Édition internationale

Un parfum de Provence au cœur du Québec

Entre lavande, miel, ateliers d’arômes et jardins illuminés l’hiver, la propriétaire, Dominique Majeau, a façonné un lieu de paix : Les Jardins Arômes & Saveurs. Inspirée par une correspondance d’enfance et portée par le silence du confinement, elle a bâti, en quatre ans, au coeur de Lanaudière, un domaine où la nature se cultive autant que la rencontre.

L'une des entrées du Domaine - en mortaise, Dominique Majeau, propriétaireL'une des entrées du Domaine - en mortaise, Dominique Majeau, propriétaire
Dominique Majeau devant l’entrée de son domaine, Les Jardins Arômes & Saveurs : un havre où nature, lavande et accueil se rencontrent en harmonie. Photo Courtoisie et LPJ
Écrit par Bertrand de Petigny
Publié le 23 octobre 2025, mis à jour le 24 octobre 2025

 

L’histoire commence à huit ans, dans une salle de classe québécoise. L’institutrice de Dominique organise une correspondance scolaire avec une élève française. Ce sera Catherine. De huit à seize ans, sans téléphone ni Internet, elles s’écrivent chaque mois, comme on noue un fil invisible entre deux continents. Un jour, Dominique est invitée en France.

Logées chez la tante de Catherine, dans une maison au milieu des lavandes, les adolescentes parcourent la campagne à bord d’une 2CV Citroën conduite par le grand-père. « Il nous emmenait de champ en champ, comme ici on visite des cabanes à sucre », se souvient-elle. Ce jour-là, sans le savoir, Dominique emporte en elle le parfum d’une vie future.

 

 

Champ de lavande du domaine Arômes et Saveurs
Champs de lavande des Jardins Arômes et Saveurs

 

 

Une terre achetée en silence, pour un rêve futur

De retour au Québec, elle cultive quelques plants chez elle, sans en parler. Quinze ans avant l’ouverture du domaine, elle achète discrètement une terre. « Je l’ai choisie pour un jour… faire ça », confie-t-elle. Le lieu n’est pas anodin : protégé par la montagne, il bénéficie d’un microclimat, offrant près de vingt jours supplémentaires de culture chaque année. Elle ne sait pas encore quand le projet naîtra, mais elle sait déjà où.

Cette patience silencieuse raconte tout : le rêve n’était pas un élan, mais une maturation. Un pari posé longtemps avant d’être révélé.

 

Du métal à la terre : un geste de rupture

Avant de cultiver la lavande, Dominique fonde et dirige pendant près de quarante ans une entreprise manufacturière en acier. Un univers de production, de plans et de délais. Puis elle fixe une date : 15 mars 2020, fin de sa carrière industrielle. Trois jours plus tard, le Québec se confine.

« Tout s’est arrêté. Plus de voyages, plus de réunions. Je me suis dit : c’est le moment. » Le silence national devient une invitation intime. Les agronomes, les artisans, les apiculteurs — tous disponibles. Elle compose son équipe comme on compose une partition.

 

 

Ruches
Ruches des Jardins Arômes et Saveurs

 

 

Créer un lieu, pas une entreprise

Plutôt que de bâtir une simple exploitation, Dominique Majeau construit une communauté de métiers. À ses côtés, un jeune agronome apiculteur prend soin des ruches et façonne un miel de lavande d’une délicatesse inattendue. Le directeur du site, Benoît Marion — ancien éclairagiste de scène et amoureux des forêts — trace désormais plus de sept kilomètres de sentiers en sous-bois, sélectionne les sapins, aménage des haltes, imagine des belvédères. « La forêt est notre plus grand jardin, et on ne finit jamais d’en découvrir les possibilités », confie-t-il.

Avec lui, les Jardins ne se contentent plus d’un champ : ils deviennent un territoire. Il a fait entrer l’électricité parmi les arbres, préparant l’arrivée du son, de la lumière, de la nuit vivante. C’est lui qui a donné naissance aux Jardins en lumières, où familles et promeneurs cheminent jusqu’au feu de camp, chocolat chaud en main. « Je ne fais pas tout », précise Dominique. « Je rassemble ceux qui savent faire. »

Le lieu se transforme peu à peu en atelier vivant : poètes accrochant leurs vers dans les branches, céramistes installant des colombes dans l’Arbre de la Paix, musiciens du Festival de Lanaudière jouant au milieu des lavandes. Ici, la lavande ne se regarde pas — elle se traverse, elle se partage, elle s’habite.

