Redécouvrez le roman de Richard Mason Le Monde de Suzie Wong, un classique de la littérature anglophone réédité par une petite maison d'édition française, Gope éditions. En inédit, une introduction par Gérard Henry, l'auteur de Chroniques hongkongaises, un essai d'Étienne Rosse, l'auteur de Trois autres Thaïlande, ainsi qu'une biographie de l'auteur
Entre rêve et réalité
"Lorsqu'en 1957, l'écrivain anglais Richard Mason créa dans une chambre d'hôtel, le personnage de Suzie Wong, il n'imaginait pas que cette dernière allait devenir un vrai mythe dans le monde occidental", rappelle en préface de l'ouvrage Gérard Henry, éditeur du magazine Paroles de l'Alliance française à Hong Kong. Le pousse-pousse est à l'époque le moyen de transport le plus répandu, les sampans sillonnent la baie de Hong Kong? Robert Lomax, un peintre américain alors sans succès, vient y chercher sa Muse et la trouve dans un hôtel de passe du quartier chaud de Wanchai, en la personne de Suzie Wong, une pétillante jeune prostituée mère d'un enfant en bas âge. Suzie tombe amoureuse de Robert, mais elle est prisonnière de sa profession. Son histoire est celle du chemin de la pauvreté vers la richesse, de la fascination exercée par l'Orient sur l'Occident ainsi que celle d'une identité hongkongaise en devenir. En 1960, trois ans après le succès du roman, l'adaptation cinématographique de Richard Quine avec William Holder et Nancy Kwan, mettra le quartier de Wanchai sur la mappemonde. Et Gérard Henry de préciser "Quartier qui connaîtra sa grande heure durant la guerre du Vietnam, car c'est là que tous les GI américains viendront lors de leurs permissions goûter aux bienfaits du R&R (Du Repos et de la Recréation), Suzie Wong devenant le rêve sensuel, exotique et érotique de tout soldat américain".
Un conte de fées
Même si Etienne Rosse met en garde le lecteur dans la postface du roman "Vous ne devez pas le considérer comme un guide touristique pour vos prochaines vacances à Hong Kong. Les aspects de cette ville qui y sont évoqués datent de 1957, mais ils sont surtout tels qu'ils existaient dans la tête de l'auteur", l'histoire de cette rencontre improbable dans un Hong Kong idéalisé vaut toujours la lecture un demi-siècle plus tard. Comme le dit le héros du livre, "le rôle de l'art n'est pas de décrire les choses telles qu'elles sont, mais comment les voit telle personne à tel moment".
Le Monde de Suzie Wong, extrait
"Tous les jours, nous sortions faire une promenade. Et c'étaient des étonnements, des joies, des découvertes sans fin, car rien ne délie l'esprit comme le bonheur. Nous explorions les ruelles, nous mangions d'indescriptibles plats d'abats à des éventaires en plein vent, nous nous perdions dans la contemplation des vitrines d'herboristes chinois, avec toutes leurs racines étranges, leurs hippocampes séchés, leurs perles en poudre et leurs grands bocaux d'alcool de serpent. Nous passâmes une journée à bord de la jonque d'un pêcheur, nous escaladâmes le pic Victoria, nous visitâmes la pagode du Tiger Balm Garden avec ses bas-reliefs obscènes et ridicules. Nous comptions tous les bruits particuliers de Hong Kong, la crécelle du masseur qui passait dans la rue, le tintamarre joyeux du marchand de cuillères en porcelaine, le martèlement des sandales de bois résonnant dans une rue déserte, la nuit, et, bien entendu, le vacarme du mah-jong.
Et puis le bruit que nous avions oublié jusqu'à ce que nous fussions réveillés en sursaut un matin, par des explosions assourdissantes, comme un tir de barrage à la mitrailleuse, et que je crusse un instant que la révolution était à nos portes : les pétards! Cette exubérante manifestation de joie s'avéra provenir du port, de trois jonques décorées d'une multitude de fanions multicolores et chargées de vacanciers. Ah Tong nous apprit que le festival de Tin Hau, la déesse de la mer sainte patronne des pêcheurs, venait de commencer. Entraînés par tant de bonne humeur, nous nous rendîmes en bus à un village de pêcheurs où nous assistâmes à une procession d'effigies en chaise à porteur, de cochons rôtis et de plateaux chargés de pâtisseries roses avec en tête une danse du lion. Puis nous allâmes allumer des bâtons d'encens et brûler du papier votif à l'intention de Tin Hau au temple avant de nous empiffrer de porc rôti en guise de déjeuner, accompagnés toute la journée par les crépitements furieux des pétards."
© Titre original The World of Suzie Wong écrit par Richard Mason, 1957
© Le Monde de Suzie Wong traduit de l'anglais par France-Marie Watkins et David Magliocco, Éditions GOPE, 2011.