La “motociata“ de São Paulo, la manif à moto des supporters du président brésilien, n’a pas rencontré le succès espéré. Mais elle a coûté très cher pour sa sécurité. Retour en images “de l’intérieur“.
"Je ne suis pas en campagne", lance le président de la République à la tribune du trio elétrico, ce camion sonorisé sur lequel il harangue la petite foule de ses partisans. Même ses fans n’y croient pas, qui lui donnent la réplique attendue : "nous oui !"
De fait, dans son propos improvisé, Bolsonaro déroule ses thèmes de prédilection, comme s’ils les rodaient en vue du duel annoncé contre Lula, à l’élection présidentielle d’octobre 2022. À commencer par l’agitation du chiffon rouge communiste, en citant l’épouvantail vénézuélien. “Notre drapeau ne sera jamais rouge“, reprennent plusieurs fois en chœur ses partisans galvanisés.
Bolsonaro contre Doria
La couleur dominante ici est le vert et le jaune, les couleurs nationales. Ambiance patriotique, nationaliste donc, avec en prime une coloration religieuse. Le mouvement de ce jour est d’ailleurs baptisé “Accélère avec le Christ pour Bolsonaro“, et le président brésilien lui-même n’hésite pas à mélanger les genres. “Vous avez la chance, dit-il à ses supporters, d’avoir un président qui est croyant.“
Une occasion aussi de rappeler qu’il a toujours été contre la fermeture des lieux de culte, et contre toute fermeture de façon générale. Ce déplacement à São Paulo du “président pas en campagne“ ne doit rien au hasard. Nous sommes sur les terres du gouverneur João Doria, ex-allié devenu ennemi juré, qui a imposé dans son État des mesures de restriction pour tenter de contenir la pandémie de coronavirus.
Devant un public conquis, Bolsonaro répète donc ses habituelles antiennes. Lui n’a jamais souhaité ni décidé de fermeture, et “son“ armée ne viendra pas faire respecter la moindre mesure restreignant les libertés individuelles de circuler, travailler ou aller prier.
Et pour continuer sur le registre de qui ne fait pas campagne, il n’a de cesse de citer son ministre des infrastructures, Tarcísio de Freitas, qu’il voudrait voir se présenter aux prochaines élections pour le poste de gouverneur de São Paulo.
Gratuité des péages pour les motards
Lequel ministre, sans doute pas en campagne lui non plus, se trouve à ses côtés, tout comme le ministre de l’environnement, Ricardo Salles, l’homme qui veut "faire passer le troupeau" en Amazonie, et qui n’a pas l’air très ému du bilan carbone de la journée. Sur la tribune, les visages sont souriants. On peut en effet les voir puisque personne ne porte de masque.
C'est cohérent avec la position de Bolsonaro, qui veut les faire enlever aux personnes déjà contaminées ou vaccinées, malgré des réinfections et même des décès avérés. Mais selon lui, la covid-19 n'a pas fait tant de victimes que ce que disent les médias. Le président brésilien promet des révélations sur les chiffres qui vont montrer que le nombre de morts aurait été surévalué. On aurait inscrit Covid-19 sur des certificats de décès par commodité ou pour toucher de l’argent. Et puis il y a le traitement précoce, à base d’hydroxichloroquine, dont l’efficacité n’est pas à démontrer pour Bolsonaro, qui se présente en vérité empirique sur le sujet.
Bref, tout va bien au Brésil: la corruption serait vaincue, et la croissance devrait être cette année parmi les 5 plus fortes du monde. Parole de président, qui affirme la chose en surlignant sa propre certitude, et qui n’oublie pas de refaire son effet d’annonce plus que réchauffé sur la gratuité des nouvelles routes à péage pour les deux-roues motorisés. Sans indiquer au passage ce qui justifie une telle faveur pour cette catégorie particulière de la population, qui représente 20% de la population brésilienne.
Une manifestation à 70.000 doses de vaccin
Au final, et quoiqu’en disent les réseaux sociaux proches du président, la manifestation est très loin d’avoir réuni les 400.000 inscrits, et encore moins les 800.000 ou le million prétendus depuis hier soir. Les pelouses autour du monument des Bandeirantes étaient pour le moins clairsemées, et selon les autorités locales, on a dénombré 12.000 motards dans le cortège qui a effectué une boucle de 120 km derrière Bolsonaro.
L’opération était promue par un certain Jackson Villar, entrepreneur paulista et personnalité controversée, qui a échoué en 2018 à se faire élire député fédéral sous une étiquette alors proche du parti des travailleurs. Sa mise en avant à gêné des clubs de motards, de même que la connotation religieuse a obligé certains pasteurs à préciser publiquement qu’ils n’avaient pas appelé à ce rassemblement.
Localement, les motoboys paulistas ont aussi refusé de se joindre à ce rassemblement de motards, rappelant la hausse du prix des carburants et l’absence d’un plan du gouvernement pour les protéger de la covid-19.
Bref, dans ces odeurs d’essence et d’huile brûlée, c’était une version biker de Beaucoup de bruit pour rien. Enfin presque rien, car l’opération a tout de même mobilisé 6300 policiers et 600 véhicules pour en assurer la sécurité, soit une addition de 1,2 million de réais pour le contribuable. Ou pour l’exprimer dans une unité monétaire de notre époque : environ 70.000 doses de vaccin Oxford Astrazeneca produites au Brésil par Fiocruz. Par exemple.