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Vivre sans voiture à San Francisco ou dans la Bay Area : mythe ou réalité ?

Entre les promesses du transit public et la culture automobile américaine, des expatriés français nous racontent leur quotidien sans voiture.

Une rue de San FranciscoUne rue de San Francisco
Écrit par Anne-Lorraine Bahi
Publié le 15 novembre 2025

La vie sans auto, quartier par quartier

Je marche partout, je prends le BART, et j'utilise Uber 

Marie, 32 ans, graphiste installée dans le Mission depuis deux ans, ne regrette pas d'avoir vendu sa voiture. "Les premiers mois, je paniquais à l'idée de ne pas pouvoir me déplacer librement. Aujourd'hui, je marche partout, je prends le BART pour aller à Oakland voir des amis, et j'utilise Uber pour les grosses courses une fois par mois."

Son secret ? Le choix du quartier. Mission, Castro, Hayes Valley, Noe Valley : ces zones concentrent commerces, restaurants et bonnes connexions de transports. "Je peux faire 90% de ma vie à pied ou à vélo," explique-t-elle. Le Muni reste son principal défi : "Il faut accepter les retards et les bus bondés aux heures de pointe."

Thomas, lui, a tenté l'expérience dans le Sunset. "J'ai tenu six mois. Le brouillard, les distances, le manque de métro... J'ai fini par craquer et acheter une voiture d'occasion." Une réalité que confirment de nombreux résidents des quartiers périphériques : sans le BART à proximité, la vie sans voiture devient un défi quotidien.

 

Avec des enfants, une autre histoire

Céline et Marc, parents de deux enfants de 7 et 10 ans dans le Noe Valley, ont tenté l'aventure sans voiture pendant quelques mois. "On était motivés, écologiquement engagés. Mais la réalité nous a rattrapés," confie Céline.

Le quotidien d'une famille avec enfants multiplie les déplacements. École à 8h, récupération à 15h, cours de natation le mardi à Sunset, piano le jeudi à Inner Richmond, foot le samedi à Golden Gate Park. "Sans voiture, il fallait jongler entre trois bus différents, compter 45 minutes pour un trajet de 15 minutes en voiture. Les enfants étaient épuisés, nous aussi."

Les courses hebdomadaires pour quatre personnes ? "Impossible de tout porter dans le bus. On commandait en ligne, mais ça coûtait une fortune en frais de livraison." Les urgences médicales ajoutaient une couche d'angoisse : "Quand notre fils a eu besoin d'aller aux urgences à 22h, on a dû appeler un Uber. Ce soir-là, on a compris qu'on avait besoin d'une voiture."

Après un an, le couple a acheté une Toyota Prius hybride d'occasion. "On l'utilise avec parcimonie, mais c'est notre filet de sécurité. Sans elle, on ne tiendrait pas."

 

Comment acheter une voiture à San Francisco: le guide complet

 

L'exception qui confirme la règle

Pourtant, certaines familles réussissent. Amélie, mère de deux enfants de 5 et 8 ans à Bernal Heights, vit sans voiture depuis quatre ans. Son cas ? Exceptionnel et très planifié.

"Mon mari et moi travaillons en remote trois jours par semaine. Les enfants vont à l'école publique du quartier, à cinq minutes à pied. J'ai choisi leurs activités extra-scolaires en fonction de leur accessibilité : tout est dans un rayon de quinze minutes à vélo."

Le vélo cargo électrique est devenu son meilleur allié. "Il m'a coûté 3 500 dollars, mais il remplace une voiture. J'emmène les deux enfants dedans, je fais les courses, je transporte tout." Pour les trajets impossibles à vélo, Amélie utilise Zipcar. "Je réserve une voiture deux ou trois fois par mois pour aller au Target à Colma ou partir en week-end. Ça me revient moins cher qu'une voiture."

Mais elle reconnaît les limites : "Il faut que les deux parents soient à fond. Si l'un craque, ça ne marche plus. Et on dépend beaucoup de la météo, qui par chance est souvent clémente à San Francisco, et de notre forme physique."

