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Projet “Além do Morro“ à Rio de Janeiro : des livres contre les armes

Hugo et Mila à la Casa da ArvoreHugo et Mila à la Casa da Arvore
Hugo et Mila, fondateurs et coordinateurs du projet Além do Morro
Écrit par Guillaume Thieriot
Publié le 7 juin 2021, mis à jour le 8 juin 2021

Depuis le début de la pandémie, Hugo et Mila ont amené des livres pour les habitants des favelas de Babilônia et Chapéu Mangueira. De fil en aiguille, un espace culturel, social et éducatif est né : la Casa da Árvore.

Nous aurions dû aller sur place ce samedi 5 juin. Mais le matin même une fusillade a éclaté sur le morro Babilônia. 3 morts, dans cette énième résurgence de la guerre entre factions rivales qui se disputent le contrôle de la colline.

“C’était pourtant calme depuis plus de 6 mois“, commente Mila au téléphone, attristée, mais non abattue. La vie continue et avec elle la lutte pour apporter toujours plus de culture au sein même du Morro de Babilônia, cette petite colline stratégique où vivent près de 4000 personnes.

Stratégique car ladite colline, quoiqu’en bout de plage de Copacabana et coincée derrière les vieux immeubles du Leme, est aussi un trait d’union vers le quartier de la Urca. De là-haut, quand on peut y grimper, la vue vaut le souffle que l’ascension a déjà coupé. Flamengo, Praia Vermelha, Pain de Sucre, Copacabana: le choix des cartes postales est aussi étendu que la portée et les directions du regard.

Imaginaire des guerres de clans

Mais gare aux illusions d’optique. Babilônia, malgré son nom de jardin suspendu et ses vues aériennes, c’est d’abord et surtout 2 favelas séparées par une rue: d’un côté celle éponyme de Babilônia, et de l’autre Chapéu Mangueira (à ne pas confondre avec l’école de Samba Mangueira).

Comme les autres favelas de Rio, ces territoires se sont progressivement ouverts. On peut y dormir dans des chambres d’hôtes ou auberges bon marché, ou tout simplement s’y promener par temps calme et manger près du sommet, au célèbre Bar du David, une institution souvent classée parmi les meilleurs troquets (butecos, diminutif de botequins) cariocas.

Mais le fumet des petiscos, ces spécialités et petits plats que l’on sert en apéritif, cachent à leur tour d’autres fumées : celles des armes, qui parlent toujours plus fort que tout le reste quand elles sont de sortie, comme ce samedi matin.

Babilônia et Chapéu Mangueira, bien que sur la même colline, continuent de se regarder en rivales. Et les enfants grandissent dans cet imaginaire de Montaigu et Capulet, cet imaginaire des guerres de clans. Enrôlés très jeunes dans le trafic, ils en sont aussi les premières victimes.

Au bonheur des livres

Et puis il y a eu la pandémie, qui a privé d’activité beaucoup des familles du morro. La plage est leur principal gagne-pain : locations de chaises, parasols, ventes diverses de nourritures terrestres. Sa fermeture, nécessaire pour contenir la propagation du virus, a été désastreuse pour beaucoup.

Hugo et Mila ont aussi perdu leur emploi. Lui était vendeur chez Saraiva, une chaîne de librairies qui ont toutes fermées sauf une. Elle était dans le commerce. Plutôt que de rester inactifs, ils se sont mis à proposer des livres offerts par Saraiva sous forme de prêt. Directement dans leur maisonnette, vite envahie par un public - des jeunes surtout - affamé de nourriture spirituelle aussi.

Devant le succès de l’opération, le projet s’est déplacé sur la place centrale: une bibliothèque ambulante, de forain, avec du mobilier offert par Saraiva, monté et démonté chaque jour. Un travail fastidieux, mais récompensé par le bonheur des lecteurs, toujours plus nombreux.

Activités du projet Além do Morro

Nego Breu et le "chapéu do chefe"

Un temps, Hugo et Mila sont partis régler des affaires de famille et chercher du travail, l’une à Bahia, l’autre à São Paulo. Mais la vie les a ramenés à Babilônia, où ils ont été accueillis avec des cris de joie accusateurs : « vous nous avez abandonnés ! ».

La bibliothèque a donc repris du service, et le président de l’association des habitants de Chapeu Mangueira leur a finalement cédé un espace à l’abandon, siège d’une ancienne ONG : la Casa da Árvore, la Maison de l’Arbre, en référence à l’arbre quasi sacré (car sur lui « tout pousse ») qui veille sur l’endroit.

Après avoir vidé le lieu de ses débris, gravats, déchets, après l’avoir rafistolé et repeint, la nouvelle Casa da Árvore a été inaugurée le 12 mai dernier. On y trouve des livres, encore et toujours, mais pas seulement. Le lieu accueille et nourrit désormais de toutes les manières.

Avec SOS Emprego Educação, il y a des professeurs qui viennent pour du renfort scolaire ou de l’alphabétisation. Des artistes proposent des ateliers théâtre, cinéma, dessin, photographie, percussions. Et le chef Nego Breu a créé le "Chapéu do Chefe", une cuisine communautaire pour préparer des quentinhas (barquettes en aluminium contenant des plats chauds) pour les sans-abri mais aussi nourrir les enfants qui fréquentent la Maison.

Arbre de paix

Le regard de Hugo et Mila pétille quand ils en parlent au pied du Morro. Avec le petit espace ouvert chez eux pour prêter des livres, ils ont mesuré le gouffre de culture, la faim d’apprendre et de s’ouvrir au monde. Leur plus grand bonheur est de voir les enfants déposer les armes pour venir à la Casa da Árvore et s’y retrouver sans la haine séculaire du voisin. Plus de différence entre Chapéu Mangueira et Babilônia, plus de Montaigu et Capulet. Ici ils redeviennent des enfants qui apprennent et grandissent. Ensemble.

Cela donne des ailes à Hugo et Mila, qui multiplient les initiatives pour ouvrir encore plus loin leur projet et unir ces enfants qui ont grandi dans l’imaginaire des guerres de territoire. Ainsi le 26 juin, ils vont accueillir les jeunes de la communauté du Vidigal (située à l’autre extrémité de Copacabana) pour un festival inédit de graffitis. Et puis il y a le projet de revitalisation du Galpão das Artes, le Hangar des Arts, un autre lieu historique et sacré de Babilônia (nous y reviendrons), qu'ils veulent à nouveau ouvrir aux visites et aux expositions.

Cette ouverture est l’ADN même du projet. Pour ne plus regarder le morro, la colline, comme une butte, une limite, un carcan qui enferme dans une guerre et un destin. Mais au contraire inviter à regarder bien au-delà. Au-delà de la colline. Além do Morro. Il n’a finalement pas fallu chercher plus loin que son essence même pour baptiser ce projet. Métaphore du silence et du rêve quand les armes se taisent. Quand il ne les font pas taire et reculer au simple son d'un livre dont un enfant tourne les pages sous l'arbre de paix.

(Pour mieux connaître et soutenir le projet Além do Morro, vous pouvez aller sur leurs pages Facebook et Instagram.)

 

Activités du projet Além do Morro dans les favelas Babilonia et Chapeu Mangueira

 

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