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Aurea Vieira: « Je vois le monde en bleu blanc rouge »

Bresil SESC Aurea VieiraBresil SESC Aurea Vieira
Andrea Lima
Écrit par Guillaume Thieriot
Publié le 20 mars 2021, mis à jour le 22 mars 2021

Aurea Vieira est directrice des relations internationales du SESC São Paulo, puissante institution culturelle du pays. Mais elle a aussi une autre particularité : plus francophile qu’elle, tu meurs.

L’entretien se déroule en visio. C’est l’obligation de l’époque. Au moins peut-on admirer sa marinière, que ne renieraient ni Jean-Paul Gaultier dans ses défilés, ni Montebourg dans ses ruches. Aurea Vieira, de son nom complet Aurea Leszczynski Vieira Goncálvez, est née à Uberlândia, ville moyenne de l’État historique et central du Minas Gerais. Elle est donc on ne peut plus brésilienne, pas du tout Made in France. Quoique.

À l’entendre, elle a la France dans le sang. Elle la mange, la respire. "Je suis fan de la France" pose-t-elle d’emblée sur la table, sans attendre la première question. Et d’enchaîner sur un lyrique: "je vois le monde en bleu blanc rouge", qu’elle explicite en racontant son voyage au Japon, découvert à travers une grille de lecture de normalienne: enivrée avec Barthes et son Empire des Signes, et plus critique avec Lacan et son Lituraterre.

Gourmandise des mots

Quand elle a reçu la Légion d’Honneur (elle a été faite chevalier en 2019, après les Arts et Lettres en 2011), elle a évoqué ses premiers souvenirs en relation avec le décor, deux mélodies elles aussi on ne peut plus françaises: Frère Jacques dans les bras de sa mère, à l’âge de 5 ans ; Gymnopédie n°1 de Satie, jouée à la flûte traversière à l’âge de 9 ans. Elle n’est pas devenue musicienne, malgré un père passionné de musique, mais elle a gagné une sensibilité à ce qui sonne juste ou beau. Comme la poésie.

C’est peut-être cela d’ailleurs qui, plus ou moins consciemment, l’a faite glisser de la philosophie allemande, ses premières amours d’étudiante en philosophie à l’Université fédérale d’Uberlândia, vers des auteurs français. Elle a la modestie de dire qu’elle a choisi une forme de facilité, jugeant la langue allemande trop ardue à apprendre pour lire Kant en VO. Mais on devine, qu’au fond, elle pressentait qu’elle tomberait amoureuse d’un philosophe français. Pour sa pensée ? Peut-être. Pour sa langue et son esthétique ? Plus sûrement.

La preuve : dans cette quête qui l’a amenée à Lyon étudier le français et suivre un cours de philosophie, elle a découvert Bergson et "sa compréhension poétique du temps": une pensée qu’elle a exploré "sous l’angle esthétique" - forcément, se dit-on. Après il y a eu Saint Augustin : "un philosophe très important, très savoureux à lire." Gourmandise des mots bien agencés encore. La musique, toujours.

Bulletin lyonnais

Et quand elle enchaîne sur Deleuze, son préféré, c’est encore pour souligner son style, et déclarer au passage sa flamme à la langue française, "la plus belle" selon elle, qui lit Perec sans modération. La dame est donc joueuse, en plus d’esthète. Pas étonnant qu’elle aime aussi Debussy, pour son mélange de "profondeur, d’onirisme et de jeu". Trois mots qu’elle juxtapose, comme pour se définir elle-même en miroir.

Car outre le goût des jeux et des mots (et des deux ensemble), elle a la profondeur d’esprit de qui veut donner un sens à sa vie. Jeune étudiante à Lyon, elle était formatée pour la carrière universitaire; mais le sentiment d’une autre nécessité lui a fait prendre la tangente. C’est que, dans sa solitude des quais de Saône, qui faisait écho à son enfance dans une autre ville provinciale et un rien conservatrice, elle avait découvert tout un champ de possibles grâce au Bulletin Lyonnais, hebdo culturel de la capitale des Gaules.

Chaque mercredi elle recensait l’offre culturelle gratuite, dont elle profitait ensuite avec avidité. Et à mesure qu’elle explorait seule ce Lyon plus secret, elle a découvert qu’elle "pouvait se réinventer". Ce qu’elle a fait, ayant enfin trouvé une voie porteuse de sens pour elle: la démocratisation de la culture.

Piles de mails

Revenue au Brésil, où elle déplore qu’il n’y ait pas un puissant Ministère de la Culture, pour mener une politique d’ampleur et lui donner toute sa valeur, c’est au SESC* de São Paulo qu’elle a trouvé son bonheur. Sa bascule internationale est venue peu après, avec la saison de la France au Brésil en 2009, réplique de la saison brésilienne en France de 2005. Le SESC de São Paulo s’est alors retrouvé à la manœuvre, par délégation du Ministre de la Culture Gilberto Gil. Son directeur, Danilo Miranda, qui recevait les premiers mails par centaines en direct, a dû vite chercher quelqu’un dans son équipe pour l’épauler. Bon niveau de français exigé.

Une bonne âme a alors poussé le nom d’Aurea, réputée pour sa capacité de travail. Elle s’est ainsi retrouvée à abattre la pile de mails dans le bureau jouxtant celui du directeur, devenu sa figure mentor. Passée l’année de la France au Brésil, elle a été promue conseillère aux relations internationales, avant de prendre la direction d’un département dédié.

Contrebandière de fromages

Elle évoque toujours avec émotion les artistes reçus pendant cette année 2009 : Isabelle Huppert jouant Sarah Kane, Patrice Chéreau et ses lectures des lettres de Dostoïevski, Angelin Preljocaj et son mahlérien ballet Blanche-Neige... Elle parle désormais aux plus grands, mais on entend encore la voix de la jeune étudiante passionnée qui croquait à pleines dents la programmation gratuite lyonnaise.

Comme elle continue de croquer la France, son actualité, ses produits, notamment ses vins et ses fromages, dont elle se fait contrebandière à chaque voyage. Ce qui ne passe pas toujours inaperçu quand elle enregistre ses bagages au retour. La dame est joueuse, on l’a déjà dit. A force elle a fini par gagner, et a été upgradée une fois en classe supérieure pour ne pas contaminer toute la classe éco avec ses odeurs de chèvre. "Madame, vous aimez le fromage ?", lui avait demandé, placide, l’agent au comptoir.

Pas seulement le fromage, monsieur, mais la France, qui le lui rend bien, avec des distinctions dont elle se sent plus qu’honorée, et qui lui font retrouver ses accents lyriques de Marianne brésilienne, comme lors de sa dernière décoration en 2017. Elle avait alors évoqué "la France révolutionnaire qui questionne sans cesse le beau, le bon et le juste dans le monde", et s’était résumée elle-même d’un trait : "Il y a beaucoup de France en moi". On ne saurait mieux dire.

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*Les SESC

Les SESC (pour Services Sociaux du Commerce) sont des objets assez uniques en leur genre. Ils relèvent de la Fédération du Commerce de Biens, Services et Tourisme, et sont financés grâce à une cotisation patronale spécifique, garantie par la Constitution. Ce sont des centres où l'on propose des activités culturelles, sportives ou sociales, avec le but notamment d’en faciliter l’accès.

Bresil SESC Aurea Vieira
Le célèbre SESC Pompeia à São Paulo, œuvre de l'architecte brutaliste Lina Bo Bardi. Inauguré en 1982, c'est l'une des 43 "unités" de l'État de São Paulo.

 

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