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Des visages d’esclaves recréés au Brésil grâce à l’IA et aux archives de 1860

À São Paulo, une exposition inédite utilise l’intelligence artificielle pour ressusciter les traits de dizaines d’esclaves anonymes, à partir des descriptions laissées par l’avocat abolitionniste Luís Gama dans les années 1860. Un projet qui mélange technologie, histoire et mémoire pour rendre un hommage symbolique aux millions d’Africains réduits à l’état d’objet durant près de quatre siècles au Brésil.

Luis GamaLuis Gama
Écrit par Jean Bodéré
Publié le 2 juillet 2025

L’intelligence artificielle se met au service de l’histoire coloniale à São Paulo. L’exposition Eu, amanuense que escrevi… ( Moi, le greffier qui a écrit…) se déploie aux Archives publiques de l’État de São Paulo de mai à novembre 2025. Derrière le projet, l’artiste et archiviste brésilien Diego Rimaos a puisé dans les descriptions physiques rédigées entre 1862 et 1866 par Luís Gama, l’un des grands noms de l’abolitionnisme brésilien. Greffier de commissariat à cette époque, il consignait les traits d’hommes et de femmes réduits en esclavage. À partir des fragments de ses écrits (« visage rond », « petits yeux », « lèvres régulières », « nez plat »…) l’IA a généré des portraits en noir et blanc, au format « photo d’identité ». Le but du projet est ainsi de redonner une présence à des personnes longtemps effacées des mémoires et réduites à une couleur de peau.

 

 

 

 

 

Luís Gama, un passeur de liberté

Né en 1830 à Salvador et fils d’une esclave affranchie, Luís Gama est vendu illégalement à l’âge de dix ans. Il apprend à lire et écrire et obtient sa liberté à 17 ans par une action judiciaire. Rédacteur, poète satirique, avocat autodidacte et conducteur de jugements collectifs, il libère plus de 500 esclaves, dont plus de 200 d’un coup en 1869, avant de mourir en 1882, six ans avant l’abolition complète de l’esclavage au Brésil. 

Gama militait pour une abolition immédiate et sans compensation pour les propriétaires. Il s’appuyait sur la loi de 1831, la Lei Feijó, adoptée sous pression britannique mais jamais appliquée, pour faire reconnaître le statut de « libres » à des esclaves nés en Afrique après l’interdiction officielle de la traite. À São Paulo, il profitait de son poste de greffier pour opérer un glissement dans les registres en transformant des « esclaves » en « Africains libres ». Une stratégie juridique qui portera plus tard le nom de « style Gama ».

 

Le Brésil se lance dans la course à l’intelligence artificielle

Le Brésil se positionne comme un leader en Amérique du Sud dans le domaine de l’intelligence artificielle avec le lancement du Plan Brésilien d’IA 2024‑2028, doté de 23 milliards de reais (environ 4 milliards de dollars). Un plan qui consacre 14 milliards à l’innovation privée, incluant start-ups, PME et filières stratégiques et 5 milliards à l’infrastructure numérique, notamment les centres de données et supercalculateurs. Des entreprises comme Microsoft investissent également massivement, avec 14,7 milliards de reais engagés sur trois ans pour le développement de l’IA et du cloud, ainsi qu’un objectif de formation de 5 millions de Brésiliens via des programmes nationaux. Des pôles technologiques dynamiques, comme São Paulo et Campinas, concentrent également des efforts de recherche, souvent en lien avec des universités de référence comme l’USP ou la PUC-Rio.

  

L’histoire coloniale de retour sur le devant de la scène brésilienne

À une époque où la photographie restait réservée aux élites, les descriptions physiques consignées par Gama faisaient office de documents d’identité. En les transformant aujourd’hui en images générées par IA, l’exposition rend visibles ceux que l’histoire a longtemps effacés. Au-delà de l’esthétique, le geste est politique en offrant une présence visuelle à des individus invisibilisés en leur redonnant dignité et humanité. C’est aussi rendre hommage à Gama, dont les manuscrits ont été reconnus en janvier 2025 par l’UNESCO comme patrimoine documentaire dans le cadre du programme Mémoire du Monde.

 

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