C’est une histoire que tout le monde croit connaître, mais que BAnQ nous invite à redécouvrir. En 1975, lors d’un spectacle de la Saint-Jean-Baptiste sur le mont Royal, Gilles Vigneault, Yvon Deschamps et Louise Forestier présentent une chanson appelée à devenir mythique : Gens du pays.


Ce soir-là, 150 000 spectateurs assistent à la naissance d’un hymne.
« Ce qu’il y a de plus fort, c’est que la foule ait accepté ce titre sans nous pitcher des bouteilles », se souvient Louise Forestier en riant. À l’origine, Yvon Deschamps avait proposé d’appeler le spectacle Happy Birthday – une provocation linguistique dans un Québec alors en pleine affirmation identitaire. « C’était pour décoloniser un petit moment de la vie quotidienne », explique Vigneault, qui décide d’écrire une chanson de fête “en français, pour nous autres”.
Un anniversaire au cœur du patrimoine québécois
Ce lundi 27 octobre, Gilles Vigneault célèbre ses 97 ans. Poète, auteur, conteur, il incarne depuis plus d’un demi-siècle l’âme d’un Québec fier et chantant. Pour marquer l’événement, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) offre un cadeau au public : une nouvelle capsule de la série La Trame sonore du Québec, consacrée à Gens du pays, chanson devenue hymne officieux de la nation.
Réalisée avec la complicité d’URBANIA, cette capsule nous plonge dans l’intimité d’une conversation entre Gilles Vigneault, Louise Forestier et Yvon Deschamps, enregistrée au printemps dernier. « C’est une chanson qui a dépassé son auteur », confie Vigneault dans un sourire. « Elle appartient désormais à ceux qui la chantent ».
Une création écrite sur le dos d’une affiche
Le 15 mai 1975, inspiré, Vigneault couche les paroles de Gens du pays en une seule journée, sur le verso d’une affiche de spectacle.
« Il fallait interpeller tous les Québécois, toutes les Québécoises. Gens du pays, ça, ça comporte tout le monde » - Gilles Vigneault
Ses amis Deschamps et Forestier devaient écrire chacun un couplet. Mais après avoir entendu le premier — Le temps qu’on a pris pour dire je t’aime, c’est tout ce qui reste au bout de nos jours —, ils renoncent. « C’est ben trop beau! Finis-la! », s’exclame Forestier. Ce qui devait être une chanson collective devient une œuvre d’auteur — et un geste d’amour adressé à tout un peuple.
Le soir où tout le Québec s’est laissé parler d’amour
Le 20 juin 1975, sur la scène du mont Royal, le trio entonne d’abord un ironique Happy Birthday, avant de livrer, presque timidement, Le temps de s’aimer. En quelques refrains, le public s’en empare. « On a essayé ça sur la foule, et la foule a répondu comme si elle avait pratiqué la veille », raconte Vigneault.
Ce moment suspendu marque un basculement : Gens du pays devient le chant de toutes les fêtes, le refrain des rassemblements, la bande-son de la fierté québécoise. « C’est merveilleux que ça ait accroché, et qu’encore aujourd’hui, les Québécois chantent C’est à ton tour au lieu de Bonne fête », confie Yvon Deschamps.
De la Saint-Jean à l’histoire collective
L’année suivante, la chanson entre dans la légende avec le spectacle 1 fois 5, qui réunit les géants de la chanson québécoise au moment où le Parti québécois accède au pouvoir. Gens du pays devient alors plus qu’un air d’anniversaire : une déclaration de tendresse et d’identité. Pierre Bourgault ira jusqu’à proposer qu’elle devienne l’hymne national du Québec.
Pour Félix B. Desfossés, journaliste et narrateur de La Trame sonore du Québec, cette capsule rappelle « comment un simple refrain, né d’une blague et d’un besoin de dire “je t’aime” en français, est devenu la chanson la plus chantée du Québec ».
Un anniversaire en héritage
À 97 ans, Gilles Vigneault regarde avec pudeur ce qu’il a semé. « Des fois, il y a des gens qui m’appellent pour me souhaiter bonne fête et ils me chantent Happy Birthday », raconte-t-il en riant. Mais nul doute : chaque fois qu’un Québécois entonne C’est à ton tour de te laisser parler d’amour, c’est à lui qu’il rend hommage — au poète de Natashquan qui a offert au peuple une chanson capable de dire à la fois la fête, la tendresse et l’appartenance.
Le pays des mots et des voix
En célébrant aujourd’hui les 97 ans de Gilles Vigneault, BAnQ ne se contente pas d’honorer un artiste : elle prolonge le fil d’une mémoire partagée. Gens du pays continue d’unir les voix au-delà des générations. Et si, finalement, la plus belle façon de dire “je t’aime”, ici, restait de chanter ensemble ?
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