un rythme de plus en plus rapide. En 2019, ces établissements bon marché étaient au nombre de 32 000, et 5 000 de plus l’année suivante. Leurs fournisseurs ont vu leur nombre exploser : au Hubei par exemple, ils ont quintuplé depuis 2017, à 330 000 petits paysans écoulant, via ce circuit, les produits de leurs fermes.  Le Hubei a ordonné aux villes, d’ouvrir « au moins 500 cantines d’ici 2025 ». Et ce n’est qu’un début, explicité par un geste politique lourd de sens : à l’issue du XXème Congrès, Liang Huiling, présidente de la Fédération nationale des coopératives de fourniture et vente, était élue membre du Comité Central.

 

Que signifie cette réapparition d’un réseau de « danwei » d’une époque stalinienne de pénurie et d’économie d’état ?  

Cette renaissance a lieu au moment de l’arrivée aux affaires du Président Xi Jinping, et d’une tranche d’âge de leaders ayant connu la révolution culturelle et les gardes rouges. Elle rappelle le souci du Premier secrétaire de « rééquilibrer » la nation après 30 ans de libéralisme hérité de Deng Xiaoping, pour y réinsuffler des principes chers à Mao. Un témoin chinois se rappelle que ces cantines avaient connu leur apogée lors du Grand bond en avant, époque de famine à laquelle on attribue aujourd’hui entre 40 et 100 millions de morts. Dans ces cantines, il faut donc voir le vœu des dirigeants d’un retour à une forme de collectivisme alimentaire.

Elles pourraient être aussi une réponse à la paupérisation, fruit de la désaffection étatique du secteur privé depuis 2012. L’Etat accélérerait ce retour des cantines, poussé par l’angoisse d’une pénurie alimentaire. Pour ne pas (trop) dépendre des importations, il choisirait ce système fruste mais ayant fait ses preuves, pour nourrir tout le monde en cas de besoin…

 

Un vieillissement de la population chinoise

En tout cas, ces cantines se sont modernisées. Elles fonctionnent en réseau, pour fournir des services diversifiés, du magasin d’alimentation au colis à commander sur internet et réceptionner à un point fixe, en passant par la livraison à domicile. « Tout cela », suppute notre informateur, « c’est pour réhabiliter les comités de quartier », ces organes de contrôle des masses traditionnellement tenus par des vieillards, reconnaissables à leurs brassards rouges hors d’âge.

Une autre justification de ces cantines est le souci du vieillissement qui s’accélère, en résultat de 40 ans de limitation des naissances à un enfant par couple. En 2021, les sexagénaires étaient 267 millions, 19% de la population. Or ce passage accéléré à une Chine aux cheveux blancs, arrive avant que la société ait eu le temps de s’enrichir. Aujourd’hui sous la Covid, plus d’un citadin, sans le dire, a du mal à boucler ses fins de mois. Dans cette perspective, ces cantines Xi Jinping pourraient jouer le rôle de « restos du cœur », payants certes, mais moins chers qu’ailleurs.

L’Etat conteste à vive voix telles interprétations. Wu Changhai, vice-directeur à l’Université nationale des sciences politiques et légales, relève que contrairement aux cantines d’autrefois, celles-ci offrent aux paysans une alternative pour écouler leurs produits et contribuer au bien-être de tous.

Mais est-ce bien le cas ? Par définition, ces cantines publiques ne peuvent exister sans subventions au paysan, au transport, aux salaires du personnel. Mais telles quelles, elles constituent une concurrence inéquitable et insoutenable aux millions de boutiques familiales de soupes, de nouilles et de raviolis, voire même aux petits commerces indépendants qui risquent à l’avenir de ne pouvoir résister.

Une autre question est de savoir si ces espaces de restauration bas de gamme sauront conquérir le public. Tout dépendra sans doute du soin apporté en cuisine, aux efforts des managers pour tenir des salles et des tables propres, et de la qualité du service. Faute de quoi, le client pourrait vite regretter ses restaurants d’avant – d’autant que face à leur marché captif, ces cantines pourraient ne pas faire de gros efforts pour s’imposer…

Au fond, ces cantines sont confrontées par la force des choses à une question fondamentale : sont-elles là pour servir la croissance nationale, ou bien pour suivre l’objectif très « Xi » de renonciation à l’enrichissement et de partage plus efficace de la richesse nationale ?

Le 4 novembre à Shanghai, à l’ouverture de la 5ème édition de la CIIE (China International Import Expo), Xi Jinping se défendait de vouloir tuer la croissance : « la Chine reste attachée à la politique fondamentale d’ouverture, et adhère à la juste voie de la mondialisation économique ». Mais les statistiques offrent une réponse sensiblement différente : en octobre, les exportations ont baissé de 0,3% sur 12 mois, et de 6% par rapport à septembre.

 

Le signe d'une anticipation d'une décroissance de l'économie par le régime chinois

A même période, les importations baissaient de 0,7% sur 12 mois. Et d’après leurs bilans annuels, tout juste sortis, trois des 31 provinces sont en récession : Hainan, Jilin et Shanghai. Durement frappée par les confinements successifs liés à la polique zéro Covid, Shanghai accuse une contraction de son PIB de 1,4%.

Les chiffres sont donc, pour l’instant, au rouge, et dans cette optique, les cantines publiques apparaissent comme une réponse d’un régime ayant anticipé cette décroissance. L’avenir dira si la barre se redressera : cela paraît une condition sine qua non pour que le troisième quinquennat du chef de l’Etat se poursuive sans heurt !

Le Vent de la Chine
Publié le 16 novembre 2022, mis à jour le 18 novembre 2022

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