À l'occasion du 14 juillet 2025, l'équipe du journal Grande Chine a tenu à interviewer Bertrand Lortholary, ambassadeur de la France en Chine. Une occasion de revenir sur les liens qui unissent nos deux pays et les défis auxquels nos compatriotes sont confrontés dans un monde de plus en plus incertain.


Le moteur franco-chinois a repris son rythme de croisière
Vous êtes en poste depuis mars 2023. Quel premier bilan tirez-vous de cette période et quelles sont vos priorités ?
Les deux dernières années ont été particulièrement riches pour la relation franco-chinoise. La mission qui m’avait été fixée pour l’ensemble de l’ambassade et moi-même avant mon départ était claire : retisser les liens entre la France et la Chine, mis à rude épreuve par trois années de pandémie. Durant cette période, les échanges se sont en effet nettement distendus. Il était essentiel de rétablir cette relation sur tous les plans : politique, économique, culturel, humain.
Nous avons tenu ce pari. L’année 2023 a représenté un véritable redémarrage, marquée par une reprise ambitieuse des visites officielles dans les deux sens. La visite d’Etat du président de la République en avril à Pékin et Canton, dans une atmosphère à la fois solennelle et chaleureuse, a constitué le moment clé de cette nouvelle période. Elle a été suivie en juin par la visite du Premier ministre chinois à Paris. Ces rencontres ont engagé une dynamique d’échanges que nous avons entretenue tout au long de l’année.
En 2024, le moteur franco-chinois a pleinement repris son régime de croisière, à l’occasion du 60e anniversaire de nos relations diplomatiques, et dans le cadre de l’Année franco-chinoise du tourisme culturel. Nous avons accueilli, en mai, le président Xi Jinping en France, à Paris et dans les Pyrénées, pour une visite d’État.
Un visibilité culturelle française sans précédent
En matière culturelle, notre action et notre visibilité en Chine ont été sans précédent : 900 événements dans plus de 50 villes ! Ce chiffre n’est pas qu’un indicateur quantitatif, il reflète une ambition : aller à la rencontre des Chinois, pas seulement dans les grandes capitales, mais dans des régions parfois moins attendues. Je pense par exemple au lancement de l’Année franco-chinoise du tourisme culturel à Harbin, capitale régionale la plus septentrionale de Chine ou encore à la Fête de la Musique que nous avons organisée notamment en Mongolie intérieure.
Cette « reconnexion » a été précieuse pour nourrir des échanges politiques denses entre nos deux pays, et aborder ensemble tous les enjeux de notre relation y compris les sujets sur lesquels nous avons des différences. Ce dialogue continue naturellement d’être important sur les crises internationales telle que la guerre d’agression russe en Ukraine, dans un monde devenu plus instable et imprévisible, ou sur l’enjeu du commerce, dans le contexte des mesures injustifiées décidées par les autorités chinoises contre le cognac.
Je voudrais également saluer ici le travail remarquable de nos équipes consulaires au bénéfice des Françaises et des Français de Chine. Je vous donne quelques exemples. En 2024, le vote par internet a remporté un vif succès et la dématérialisation de l’état civil s’est poursuivie avec l’ouverture du premier registre d’état civil électronique. Cette année, la certification de l’identité numérique a été rendue possible dans tous nos consulats ainsi que le paiement par timbre électronique pour les demandes de passeport et carte d’identité. Enfin, il y a quelques jours, nous avons lancé France Consulaire – un service gratuit, accessible via un numéro local - visant à répondre à toutes les questions d’ordre consulaire que se posent nos compatriotes. Ce sont des avancées concrètes qui illustrent notre volonté de moderniser l’action publique à l’étranger pour faciliter encore davantage la vie de nos concitoyens.
Nos compatriotes font rayonner la France en Chine
La communauté française de Chine connaît récemment une contraction. Quelles difficultés et enjeux sont associés à cette tendance ?
Les effectifs de la communauté française ont en effet diminué ces dernières années, notamment du fait de la pandémie. Mais depuis 2023, cette tendance s’est stabilisée et semble commencer à s’inverser. Au-delà des effectifs eux-mêmes, ce que j’observe, au fil de mes déplacements et de mes rencontres, c’est une communauté vivante, dynamique, diverse, qui joue un rôle de chaque jour essentiel dans le lien entre nos deux pays.