 

 

La Bay Area : le grand écart

J'habite près du Caltrain, donc je peux aller travailler en train

Le Walk Score à Palo Alto

Dès qu'on sort des limites de la ville, le tableau change radicalement. Sophie, consultante à Palo Alto, en fait l'expérience : "J'habite près du Caltrain, donc je peux aller travailler en train. Mais pour tout le reste ? Impossible. Les trottoirs disparaissent parfois complètement, les supermarchés sont sur des artères à quatre voies, et le bus passe toutes les heures."

Le Caltrain et le BART permettent de relier les grandes villes - San Francisco, Oakland, Berkeley, San Jose. Mais entre ces axes ? Un désert de transports publics. "J'ai des collègues qui viennent de Fremont ou de Walnut Creek. Sans voiture, ils seraient isolés," confie Sophie.

Les applications de covoiturage atténuent le problème, mais à quel prix ? "Entre 50 et 75 dollars par trajet pour aller à l'aéroport de SFO depuis Mountain View. Ça finit par coûter aussi cher qu'une voiture."

 

Le paradoxe américain

 

le Walk Score à Los Altos Hille

 

Aux États-Unis, vivre sans voiture reste l'exception. Seules quelques villes - New York, Boston, Chicago en partie, Washington DC - offrent une infrastructure permettant de s'en passer réellement. "J'ai vécu à New York pendant trois ans sans voiture. Ici, à San Diego, c'était impensable dès le premier jour," raconte Laurent, ingénieur qui a déménagé en Californie du Sud.

Les distances colossales, l'étalement urbain, et le sous-investissement chronique dans les transports publics expliquent cette dépendance automobile. "Même pour des trajets de 2 kilomètres, les gens prennent leur voiture. Il n'y a pas d'alternative," observe-t-il.

La pandémie a aggravé la situation : réduction des fréquences, problèmes de sécurité perçus dans les transports, télétravail qui réduit les besoins de déplacement quotidien mais augmente les trajets occasionnels.

 

Les stratégies des "car-free"

J'ai découvert mon quartier comme jamais

Un tableau de Walk Score

Pourtant, une petite communauté persiste à vivre sans voiture, même dans la Bay Area. Leur mode d'emploi ?

Choisir son quartier avec soin. Walk Score et Transit Score deviennent les critères numéro un, avant même la superficie de l'appartement. "J'ai accepté un studio plus petit pour être à deux blocs du BART," explique Marie.

Combiner les modes de transport. Vélo électrique pour les trajets quotidiens, Clipper Card pour les transports publics, Zipcar ou Getaround pour les besoins ponctuels. "Je loue une voiture trois ou quatre fois par an pour aller en week-end à Tahoe ou sur la côte. Ça me coûte 500 dollars par an contre 8 000 à 10 000 dollars si j'avais une voiture."

Repenser ses priorités. "J'ai découvert mon quartier comme jamais. Je connais tous les commerçants, je croise mes voisins. Ma vie sociale s'est densifiée localement," témoigne Marie. Une forme de slow life qui séduit certains expatriés en quête d'authenticité.

Accepter les limites. Les randonnées dans Yosemite ? Il faudra demander à des amis motorisés. Le Costco pour faire le plein de provisions ? Oubliez. "On apprend à faire différemment. Des courses plus fréquentes, des sacs à dos solides, et Amazon pour le reste."

 

 

Le verdict

La vraie question n'est pas "peut-on vivre sans voiture", mais "quel mode de vie veut-on"

Vivre sans voiture à San Francisco ? Possible, à condition d'habiter les bons quartiers et d'accepter certaines contraintes. Dans la Bay Area ? Difficile, sauf à vivre le long des axes ferroviaires et à limiter ses déplacements. Aux États-Unis en général ? Un défi qui confine à l'exploit dans 95% du territoire.

"La vraie question n'est pas 'peut-on vivre sans voiture' mais 'quel mode de vie veut-on'," conclut Sophie. "Moi, je garde ma voiture mais j'essaie de l'utiliser le moins possible. C'est mon compromis."

Pour les nouveaux arrivants, le conseil des expatriés aguerris est unanime : testez d'abord sans voiture pendant trois à six mois. Vous verrez vite si votre quotidien le permet. Et si ce n'est pas le cas, le marché de l'occasion regorge d'opportunités.

Un dernier conseil : si vous optez pour la vie sans voiture, investissez dans de bonnes chaussures et un bon vélo. Vous allez en avoir besoin.

 

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