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LITTÉRATURE – Première édition du Prix Stendhal de la traduction

Écrit par Lepetitjournal Rome
Publié le 14 juillet 2016, mis à jour le 15 juillet 2016

Le 22 juin 2016, l'Institut français Italia et le service de coopération et d'action culturelle de l'Ambassade de France en Italie ont révélé les 12 finalistes de la première édition du Prix Stendhal de la traduction. A cette occasion la rédaction du Petit Journal a rencontré dans les jardins du Palais Farnèse Cécile Moscovitz, attachée du livre à l'ambassade de France en Italie et Valerio Magrelli, poète, traducteur et président du jury de cette première édition. 

 

      La rédaction du Petit Journal de Rome en train d'interviewer 

  Cécile Moscovitz et Valerio Magrelli dans les jardins du palais Farnèse        

 

Un prix pour les « auteurs invisibles »

Cécile Moscovitz est à l'origine de la création de ce nouveau prix de la traduction. Elle défend avec ferveur la littérature comme un des « moyens les plus puissants pour diffuser la pensée » et explique que la traduction est le « vecteur majeur des échanges culturels ». Ce prix vise donc d'abord à promouvoir la culture française en Italie mais aussi à mettre en lumière les traducteurs, ces « auteurs invisibles » qui n'apparaissent que trop rarement sur la couverture des livres. Valerio Magrelli regrette d'ailleurs le terme de traducteur qu'il trouve réducteur. Selon lui, ce terme occulte les différents aspects de ce métier. Le traducteur est d'abord un agent littéraire qui promeut la lecture car il est toujours en recherche de nouveaux textes. Il se fait donc aussi critique littéraire puisqu'il décide ou non de traduire un livre qu'il a lu et qui lui a plu. Enfin, le traducteur travaille à proprement parler sur le texte si bien que parfois, il lui arrive même de corriger ce dernier. Ainsi Valerio Magrelli n'hésite pas à considérer les traducteurs comme de « véritables héros, des personnages légendaires qui se sacrifient pour une littérature autre, écrite dans une langue qui n'est pas la leur ». 

Traducteurs français et italiens : quelles différences ?

Lorsque nous avons demandé à Valerio Magrelli et à Cécile Moscovitz si ces « auteurs invisibles » étaient considérés différemment en Italie et en France, Valerio Magrelli s'est montré plutôt critique envers l'Italie et sa politique culturelle. Celle-ci aurait conduit à une « systématique dévaluation de la culture depuis 20 ans ». Au contraire, il est, comme la majorité des Italiens, admiratif du système culturel français : « j'espère que la valeur qu'on donne en France à la culture puisse se réfléchir en Italie ». Le poète salue également le travail de l'attachée du livre : « je dois dire seulement que j'ai vraiment aimé la décision de Cécile de se battre pour cette figure professionnelle qui en Italie est peut-être plus encore oubliée qu'en France. » 

Cécile Moscovitz se montre moins tranchée mais reconnaît également que le travail de traduction est « moins bien valorisé d'un point de vue monétaire » en Italie. Finalement en France et en Italie, le constat est le même, c'est « un métier qui est reconnu intellectuellement mais pas forcément professionnellement ». Pour autant, tous les deux rappellent qu'il existe de nombreuses formations, des syndicats, des associations et des réseaux en France comme en Italie destinés à soutenir les traducteurs, maillon essentiel de la chaîne du livre. 

L'écrivain Stendhal choisi comme symbole de l'échange littéraire franco-italien

Cécile Moscovitz a choisi de donner à ce prix de la traduction le nom de l'écrivain Stendhal, auteur de La Chartreuse de Parme et de Le Rouge et le Noir. Stendhal a séjourné à de nombreuses reprises en Italie et a même demandé à ce que s on épitaphe soit écrite en italien : « Arrigo Beyle Milanese Scrisse Amò Visse », littéralement « Henri Beyle. Milanais. Il écrivit, Il aima, Il vécut ». Français d'origine et milanais de c?ur, il incarne l'échange littéraire franco-italien. De plus, il a une conscience aiguë du rôle de la traduction, comme de nombreux écrivains au XIXème siècle. Il s'est parfois lui-même présenté comme le traducteur fictionnel de manuscrits rédigés en italien. Ce personnage singulier correspond ainsi tout à fait à l'esprit du prix. 

Un prix qui récompense la collaboration entre traducteur et éditeur

De début avril à début mai, les traducteurs italiens de textes français publiés par un éditeur italien ont pu candidater au Prix Stendhal. Ce prix d'un montant de 5 000 ? vise à récompenser le binôme éditeur-traducteur. Ce dernier recevra les deux-tiers de la somme et l'éditeur le dernier tiers.

Cécile Moscovitz a également décidé de réserver une place aux jeunes traducteurs grâce à la catégorie « giovane » qui « concerne en priorité des traducteurs qui ont 35 ans ou moins de 35 ans » et dont la dotation est de 2 000 ?. Trois romans traduits par des jeunes traducteurs ont finalement été sélectionnés par le jury. Il s'agit de Francesca Bononi qui a a traduit Le voyage d'Octavio de Miguel Bonnefoy publié aux éditions 66thand2nd ; Camilla Diez qui a traduit Tram 83 de Fiston Mwanza Mujila publié aux éditions Notte Tempo et Angelo Molica Franco qui a traduit L'Étoile Vesper de Colette publié aux éditions Del Vecchio. 

