L’Organisation Internationale de la Francophonie célèbre cette année son cinquantenaire. Depuis le vendredi 20 mars dernier, Journée internationale de la francophonie, et jusqu’à la fin de l’année, des événements sont organisés aux quatre coins du monde afin de fêter le jubilé de cette organisation dédiée à la francophonie. Notre édition entre dans la danse et prend part à cette célébration.
En notre qualité de premier média francophone de part le monde à l’attention des expatriés francophones, avec quelque 68 éditions sur 5 continents, notre édition new-yorkaise a décidé de rendre hommage à la langue de Molière en publiant dans ses colonnes, tout au long de cette année, des auteurs francophones installés aux États-Unis.
Nous vous invitons à découvrir l’auteure Hélène Drummond qui a publié son premier roman La place est prise.
En voici un extrait choisi par l’auteure
Lorsque Samuel entra dans la classe ce matin-là, il remarqua tout de suite sa nuque. Une nuque studieuse. Fine, longue, délicate, penchée sur son cahier. Sa queue-de-cheval, ondulante, haut perchée, se balançait pendant qu’elle prenait des notes. Hypnotisé par ce mouvement de va-et-vient capillaire, il demeurait figé devant la porte.
Au tableau noir, monsieur Woodbury gribouillait des formules, le nez collé à sa craie. Quand il se retourna, sa bouche s’arrondit et ses sourcils touffus se soulevèrent de surprise.
— Samuel… te voilà ! Bonjour ! Bienvenue !
Un large sourire fendit son visage adipeux. Il désigna un pupitre encombré de récipients en verre, s’empressa de le débarrasser et ajouta :
— Ne reste pas là, viens t’installer ici… enfin laisse-moi quelques minutes, que j’élimine ce fouillis !
Tandis que ses bras tremblotaient d’agitation et que les éprouvettes graduées s’entrechoquaient entre ses doigts boudinés, le professeur annonça à sa classe :
— Samuel Carson est le nouvel élève de terminale. Il vient d’arriver de Glasgow !
Les étudiants récitèrent d’une voix mollassonne « Hi, Samuel » en dévisageant le nouveau venu.
Mince, pâle, d’une longueur excessive, Samuel donnait l’impression d’avoir grandi trop vite. Sa tignasse ébouriffée, couleur charbon, son blouson en cuir et ses épaules larges lui collaient un air de mauvais garçon qui contrastait avec son allure timide. Presque turquoise, ses iris allumaient des incendies malgré eux. Quelques filles au fond de la classe le détaillèrent avec gourmandise en braquant sur lui des prunelles audacieuses. C’était peine perdue. La propriétaire de la nuque adorée se retourna et tout le reste s’effaça. Deux grands yeux en amande, vert émeraude, intrigués, s’accrochèrent aux siens. Samuel eut envie de se précipiter vers cette fille, de l’enlacer, de l’embrasser, de l’emmener au bout du monde et de ne plus jamais la quitter. La jolie bouche rose s’entrouvrit pour chuchoter un timide « Hi! ». Son pouls se mit à galoper et il faillit tomber.
— Voilà, tu peux venir ! haleta monsieur Woodbury, l’œil triomphant.
À l’aide de sa manche, il épousseta le pupitre désencombré et poussa un soupir de satisfaction.
— Merci, murmura Samuel d’une voix blanche.
Le petit homme reprit sa leçon, rouge jusqu’aux cheveux et les aisselles trempées. Samuel n’essaya même pas d’écouter. Elle était là, à sa droite, une rangée plus loin. Une grande table faisait barrage entre eux, couverte de tubes à essais, de fioles, de gobelets et de flacons Erlenmeyer.
Courbée sur son cahier, dissimulée derrière le bric-à-brac transparent, elle semblait à nouveau plongée dans les esters et les acides carboxyliques. Il observa les doigts fins cramponnés au stylo-bille, la queue-de-cheval frémissante, les boucles châtains qui frôlaient l’épaule nue. La jeune fille leva les yeux. Lorsqu’elle découvrit la mine ahurie de Samuel, un pétillement amusé envahit son regard. Deux fossettes se creusèrent aux coins de ses lèvres. Pour la première fois, il aperçut son sourire. Il s’y agrippa, se laissa emporter et monta au ciel.
À la fin du cours, le local de chimie se vida en quelques minutes. Elle disparut dans le brouhaha, emportée par l’essaim d’étudiants impatients et criards. Dans le couloir, Samuel se fit assaillir par un groupe de quatre filles. Elles se présentèrent l’une après l’autre avant de lui proposer un tour de l’école. Il écoutait, mais n’entendait rien. Tout s’effaçait dans un brouillard épais. Tout sauf la fille à la queue-de-cheval.
Elles l’emmenèrent en le tirant par le bras, mais il se dégagea :
— Non merci ! J’ai rendez-vous…
La rousse du groupe battit des cils et coula sur lui un regard crémeux. Elle susurra :
— Si tu veux jouer dans l’équipe de foot, on peut te présenter à l’entraîneur… On est pom-pom girls ! ajouta-t-elle dans un gloussement ravi.
Elle souleva sa veste, se cambra et exhiba sa mini-robe moulante aux couleurs de l’équipe locale. Gêné, Samuel s’excusa :
— C’est gentil mais je n’y connais rien en football américain… je préfère passer mon tour.
— Comme tu veux… Et donc tu as rendez-vous maintenant ? Avec qui ? grinça-t-elle la bouche pincée, dissimulant mal sa déception.
— Avec une amie. Elle m’attend.
Il s’éloigna sans avoir la moindre idée de la direction à prendre et scrutait le couloir avec désespoir quand elle apparut. Elle approchait d’un pas hésitant. Soulagé et terrifié à la fois, Samuel s’exclama :
— Ah voilà ! Elle est là !
Rassurée, la jeune fille confirma :
— Oui ! Il est avec moi…
Les quatre autres s’étranglèrent en chœur, admiratives et jalouses :
— Emily ! Toi ? Tu le connais ?
Le troupeau vexé s’éloigna tandis que Samuel, quoiqu’enchanté de la tournure des évènements, se demandait avec angoisse comment il allait s’y prendre. Il se racla la gorge et parvint à articuler son prénom :
— Emily ?
— Oui ?
— Moi, c’est Samuel…
— Je sais ! chuchota-t-elle en riant. Rayonnante de malice, elle osa :
— On a rendez-vous alors ?
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