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POLAR - Le très corruptible mandarin de Qiu Xiaolong

Écrit par Lepetitjournal Pékin
Publié le 25 août 2011, mis à jour le 14 novembre 2012

Né à Shanghai, Qiu Xialong a émigré aux Etats-Unis après les événements de Tien'anmen. Ses romans sont à la fois un plaisir pour les amateurs de polar et une opportunité de découvrir une société chinoise moderne dépeinte au vitriol. Un brillant exemple avec Le très corruptible mandarin

Imaginez un inspecteur, poète à ses heures, essayant de naviguer entre les consignes officielles de supérieurs hiérarchiques pas toujours très clairs et la corruption de nouveaux riches chinois s'accaparant les bénéfices de la libéralisation de l'économie. Vous aurez alors le cadre des enquêtes de cet inspecteur Chen, héros récurrent des romans de Qiu Xiaolong. Ajoutez-y un peu de poésie, quelques descriptions savoureuses de plats chinois, un univers dans un Shanghai d'aujourd'hui oscillant entre modernité et nostalgie et une vista pour dépeindre des personnages caractéristiques de la Chine actuelle, vous serez alors en plein dans l'univers de l'auteur.

Une écriture ironique et affutée sur la société chinoise contemporaine
Dans Le très corruptible mandarin, l'inspecteur est missionné pour enquêter sur le meurtre d'un haut fonctionnaire policier alors que ce dernier surveillait un puissant cadre du parti suspecté de corruption. Le gouvernement met un point d'honneur à lutter contre la corruption, fléau de son mode de fonctionnement à parti unique. Mais abolir la corruption est utopique et il s'agit de frapper des coups symboliques tout en fermant les yeux sur les agissements de certains hauts fonctionnaires. Délicat travail pour Chen qui, à tirer sur le fil d'Ariane, risque de découvrir de nouvelles poches de corruption qu'il n'est pas censé étaler au grand jour. Qiu Xialong, avec un langage très imagé, une utilisation judicieuse des proverbes chinois et une ironie toujours présente, réussit à nous dépeindre les rouages de cette énorme administration comme si nous y étions. Comme, lors de cette conversation avec Zhao, son supérieur hiérarchique où tout est sujet à interprétation : "C'était une conversation difficile, un peu comme une performance de tai chi de haut niveau. Diandaojizhi. Zhao ne se frayait pas 'un chemin à grands coups de coude'. Il se contentait d'une touche légère, parfois d'un geste pour indiquer la voie, et Chen devait deviner le reste".

Mais contrairement au légendaire et incorruptible Juge Bao, Chen est souvent à la frontière de la régularité pour obtenir lui-même des renseignements et, en bon joueur de go, il tente d'anticiper les coups de ses adversaires et n'oublie pas de se protéger également de sa hiérarchie, capable de rapidement tourner sa veste, il le sait. Là est la justesse d'analyse de l'auteur, il n'oppose pas les bons aux mauvais mais décrit les faiblesses d'un système dont certains profitent plus, par cupidité mais aussi parce qu'ils sont au bon endroit au bon moment.

Délégation chinoise aux Etats-Unis : un choc des cultures narré avec humour
Dans la seconde partie du roman, une délégation d'écrivains chinois est envoyée aux Etats-Unis, prétexte pour Chen à la continuation de son enquête mais surtout prétexte pour l'écrivain à un face-à-face entre deux mondes. Et Xiaolong décrit ce choc des cultures avec beaucoup d'humour : des fortune cookies des restaurants chinois qui n'existent qu'à l'étranger à l'interdiction de fumer dans les chambres d'hôtel alors que les Américains exportent des cigarettes par millions vers la Chine. De la tentation du jeu dans un casino malgré un mépris affiché pour le capitalisme à la déception devant le peu de connaissances pour la littérature chinoise par les universitaires américains, si ce n'est bien sûr pour les écrivains dissidents. Ces pérégrinations sur le sol américain sont aussi l'occasion pour Chen/Xiaolong de revenir à ses premières amours, la poésie de T.S Eliot et une liaison impossible avec une Américaine venue des années auparavant en Chine.

Laissons donc ces vers conclure :
"La lune brillante émerge de la mer
Sa clarté s'étend jusqu'aux confins du ciel
Mal d'amour ? combien la nuit est longue ?
Et toute la nuit, je brûle d'amour pour toi
J'éteins la bougie, il ne fait pas moins clair
J'enfile mon manteau pour me protéger de la rosée
Puisque je ne puis saisir ces rayons pour t'en faire cadeau
"

Eric Ollivier (www.lepetitjournal.com/shanghai.html), jeudi 25 août 2011

lepetitjournal.com pekin
Publié le 25 août 2011, mis à jour le 14 novembre 2012

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