Un jury italophone et francophone pour une sélection de traductions variées

Le jury présidé par Valerio Magrelli est composé de cinq professionnels de la littérature francophones et italophones : Emmanuele Trevi, écrivain et traducteur ; Rosanna Rummo, directrice des bibliothèques et instituts culturels au ministère de la culture italien ; Barbara Meazzi, professeur de littérature italienne en France et Stefano Montefiori, journaliste, critique littéraire et correspondant pour le Corriere della Sera à Paris. Ce jury aura tout l'été pour choisir parmi les douze finalistes. Valerio Magrelli se montre particulièrement enthousiaste : « Je dois souligner le fait qu'il s'agit là d'un choix très difficile parce qu'on a des livres magnifiques, absolument magnifiques. J'arriverai presque à dire que les 12 titres choisis sont déjà des vainqueurs (?) il y a des textes mémorables et mémorablement traduits donc (?) on va peut-être se confier au hasard parce qu'on ne peut pas dire qu'il y ait une traduction qui se détache par rapport aux autres. Il y a des classiques, il y a des auteurs vivants, il y a des femmes, il y a des hommes. On a essayé avec tous les membres du jury d'offrir le panorama le plus diversifié. » 

Les douze finalistes sont :

- Maria Baiocchi avec Alessia Piovanello pour la traduction de Réparer les vivants de Maylis de Kérangal publié en Italie aux éditions Feltrinelli sous le titre Riparare i viventi.

- Francesco Bergamasco pour la traduction du Royaume d'Emmanuel Carrère publié en Italie aux éditions Adelphi sous le titre Il regno

- Giovanni Bogliolo pour la traduction de Germinal d'Emile Zola publié en Italie aux éditions Mondadori sous le titre Germinal

- Emanuelle Caillat pour la traduction d'Accident nocturne de Patrick Modiano publié en Italie aux éditions Einaudi sous le titre Incidente Notturno

- Monica Capuani pour la traduction de Et tu n'es pas revenu publié en Italie aux éditions Boringhieri sous le titre E tu non sei tornato

- Lorenzo Flabbi pour la traduction de Les années d'Annie Ernaux publié en Italie aux éditions L'Orma sous le titre Gli anni

- Alessandro Giarda pour la traduction de Un barbare en Asie d'Henri Michaux publié en Italie aux éditions Obarrao sous le titre Un barbaro in Asia

- Giuseppe Girimonti Greco et Francesca Scala pour la traduction de Tout bouge autour de moi de Dany Laferrièrepublié en Italie aux éditions 66thand2nd sous le titre Tutto si muove intorno a me

- Fabio Scotto pour la traduction de Le digamma d'Yves Bonnefoy publié en Italie aux éditions Studio Editoriale sous le titre Il digamma 

Comment départager les finalistes ? Sur quels critères évaluer une bonne traduction ?

Face à ces questions « comptables » de la rédaction du Petit Journal de Rome, le poil de Valerio Magrelli se hérisse quelque peu car selon lui « quand on parle de littérature, il n'y a pas de règles, tout au plus un horizon d'attente qui peut concorder entre les cinq membres du jury. » L'utilisation de l'expression « horizon d'attente » par Valerio Magrelli n'est pas anodine. Elle a été formulée dans les années 1970 par Hans Robert Jauss et l'Ecole littéraire de Constance qui valorise la réception du texte par son lecteur. Celui-ci, fort de ses lectures passées, joue un rôle tout aussi important que l'auteur dans la reconnaissance du texte et de son appréciation. Cette école s'intéresse à l'écart qui existe entre le texte fixé et intangible et sa lecture qui est au contraire mouvante, inventive, plurielle et plurivoque. Aussi, le choix du prix dépendra pour beaucoup de la personnalité et de la culture littéraire des membres du jury. 

Cette approche de la littérature permet à la critique de prendre en compte une grande diversité de facteurs. Valerio Magrelli insiste d'abord sur le travail de traduction, il s'agit de « vérifier le passage entre les deux langues ». Pour autant, il ne nie pas l'importance du texte en lui même. Il ne se voit pas récompenser des traductions « magnifiques » de textes qui ne sont « pas mémorables ». Enfin, le président du jury veut prendre en compte des critères que nous pourrions appeler « politiques ». Il est important que les débutants soient tout autant récompensés que les traducteurs confirmés grâce à la catégorie « giovane ». De plus, il voudrait trouver un équilibre entre les grands éditeurs et les petites maisons d'édition. Finalement, « le secret gît dans l'équilibre » entre toutes ces considérations : « la valeur du livre traduit, de sa traduction, le nom du traducteur, l'enthousiasme dont a fait preuve la maison d'édition... (?) On arrivera à un compromis qui sera, j'espère, le plus convaincant ». 

Le prix Stendhal de la traduction sera remis en novembre 2016 par l'Institut Français. 

A suivre : le portrait de Valerio Magrelli, le président haut-en-couleur du Prix Stendhal

 

Louise Cognard (Lepetitjournal.com de Rome- Vendredi 15 juillet 2016

Crédits photo: Manon Botticelli 

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