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La Fable du Virado à Paulista

Sao Paulo ViradoSao Paulo Virado
Écrit par Felipe Toniato
Publié le 23 février 2021, mis à jour le 25 février 2021

Le lundi à São Paulo, c'est pas ravioli mais Virado à paulista. Un plat roboratif mais très complet. A manger avec modération, sauf si on a un autre but en tête, comme le malandro* de la fable.

Le vieux malandro rentre au buteco*. Il s’avance vers une table, traversant la salle à son propre rythme, un accord entre le gingado* et la nonchalance. Il est midi pile et le buteco est rempli d’habitués : des employés en pause-déjeuner, des chauffeurs de taxi prenant un café entre deux courses et des passants qui s’arrêtent pour manger une coxinha* avant de continuer leurs affaires pressantes. Ça sent la graisse, la nourriture et la sueur. Nous sommes dans le centre-ville de la capitale paulista et cela grouille de monde.

« Bonjour contremaître » dit le malandro au serveur derrière le comptoir, qui lui répond d’un léger signe de tête. Il porte une chemise colorée ouverte jusqu’au nombril, des colliers d’or avec des pendentifs chrétiens – Saint Georges et la Sainte Vierge Aparecida – complétés par des guias de terreiro* rouges et blancs. Un pantalon marron clair, des sandales et un cure-dents au coin de la bouche complètent le personnage.

Il s’installe confortablement derrière sa table en fer, tel un roi prêt à recevoir un banquet. « Contremaître, un Virado », ordonne-t-il sans tourner la tête de la télévision au-dessus de lui. « Et au fait mon grand, dit à Dona Juca de ne pas faire sa radine, car aujourd’hui j’ai une faim de loup. Et ramène-moi un chopinho* pour faire descendre tout ça », ajoute-t-il cette fois en se tournant, pour être sûr que le message a été compris.

Lundi c’est le jour du virado à paulista dans n’importe quel restaurant de São Paulo. Cependant, celui de Dona Juca est classé premier dans le guide gastronomique populaire. Certes assez cher, mais copieux.

La foule se presse contre la porte

Pour qui n’est pas coutumier un vrai virado à paulista, c’est un plat de riz blanc accompagné de haricots cuisinés dans la graisse de porc, de saucisses de porc, de côtelettes de porc, de craquelins de porc, de banane panée, de farine de manioc, de choux haché et frit, le tout couronné par un œuf au plat.

Peu de temps après, tout cela arrive à la table du malandro. Bien que frêle, il attaque le mets avec envie. Vers la deuxième côtelette, il commande un autre chope. Les employés commencent à se lever, c’est la fin de l’heure du repas. Ils passent par la table en fer du malandro et regardent étonnés le spectacle. « Rapaz, qu’il est vorace ! » s’exclame l’un d'entre eux. « Tá tirando a barriga da miséria, meu* » dit un autre. Ils partent tous en rigolant, mais le malandro ne se laisse pas distraire.

« Contremaître, viens ici », demande-t-il avec véhémence. « Regarde-moi ça : il me reste plein de riz et de haricots mais je n’ai plus de viande ! Dit à Juca de m’envoyer un plat rempli de viande et tout de suite. Tu me connais, toi, tu sais qu’avec moi on ne rigole pas. Allez, ouste ! ». Le pauvre serveur essaie en vain de dissuader le client. Il se retire et revient avec le plat débordant.

Personne ne sait comment, mais le bruit court les rues et tout le monde se presse chez Dona Juca pour assister au spectacle. « Amigo, dis-moi comment est-ce que je peux manger de la viande sans riz et haricots ? Profite que t’y vas et donne moi encore des bananes et un peu de farine pour donner de la consistance ». Les plats se suivent : viande, riz, haricots, farine, choux, œufs.

La foule se presse contre la porte. Les vendeurs à la sauvette, les cireurs de chaussures, les coiffeuses, tout le peuple du Centro est là pour regarder ce malandro dévorer plusieurs Virados à lui seul ! Dona Juca se déplace en personne pour le voir et tenter d’arrêter cette folie insensée : « Ô homi, t’es dévenu fou, ou tu as des lumbrigas* ? ». « Laisse-moi manger Juca. Laisse-moi » dit-il sans la regarder. Avec un malandro c’est comme ça : donne son avis qui veut, obéit qui peut.

Il lève sa fourchette, le mouvement se ralentit. Sa tête se penche en avant, en arrière. La foule retient son souffle. Il se fracasse sur la table, évanoui. Les secours l’emmènent aux cris de « morreu ! morreu !*». Parmi les spectateurs, une dame dit avec dédain : « celui là est un vrai malandro, le genre qui s’empiffre pour ne pas payer l’addition ».

Sao Paulo Virado
Le Virado à Paulista - Edsonaoki

Lexique :

Malandro : une traduction littéraire du terme serait le roublard, le malin. Cependant, un vrai malandro va au-delà de la tromperie. Dans les quartiers pauvres, il est une sorte d’éminence grise, s'utilisant d'intelligence, d'astuce et de sagesse empirique pour surmonter les difficultés imposées par la vie pauvre. Certains malandros arrivent à avoir beaucoup de respect entre les habitants des favelas.

Buteco : le bistrot brésilien par excellence, c'est au buteco que les locaux vont pour manger bien et pas cher.

Gingado : le swing. C'est un mouvent de hanches caractéristique des tropiques, utilisé quand l'on veut séduire ou montrer que l'on a une certaine malice, tel un chat.

Coxinha : beignet fait de farine (blé ou manioc) fourré de poulet haché. Du à son bas prix, il est très apprécié lors du midi, à la place d'un repas, ou dans les fêtes d'anniversaire dans sa version mini.
     
Guias de terreiro : les guias sont des colliers en perles de verre, portées par les pratiquants du candomblé ou de l'umbanda. Chaque couleur est représentative d'une entité : le rouge pour Ogum, le blanc pour Oxala, le vert pour Oxossi, etc. Il revient au pai ou mãe de santo (les dirigeants du centre) de dire au pratiquant la couleur et le but de chaque guia (protection, sagesse, bonheur,etc), selon l'entité désignée à la naissance.
 
Chopinho : de la bière légère, très fraîche en pression.  

« Tá tirando a barriga da miséria, meu* » : « tu sors le ventre de la misère, mon vieux ».

Lumbrigas : des ténias.

« Morreu, morreu » : « il est mort, il est mort ».

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