Par votre question, vous me permettez de rendre hommage à nos compatriotes installés en Chine. Ce sont des enseignants, des entrepreneurs, des chercheurs, des artistes, des étudiants… Toutes et tous participent à faire rayonner la France en Chine. Je le dis souvent : je ne suis pas seul à représenter la France ici. Il y a autant d’ambassadeurs de France en Chine que de Françaises et de Français vivant en Chine.
Sur le plan des échanges universitaires, nous constatons avec satisfaction que les étudiants chinois sont revenus nombreux en France, retrouvant le niveau d’avant Covid. Ce n’est pas encore vrai dans le sens France Chine. C’est pourquoi nous allons continuer à encourager les jeunes Français à revenir en Chine. C’est un pays qu’on ne peut évidemment plus méconnaître, et il est crucial que notre jeunesse s’y forme, le découvre, le comprenne. J’y tiens d’autant plus que j’ai moi-même découvert la Chine en tant qu’étudiant.
Les entreprises françaises, elles aussi, continuent de faire preuve de résilience. Mais soyons lucides : le climat des affaires est devenu plus complexe. Certaines restrictions ou incertitudes pèsent sur les projets. Nous plaidons pour une relation économique fondée sur l’équité, la transparence, la réciprocité – des principes qui doivent guider notre partenariat dans la durée. Et par ailleurs bien entendu, l’ambassade est mobilisée au quotidien pour accompagner nos entreprises, grandes et petites.
La France fait le choix d'un dialogue exigeant avec la Chine
La France et ses intérêts en Chine font les frais des relations internationales tendues. Quels sont nos atouts pour répondre à cette situation ?
Le contexte est indéniablement plus tendu. Les enjeux géopolitiques, les crises économiques ou les tensions commerciales peuvent peser sur notre relation. Mais c’est précisément dans ces périodes que la qualité, la fréquence et le niveau de notre dialogue est un atout essentiel.
La France a toujours fait le choix d’un dialogue exigeant avec la Chine dans sa politique étrangère. Il ne s’agit pas d’occulter nos différences, mais d’être capables de dialoguer pour tenter de les surmonter, et par ailleurs de construire sur nos convergences et surtout de chercher à identifier ensemble des solutions aux défis globaux qui sont devant nous. Par exemple, sur la question de l’intelligence artificielle ou encore de l’environnement, pour lesquels nous avons obtenu que la Chine participe à un niveau très élevé aux sommets que nous avons organisé respectivement à Paris en février et à Nice en juin. Nous devons continuer à nous parler, à travailler ensemble, à construire des solutions communes dans un monde incertain.
Cette année a vu la France organiser le sommet de Nice sur les océans auquel la Chine a largement participé. Comment les collaborations peuvent-elles être étendues sur le volet environnemental?
Les enjeux environnementaux sont aujourd’hui au cœur de notre relation bilatérale. Il y a dix ans, la Chine et la France contribuaient ensemble à l’Accord de Paris sur le climat. En mars dernier, nous avons adopté une déclaration commune pour renouveler notre ambition en faveur du climat. C’est une responsabilité partagée.
En juin, Nice a accueilli la Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC3). La participation du vice-président Han Zheng témoigne de l’engagement de la Chine sur ces sujets. L’objectif est clair : faire pour les océans ce que nous avons su faire pour le climat.
Ces grandes conférences sont essentielles, mais nous voulons aussi agir au quotidien. C’est l’esprit du « Mois franco-chinois de l’environnement », organisé chaque année à l’automne. Depuis 12 ans, ce festival contribue à sensibiliser le public chinois à la biodiversité, au climat, à la transition écologique. C’est une manière très concrète de faire vivre notre partenariat.
La coopération reste la meilleure voie
Les relations commerciales franco-chinoises dans le secteur automobile et agroalimentaire sont en cours de rééquilibrage. Comment cela affecte-t-il nos entreprises installées en Chine ?
