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Grâce au soju, les archives sud-coréennes coulent à flot

Soju histoire Corée Soju histoire Corée
Écrit par Pierre
Publié le 23 avril 2018, mis à jour le 24 avril 2018

Le monde débouche l’histoire coréenne. Chaque année, des vestiges des dynasties et invasions passées sont ingurgités à travers le monde. Mais rares sont les consommateurs à connaître leur passé. Celui de la Corée et du soju. Pourtant, des siècles durant, cette boisson spiritueuse a assisté à la construction de cette nation.

 

La Corée du Sud exporte son histoire. Non pas à travers des œuvres littéraires mais des bouteilles. Vertes pour la plupart. Et toutes renferment quelques bribes du passé sud-coréen. Une mémoire à l’état liquide contenue dans des millions de litres. À tel point que cette boisson spiritueuse est la plus vendue au monde, bien loin devant d’autres de ses consœurs telles que le whisky ou la vodka. Mais peu de ses consommateurs prennent le temps de lire l’intitulé de cette chronique du pays du matin calme : le soju. Et plus rares encore sont les curieux à lire ces archives. Pourtant, cet alcool vendu à un prix dérisoire est le fruit de nombreuses conquêtes et épopées mongoles.

 

Moins de deux euros pour apprécier un savoir-faire issu du Moyen-Orient. De l’empire Khwarezmien plus précisément, une dynastique perso-turque fondée en 1077. Ce royaume chevauchait trois zones géographiques : la Perse, la Transoxiane ainsi que le Khwarezm. Une nouvelle puissance qui prospère. Alors, après avoir conquis les territoires voisins, en 1219, l’empereur mongol Gengis Khan propose à Alâeddin Mohammad, le Shah du Kwharezme, d’établir des liens commerciaux.


Pour nouer ces accords, le « chef suprême » dépêche une caravane de 500 hommes. À leur arrivée, marchands et diplomates mongols sont arrêtés et certains sont massacrés sur ordre d’Inalchuq, gouverneur d’Otrar, une ville de l’empire Khwarezmien. Ils les soupçonnent d’être des espions. Face à cette offense, Gengis Khan fait preuve de clémence. Et pour cause, il est déjà engagé dans une guerre contre la dynastie Jin, en Chine septentrionale. Il envoie donc trois ambassadeurs en Kwharezme pour demander à Alâeddin Mohammad des explications ainsi que la libération des mongols qui ont été épargnés. En réponse, le Shah exécute les survivants ainsi que l’un des émissaires. L’humiliation de trop pour l’empereur des steppes. Il lève une armée de 200 000 hommes et marche vers l’Asie centrale et le Moyen-Orient.


Une conquête qui continuera même après sa mort, en 1227, avant de s’arrêter aux portes de l’Europe à la fin du siècle. L’empire Khwarezmien tombe en 1231. Et parmi les trésors de cette occupation, les Mongols découvrent l’araq, l’ancêtre du soju. Ou plutôt un savoir-faire. Car cette boisson à base de raisin fermenté et de graines d’anis tient son nom de son procédé de fabrication : « transpiration », en arabe.

 


Le soju, symbole d’une certaine mondialisation d’antan


Les Mongols ont soif. Non pas de soju mais de territoires. Donc en 1231, lorsque l’empire Khwarezmien vient d’être conquis, ils envahissent la Corée qui est alors la dynastie Goryeo (aussi orthographiée Koryŏ). Face à ces assauts, la péninsule résiste mais ses pertes humaines sont colossales. L’armée d’Ögedei Khan — il est le fils de Gengis Khan ainsi que son premier successeur après le régent — multiplie les campagnes. Finalement, la dynastie Goryeo cède. En 1259, l’actuelle Corée devient un état vassal de la dynastie mongole. Une situation qui perdurera durant près d’un siècle. Au cours de cette occupation, les Mongols introduisent l’araki — le nom est dérivé du mot arabe — sur le territoire coréen.


Cette boisson devient rapidement populaire. À tel point qu’après le départ des envahisseurs en 1350, ce spiritueux perdure à travers tout le pays. L’araki devient le soju, en raison de la prononciation coréenne du mot chinois shāojiǔ, qui signifie « alcool distillé ». Mais à cette époque, cet alcool est principalement consommé par les classes les plus aisées car le riz destiné à être distillé est précieux.

 

Puis sous l’ère de Sejong le Grand, quatrième roi de la dynastie coréenne Joseon, cet alcool est principalement utilisé à des fins médicales. Pour absorber ce breuvage médicinal, les malades utilisent de petits verres. Une tradition qui se perpétue au fil des siècles. Pourtant, l’usage du soju évolue. Peu à peu, il se démocratise. Durant l’ère Joseon, de nombreuses familles produisent leur propre alcool, des siècles durant. Mais en 1916, sa fabrication est soumise à la Liquor Tax Act.


Le Japon, qui occupe la Corée, a conscience du potentiel économique qui réside dans cet alcool de riz. Face à cet impôt, le nombre de producteurs s’écroule. De 28 000, il passe à 430 en 1933. L’année suivante, les licences accordées aux particuliers sont supprimées: le soju se raréfie. Le riz aussi en 1965. Pour faire face à cette pénurie, le gouvernement coréen interdit l’utilisation de cette céréale dans la confection de la liqueur. La patate douce et le tapioca deviennent les principaux substituts.


Aujourd’hui encore, la plupart des marques ont recours à d’autres sources d’amidon, telles que la pomme de terre. Chaque région de Corée du Sud a une fabrication bien spécifique du soju. Car en 1973, pour éviter une production excessive, seule une marque était autorisée à en produire dans chaque région. Si cette restriction n’est plus d’actualité, toutes les régions abritent encore un savoir-faire différent. Cette technique de distillation à traversé les continents. Tel un produit mondialisé en avance sur son temps. Avant de devenir le spiritueux le plus vendu au monde en 2012. Désormais, tels les Mongols à leur apogée, cette marchandise issue de la guerre part à la conquête du monde.

 

 

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