 

 

Départ des sentiers du domaines
Carte des sentiers du domaine

 

Arômes & Saveurs : l’âme du lieu

Le nom s’impose de lui-même : Arômes, pour la lavande, l’eucalyptus, l’orange douce ; Saveurs, pour l’écho persistant de la Provence. Mais aujourd’hui, le domaine ne se contente plus de parfumer : il nourrit. Un verger circulaire de pommiers et de poiriers a été planté, une sapinière a pris racine, et 1 250 nouveaux plants de lavande ont rejoint les rangs, afin d’offrir aux abeilles un territoire à butiner. « Tout grandit plus vite qu’on ne l’avait imaginé », sourit Dominique.

La terre inspire aussi des formules nouvelles : une limonade à la lavande désormais brassée par une microbrasserie locale, un miel d’une douceur inattendue, et bientôt une ligne eucalyptus-lavande.

Un chapiteau trois fois plus grand accueille désormais concerts, retraites et banquets en plein air. Cet été, cent dix personnes ont assisté au concert Le violoncelle en 2 temps du Festival de Lanaudière — musique classique au cœur du champ. « La musique douce s’accorde à notre paysage… et le paysage devient musique », glisse-t-elle.

 

Violoncelle dans champ de lavande

 

De retour d’un voyage en Provence et en Corse, Dominique revient convaincue : la lavande québécoise intrigue. « Ils étaient surpris qu’on en cultive malgré le froid. Cet automne, ce seront eux qui viendront nous visiter. » Ainsi, le parfum de Sainte-Mélanie voyage déjà au-delà de la Montagne.

 

 

Les lavandes des Jardins Arômes & Saveurs

Aux Jardins Arômes & Saveurs, quatre variétés de lavande sont cultivées selon les principes d’une agriculture raisonnée. Chacune possède son parfum, sa couleur et son usage.

Lavande Munstead (une des variété de ce qui est appelé “lavande fine”)
Compacte et délicate, c’est la plus pure. Elle offre une huile essentielle d’une grande finesse, prisée en cosmétique et en soins du corps. Au Québec, sa floraison survient à la mi-juillet. La principale qualité de la lavande munstead est d'être comestible, c'est une des seules lavandes « alimentaires ».

Lavande Hidcote (ou lavande anglaise)
Plus touffue, d’un violet profond et uniforme, elle supporte mieux les fraîcheurs et l’humidité. Très appréciée pour ses teintes soutenues, elle enrichit massifs et bouquets.

Lavande Phénoménale
Hybride lumineuse, issue d’un croisement entre lavandes française et portugaise. Sa floraison s’étend de la mi-juillet à la mi-août. Elle se prête aussi bien aux bouquets séchés qu’à l’extraction d’huile essentielle.

Lavandin
Droit, dru, épanoui, il est le favori des bouquets. Plus camphré, plus puissant, il libère un parfum vif, presque tonique — l’accent méditerranéen des champs.



 

Hospitalité et humanité : une lavande qui accueille

Aux Jardins Arômes & Saveurs, on ne vient pas seulement pour voir, mais pour s’ancrer. Des personnes immigrantes — notamment venues d’Afrique — y trouvent une place adaptée à leur rythme. « L’important, c’est que chacun se sente utile, peu importe le nombre d’heures », insiste Dominique. Le lieu devient autant social que botanique, un espace d’insertion douce.

 

Chapiteau au milieu des champs de lavandes

 

Les entreprises y organisent des retraites : réunion matinale sous le chapiteau, yoga dans la lavande, marche silencieuse en forêt. « Les gens arrivent tendus, ils repartent apaisés. La lavande ne guérit pas tout… mais elle dépose quelque chose. » De plus en plus de visiteurs viennent de l’extérieur de Lanaudière, parfois attirés par les concerts, parfois simplement par le besoin de nature.

Le domaine dépasse ainsi le seul rang du Pied de la Montagne : il fait rayonner la région tout entière. Présent dans les marchés locaux, il trace un sillon nouveau : celui d’un tourisme sensible, sans artifices, où le geste agricole rencontre l’expérience sensorielle. À terme, Dominique le sait, la lavande ne sera plus seulement un champ — mais une manière d’habiter le monde.

 

Et si le vrai luxe était la simplicité ?

Elle le dit sans emphase : « Je suis une femme ordinaire… j’ai seulement osé mon rêve. » Et lorsque Catherine est venue marcher, des années plus tard, entre les rangs de lavande du Québec, le cercle s’est refermé. Ce n’était plus une simple correspondance d’enfance, mais une promesse tenue. Car certains parfums traversent le temps : ils ne s’évaporent pas, ils deviennent des lieux.

 

Pour se rendre dans les champs de lavandes des Jardins Arômes et Saveurs

Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.