Il y a des déséquilibres, parfois des incompréhensions et même des désaccords très sérieux comme celui qui nous a profondément divisés sur la question du cognac depuis dix-huit mois. Nous avons franchi un premier pas important ces derniers jours, pas qui nous le souhaitons doit nous permettre de refermer définitivement la plaie, en revenant à la situation qui prévalait avant le début de la crise. Je reste convaincu que la coopération reste la meilleure voie. Les défis auxquels nous faisons face – économiques, industriels, climatiques – sont immenses. Aucun pays ne peut les affronter seul.
L’ensemble de l’ambassade et moi-même sommes en contact étroit avec les entreprises françaises implantées en Chine. Elles nous font part de leurs attentes, de leurs inquiétudes parfois, mais aussi de leur attachement à cette relation. Les investissements croisés, lorsqu’ils sont fondés sur des règles claires et équitables, profitent à nos deux économies. Ils sont source de dynamisme, d’innovation, de création d’emplois.
Nous continuerons à travailler en faveur d’un rééquilibrage reposant sur une concurrence loyale, dans le respect des règles de l’OMC. Cela implique aussi une nouvelle dynamique des investissements chinois en France, que nous souhaitons voir s’accélérer. Ce dialogue, nous le menons aussi évidemment dans le cadre européen, car l’Union européenne est un acteur majeur dans cette relation.
Très bonne Fête Nationale aux Français de Chine !
Les collaborations culturelles sont cette année encore très riches. En quoi ces échanges permettent-ils un meilleur dialogue ?
La culture est sans doute l’un des plus beaux vecteurs de rapprochement entre nos deux pays, qui entretiennent une fascination chacun pour la culture de l’autre depuis plusieurs siècles. Les liens entre la Cour de Versailles et l’Empire Qing au XVIIIème Siècle en témoignait déjà. Elle permet de tisser des liens au-delà des mots, d’ouvrir des imaginaires, de créer des émotions partagées.
Notre festival Croisements, qui fêtait ses 19 ans cette année, est un véritable symbole : en 2O24, plus de 900 événements dans près de 50 villes, 5 millions de spectateurs… C’est un lien vivant, populaire, festif, qui parle à toutes les générations.
Cette année, la programmation s’appuie une fois encore sur des partenariats avec les plus grands musées français, tels que le Musée d’Orsay, dont certains chefs d’œuvre sont exposés actuellement à Shanghai. Mais nous soutenons aussi la jeune création, avec des artistes émergents tels que Chloé Silbano ou Alice Des, et investissons les nouveaux champs de la création artistique que sont la réalité virtuelle ou le jeu vidéo, afin de proposer une perspective toujours renouvelée sur la France. Le spectacle vivant occupe toujours une place particulière : Don Juan de David Bobée, 20 000 lieues sous les mers, ou encore les spectacles présentés au Festival d’Aranya ont été de grands succès. Et l’automne sera marqué par deux temps forts consacrés à la danse contemporaine et aux métiers d’art.
Nous innovons aussi : le programme « En Amateur » lancé en janvier encourage les pratiques artistiques collectives ; [le programme de résidences Yi Tong], plus récemment, soutient les échanges durables entre artistes français et institutions chinoises. Et bientôt, un mini-programme WeChat permettra d’accéder facilement à toute la programmation de l’Institut français de Pékin. C’est une belle manière de faire rayonner la culture dans l’ère numérique.
Quel message souhaiteriez-vous adresser à nos concitoyens et nos entreprises présents en Chine à l’occasion de la Fête Nationale ?
La Fête nationale est toujours un moment particulier, chargé d’émotion, de mémoire et de fierté. C’est l’occasion de nous retrouver, de nous rassembler autour de ce qui nous unit : nos valeurs, notre histoire, notre attachement à la République.
Au nom des autorités de notre pays, je tiens à remercier chacune et chacun d’entre vous. Par votre engagement, votre présence, votre travail quotidien, vous contribuez à faire vivre la relation entre nos deux pays. Vous portez une image positive, ouverte, ambitieuse de la France. Et notre pays vous en est profondément reconnaissant.
L’ambassade, les consulats, nos équipes, tous sont mobilisés à vos côtés. Je souhaite à chacune et chacun d’entre vous un très bel été, ici ou ailleurs, en famille ou entre amis. N’oubliez pas de consulter les « Conseils aux voyageurs » et de vous inscrire sur Ariane si vous quittez la Chine. Et surtout : très bonne fête nationale !
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